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target="_blank" rel="nofollow" href="#n117" type="note">117.

      Un jour de grande nouvelle, nous parlâmes politique toute la leçon et, à la fin, il ne voulut pas de notre argent. J'étais tellement accoutumé au genre sordide des professeurs dauphinois, MM. Chabert, Durand, etc., que ce trait fort simple redoubla mon admiration et mon enthousiasme. Il me semble, à cette occasion, que nous étions trois, peut-être Cheminade, Félix Faure et moi, et il me semble aussi que nous mettions, sur la petite table A, chacun une pièce de douze sous.

      Je ne me souviens presque de rien pour les deux dernières années 1798 et 1799. La passion pour les mathématiques absorbait tellement mon temps que Félix Faure m'a dit que je portais alors mes cheveux trop longs, tant je plaignais la demi-heure qu'il faudrait perdre pour les faire couper118.

      Vers la fin de l'été 1799, mon cœur de citoyen était navré de nos défaites en Italie, Novi et les autres, qui causaient à mes parents une vive joie, mêlée cependant d'inquiétude. Mon grand-père, plus raisonnable, aurait voulu que les Russes et les Autrichiens n'arrivassent pas à Grenoble. Mais, à vrai dire, je ne puis presque parler de ces vœux de ma famille que par supposition, l'espoir de la quitter bientôt et l'amour vif et direct pour les mathématiques m'absorbaient au point de ne plus donner que bien peu d'attention aux discours de mes parents. Je ne me disais pas distinctement peut-être, mais je sentais ceci: Au point où j'en suis, que me font ces radotages!

      Bientôt, une crainte égoïste vint se mêler à mon chagrin de citoyen. Je craignais qu'à cause de l'approche des Russes il n'y eût pas d'examen à Grenoble.

      Bonaparte débarqua à Fréjus. Je m'accuse d'avoir eu ce désir sincère: ce jeune Bonaparte, que je me figurais un beau jeune homme comme un colonel d'opéra-comique, devrait se faire roi de France.

      Ce mot ne réveillait en moi que des idées brillantes et généreuses. Cette plate erreur était le fruit de ma plus plate éducation. Mes parents étaient comme des domestiques à l'égard du Roi. Au seul nom de Roi et de Bourbon, les larmes leur venaient aux yeux.

      Je ne sais pas si, ce plat sentiment, je l'eus en 1797, en me délectant au récit des batailles de Lodi, d'Arcole, etc., etc., qui désolaient mes parents qui longtemps cherchèrent à ne pas y croire, ou si je l'eus en 1799, à la nouvelle du débarquement de Fréjus. Je penche pour 1797.

      Dans le fait, l'approche de l'ennemi fit que M. Louis Monge, examinateur de l'Ecole polytechnique, ne vint pas à Grenoble. Il faudra que nous allions à Paris, dîmes-nous tous. Mais, pensais-je, comment obtenir un tel voyage de mes parents? Aller dans la Babylone moderne, dans la ville de la corruption, à seize ans et demi! Je fus extrêmement agité, mais je n'ai aucun souvenir distinct.

      Les examens du cours de mathématiques de M. Dupuy arrivèrent et ce fut un triomphe pour moi.

      Je remportai le premier prix sur huit ou neuf jeunes gens, la plupart plus âgés et plus protégés que moi, et qui tous, deux mois plus tard, furent reçus élèves de l'Ecole polytechnique.

      Je fus éloquent au tableau; c'est que je parlais d'une chose à laquelle je réfléchissais passionnément depuis quinze mois au moins, et que j'étudiais depuis trois ans (à vérifier), depuis l'ouverture du cours de M. Dupuy dans la salle du rez-de-chaussée de l'Ecole centrale. M. Dausse, homme obstiné et savant, voyant que je savais, me fit les questions les plus difficiles et les plus propres à m'embarrasser. C'était un homme d'un aspect terrible et jamais encourageant. (Il ressemblait à Domeniconi, un excellent acteur que j'admire à Valle en janvier 1836.)

      M. Dausse, ingénieur en chef, ami de mon grand-père (qui était présent à mon examen et avec délices), ajouta au premier prix un volume in-4° d'Euler. Peut-être ce don fut-il fait en 1798, année à la fin de laquelle je remportai aussi le premier prix de mathématiques. (Le cours de M. Dupuy se composait de deux années, ou même de trois.)

      Aussitôt après l'examen, le soir, ou plutôt le soir du jour que mon nom fut affiché avec tant de gloire («Mais à cause de la façon dont le citoyen «B[eyle] a répondu, de l'exactitude, de la facilité «brillante…»), c'est le dernier effort de la politique de M. Dupuy; sous prétexte de ne pas nuire à mes sept ou huit camarades, le plus fort avait été de leur faire obtenir le premier prix, sous prétexte de ne pas leur nuire pour l'admission à l'Ecole polytechnique; mais M. Dausse, entêté en diable, fit mettre dans le procès-verbal, et par conséquent imprimer, une phrase comme la précédente.

      Je me vois passant dans le bois du Jardin-de-Ville, entre la statue d'Hercule et la grille, avec Bigillion et deux ou trois autres, enivrés de mon triomphe, car tout le monde le trouva juste et on voyait bien que M. Dupuy ne m'aimait pas; le bruit des leçons que j'étais allé prendre de ce jacobin de Gros, moi qui avais l'avantage de suivre son cours, de lui M. Dupuy, n'était pas pour me réconcilier avec lui.

      Donc, passant par là, je disais à Bigillion, en philosophant comme notre habitude:

      «En ce moment, on pardonnerait à tous ses ennemis.

      – Au contraire, dit Bigillion, on s'approcherait d'eux pour les vaincre.»

      La joie m'enivrait un peu, il est vrai, et je faisais des raisonnements pour la cacher; cependant, au fond, cette réponse marque la profonde bassesse de Bigillion, plus terre-à-terre que moi, et, en même temps, l'exaltation espagnole à laquelle119 j'eus le malheur d'être sujet toute ma vie120.

      Je vois des circonstances: Bigillion, mes compagnons et moi, nous venions de lire l'affiche avec la phrase sur moi.

      Sous la voûte du concert, le procès-verbal des examens, signé des membres de l'administration départementale, était affiché à la porte de la Salle des Concerts.

      Après cet examen triomphant, j'allai à Claix. Ma santé avait un besoin impérieux de repos121. Mais j'avais une inquiétude nouvelle, à laquelle je rêvais dans le petit bois de Doyatières et dans les broussailles des îlots le long du Drac et de la pente à 45 degrés de Comboire122 (je ne portais plus un fusil que pour la forme): mon père me donnerait-il de l'argent pour aller m'engouffrer dans la nouvelle Babylone, dans ce centre d'immoralité, à seize ans et demi?

      Ici encore, l'excès de la passion, de l'émotion a détruit tout souvenir. Je ne sais nullement comment mon départ s'arrangea.

      Il fut question d'un second examen par M. Dupuy, j'étais harassé, excédé de travail, réellement les forces étaient à bout. Repasser l'arithmétique, la géométrie, la trigonométrie, l'algèbre, les sections coniques, la statique, de façon à subir un nouvel examen, était une atroce corvée. Réellement, je n'en pouvais plus. Ce nouvel effort, auquel je m'attendais bien, mais en décembre, m'aurait fait prendre en horreur mes chères mathématiques. Heureusement, la paresse de M. Dupuy, occupé de ses vendanges de Noyarey, vint au secours de la mienne. Il me dit en me tutoyant, ce qui était le grand signe de faveur, qu'il connaissait parfaitement ce que je savais, qu'un nouvel examen était inutile, et il me donna d'un air digne et sacerdotal un superbe certificat certifiant une fausseté, à savoir qu'il m'avait fait subir un nouvel examen pour mon admission à l'Ecole polytechnique et que je m'en étais tiré supérieurement.

      Mon oncle me donna deux ou quatre louis d'or que je refusai. Probablement, mon excellent grand-père et ma tante Elisabeth me firent des cadeaux, dont je n'ai aucune mémoire.

      Mon départ fut arrangé avec un M. Rosset, connaissance de mon père, et qui retournait à Paris où il était établi.

      Ce que je vais dire n'est pas beau. Au moment précis du départ, attendant la voiture, mon père reçut mes adieux au Jardin-de-Ville, sous les fenêtres des maisons faisant face à la rue Montorge.

      Il pleuvait un peu. La seule impression que me firent ses larmes fut de le trouver bien laid. Si le lecteur me prend en horreur, qu'il daigne se souvenir des centaines de promenades forcées aux Granges avec ma tante Séraphie, des promenades où l'on me forçait, pour me faire plaisir.

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<p>118</p>

qu'il faudrait perdre pour les faire couper.– La moitié de ce fol. a été laissée en blanc. Les fol. 563 et 564 sont blancs.

<p>119</p>

l'exaltation espagnole à laquelle …– Ms.: «Auquel.»

<p>120</p>

j'eus le malheur d'être sujet toute ma vie. —En face, au verso du fol. 571, est un plan du bois du Jardin-de-Ville. Le bois était entouré d'une grille, et au milieu se trouvait la statue d'Hercule. – Cette statue est placée aujourd'hui plus au nord, dans la partie du jardin dite Jardin Français.

<p>121</p>

Ma santé avait un besoin impérieux de repos.– En face, au verso du fol. 572, on lit: «Rome, 28 janvier 1836. Testament: Je lègue et donne ce volume et les deux précédents de la Vie de Henri Brulard à M. Abraham Constantin, chevalier de la Légion d'honneur, peintre sur porcelaine, domicilié à Genève, et après lui, s'il n'imprime pas, à MM. Romain Colomb, rue Godot-de-Mauroy, n° 35, à Paris, Levavasseur, libraire, Paulin, libraire, l'un après l'autre, Philarète Chastes, homme de lettres. Le manuscrit appartiendra à celui de ces Messieurs qui trouvera de son intérêt de l'imprimer, en abrégé ou en totalité. Rome, le 28 janvier 1836. H. BEYLE.»

<p>122</p>

la pente à 45 degrés de Comboire …– Suit un croquis du rocher de Comboire.