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OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4. Gustave Flaubert
Читать онлайн.Название OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Gustave Flaubert
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
C’était bien elle, – ou à peu près, – vue de face, les seins découverts, les cheveux dénoués, et tenant dans ses mains une bourse de velours rouge, tandis que, par derrière, un paon avançait son bec sur son épaule, en couvrant la muraille de ses grandes plumes en éventail.
Pellerin avait fait cette exhibition pour contraindre Frédéric au payement, persuadé qu’il était célèbre et que tout Paris, s’animant en sa faveur, allait s’occuper de cette misère.
Était-ce une conjuration? Le peintre et le journaliste avaient-ils monté leur coup ensemble?
Son duel n’avait rien empêché. Il devenait ridicule, tout le monde se moquait de lui.
Trois jours après, à la fin de juin, les actions du Nord ayant fait quinze francs de hausse, comme il en avait acheté deux mille l’autre mois, il se trouva gagner trente mille francs. Cette caresse de la fortune lui redonna confiance. Il se dit qu’il n’avait besoin de personne, que tous ses embarras venaient de sa timidité, de ses hésitations. Il aurait dû commencer avec la Maréchale brutalement, refuser Hussonnet dès le premier jour, ne pas se compromettre avec Pellerin; et, pour montrer que rien ne le gênait, il se rendit chez Mme Dambreuse à une de ses soirées ordinaires.
Au milieu de l’antichambre, Martinon, qui arrivait en même temps que lui, se retourna.
«Comment, tu viens ici, toi? avec l’air surpris et même contrarié de le voir.
– Pourquoi pas?»
Et, tout en cherchant la cause d’un tel abord, Frédéric s’avança dans le salon.
La lumière était faible, malgré les lampes posées dans les coins; car les trois fenêtres, grandes ouvertes, dressaient parallèlement trois larges carrés d’ombre noire. Des jardinières, sous les tableaux, occupaient jusqu’à hauteur d’homme les intervalles de la muraille; et une théière d’argent avec un samovar se mirait au fond dans une glace. Un murmure de voix discrètes s’élevait. On entendait des escarpins craquer sur le tapis.
Il distingua des habits noirs, puis une table ronde éclairée par un grand abat-jour, sept ou huit femmes en toilettes d’été, et, un peu plus loin, Mme Dambreuse dans un fauteuil à bascule. Sa robe de taffetas lilas avait des manches à crevés, d’où s’échappaient des bouillons de mousseline, le ton doux de l’étoffe se mariant à la nuance de ses cheveux; et elle se tenait quelque peu renversée en arrière, avec le bout de son pied sur un coussin, – tranquille comme une œuvre d’art pleine de délicatesse, une fleur de haute culture.
M. Dambreuse et un vieillard à chevelure blanche se promenaient dans toute la longueur du salon. Quelques-uns s’entretenaient au bord des petits divans, çà et là; les autres, debout, formaient un cercle au milieu.
Ils causaient de votes, d’amendements, de sous-amendements, du discours de M. Grandin, de la réplique de M. Benoist. Le tiers parti décidément allait trop loin! Le centre gauche aurait dû se souvenir un peu mieux de ses origines! Le ministère avait reçu de graves atteintes! Ce qui devait rassurer pourtant, c’est qu’on ne lui voyait point de successeur. Bref, la situation était complètement analogue à celle de 1834.
Comme ces choses ennuyaient Frédéric, il se rapprocha des femmes. Martinon était près d’elles, debout, le chapeau sous le bras, la figure de trois quarts, et si convenable, qu’il ressemblait à de la porcelaine de Sèvres. Il prit une Revue des Deux Mondes traînant sur la table, entre une Imitation et un Annuaire de Gotha, et jugea de haut un poète illustre, dit qu’il allait aux conférences de Saint-François, se plaignit de son larynx, avalait de temps à autre une boule de gomme et cependant parlait musique, faisait le léger. Mlle Cécile, la nièce de M. Dambreuse, qui se brodait une paire de manchettes, le regardait en dessous avec ses prunelles d’un bleu pâle; et miss John, l’institutrice à nez camus, en avait lâché sa tapisserie; toutes deux paraissaient s’écrier intérieurement:
«Qu’il est beau!»
Mme Dambreuse se tourna vers lui:
«Donnez-moi donc mon éventail, qui est sur cette console, là-bas. Vous vous trompez! l’autre!»
Elle se leva; et, comme il revenait, ils se rencontrèrent au milieu du salon, face à face; elle lui adressa quelques mots vivement, des reproches sans doute, à en juger par l’expression altière de sa figure; Martinon tâchait de sourire; puis il alla se mêler au conciliabule des hommes sérieux. Mme Dambreuse reprit sa place, et, se penchant sur le bras de son fauteuil, elle dit à Frédéric:
«J’ai vu quelqu’un, avant-hier, qui m’a parlé de vous, M. de Cisy; vous le connaissez, n’est-ce pas?
– Oui… un peu.»
Tout à coup Mme Dambreuse s’écria:
«Duchesse, ah! quel bonheur!»
Et elle s’avança jusqu’à la porte, au-devant d’une vieille petite dame, qui avait une robe de taffetas carmélite et un bonnet de guipure à longues pattes. Fille d’un compagnon d’exil du comte d’Artois et veuve d’un maréchal de l’empire créé pair de France en 1830, elle tenait à l’ancienne cour comme à la nouvelle et pouvait obtenir beaucoup de choses. Ceux qui causaient debout s’écartèrent, puis reprirent leur discussion.
Maintenant, elle roulait sur le paupérisme, dont toutes les peintures, d’après ces messieurs, étaient fort exagérées.
«Cependant, objecta Martinon, la misère existe, avouons-le! Mais le remède ne dépend ni de la science ni du pouvoir. C’est une question purement individuelle. Quand les basses classes voudront se débarrasser de leurs vices, elles s’affranchiront de leurs besoins. Que le peuple soit plus moral et il sera moins pauvre!»
Suivant M. Dambreuse, on n’arriverait à rien de bien sans une surabondance du capital. Donc, le seul moyen possible était de confier, «comme le voulaient, du reste, les saint-simoniens (mon Dieu, ils avaient du bon! soyons justes envers tout le monde), de confier, dis-je, la cause du progrès à ceux qui peuvent accroître la fortune publique». Insensiblement on aborda les grandes exploitations industrielles, les chemins de fer, la houille. Et M. Dambreuse, s’adressant à Frédéric, lui dit tout bas:
«Vous n’êtes pas venu pour notre affaire.»
Frédéric allégua une maladie; mais, sentant que l’excuse était trop bête:
«D’ailleurs, j’ai eu besoin de mes fonds.
– Pour acheter une voiture?» reprit Mme Dambreuse, qui passait près de lui une tasse de thé à la main; et elle le considéra pendant une minute, la tête un peu tournée sur son épaule.
Elle le croyait l’amant de Rosanette; l’allusion était claire. Il sembla même à Frédéric que toutes les dames le regardaient de loin en chuchotant. Pour mieux voir ce qu’elles pensaient, il se rapprocha d’elles encore une fois.
De l’autre côté de la table, Martinon, auprès de Mlle Cécile, feuilletait un album. C’étaient des lithographies représentant des costumes espagnols. Il lisait tout haut les légendes: «Femme de Séville, – Jardinier de Valence, – Picador andalous»; et, descendant une fois jusqu’au bas de la page, il continua d’une haleine:
«Jacques Arnoux, éditeur. – Un de tes amis, hein?
– C’est vrai, dit Frédéric, blessé par son air. Mme Dambreuse reprit:
– En effet, vous êtes venu, un matin… pour… une maison, je crois? oui, une maison appartenant à sa femme. (Cela signifiait: C’est votre maîtresse.)
Il rougit jusqu’aux oreilles, et M. Dambreuse, qui arrivait au même moment, ajouta:
– Vous paraissiez même vous intéresser beaucoup à eux.»
Ces derniers mots achevèrent de décontenancer Frédéric. Son trouble, que l’on voyait, pensait-il, allait