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initiait les français aux littératures étrangères; Albert Stapfer, l’élève de Guizot; Sautelet, cet intelligent libraire-éditeur, qui eut une fin tragique à laquelle Mérimée fait allusion dans sa brochure sur Stendhal; Paul-Louis Courier, dont les conseils encouragèrent Beyle à publier Racine et Shakespeare; le baron de Mareste l’homme du monde de ce cénacle de gens de lettres, où il avait un rôle charmant: écouter et comprendre; Adrien de Jussieu, le silencieux botaniste qui était la galerie et disait en prenant congé du maître de la maison: «Ils ont été bien amusants aujourd’hui» ou «ça n’a pas été aussi amusant que dimanche dernier.» Et enfin, the last and not the least, Prosper Mérimée, que Beyle avait rencontré, en 1821, chez Joseph Lingay, le professeur de rhétorique du futur auteur de Colomba. La première impression de Stendhal ne fut pas très favorable. «Pauvre jeune homme en redingote grise et si laid avec son nez retroussé» dit-il de Mérimée. Et il ajoute: «ce jeune homme avait quelque chose d’effronté et d’extrêmement déplaisant, ses yeux petits et sans expression avaient un air toujours le même et cet air était méchant. Telle fut la première vue du meilleur de mes amis actuels. Je ne suis pas trop sûr de son cœur, mais je suis sûr de ses talents.»

      «Je ne sais, dit Stendhal, qui me mena chez M. de L’Etang – (c’est le pseudonyme transparent qu’il donne à Delécluze). – Il s’était fait donner un exemplaire de l’Histoire de la Peinture en Italie, sous prétexte d’un compte-rendu dans le Lycée– un de ces journaux éphémères qu’avait créé à Paris le succès de l’Edinburgh Review.

      «Il désira me connaître, on me mena donc chez M. de. L’Etang, un dimanche à deux heures. C’est à cette heure incommode qu’il recevait. Il tenait donc académie au sixième étage d’une maison qui lui appartenait à lui et à ses sœurs, rue Gaillon.» Beyle se trompe, il ne faut jamais trop se fier à lui quand il s’agit de «descriptions matérielles,» – la maison de Delécluze était rue de Chabanais, au coin de la rue Neuve-des-Petits-Champs et l’appartement au quatrième. Mais continuons: «De ses petites fenêtres, on ne voyait qu’une forêt de cheminées en plâtre noirâtre. C’est pour moi une des vues les plus laides, mais les quatre petites chambres qu’habitait M. de L’Etang étaient ornées de gravures et d’objets d’art curieux et agréables. Il y avait un superbe portrait du cardinal de Richelieu que je regardais souvent. A côté était la grosse figure lourde, pesante, niaise de Racine. C’était avant d’être aussi gras que ce grand poète avait éprouvé les sentiments dont le souvenir est indispensable pour faire Andromaque ou Phèdre

      Nous retrouvons ici le ton sarcastique de Racine et Shakespeare, cette brochure que Stendhal allait publier; c’est chez Delécluze que Beyle «la trompette à la fois et le général d’avant-garde de la nouvelle révolution littéraire20» discuta les théories condensées dans ces quelques pages agressives, l’un des premiers documents à consulter pour l’histoire du romantisme.

      Passons maintenant à Delécluze lui-même et à son entourage. «Je trouvai chez M. de L’Etang, devant un petit mauvais feu, car ce fut, ce me semble, en février 1822 qu’on m’y mena – huit ou dix personnes qui parlaient de tout. Je fus frappé de leur bon sens, de leur esprit, et surtout du tact fin du maître de la maison qui, sans qu’il y parût, dirigeait la discussion de façon à ce qu’on ne parlât jamais trois à la fois ou que l’on n’arrivât pas à de tristes moments de silence.»

      Beyle, en somme, a été assez malmené par Delécluze dans ses Souvenirs de soixante années, au point que Sainte-Beuve, prend la défense de Stendhal21. Il trouve Delécluze souverainement injuste pour Beyle.

      «Sa sévérité étrange, ajoute-t-il, pour un si ancien ami et un si piquant esprit appelle la nôtre à son égard et la justifierait, s’il en était besoin – ». Et en note, ce post-scriptum qui se cache pour être mieux vu: «Je sais quelqu’un qui a dit:

      «Delécluze est parfois un béotien émoustillé, mais il y a toujours le béotien.»

      Stendhal ne pouvait pas ne pas voir le béotien qu’il y avait en Delécluze – mais ce n’est qu’après avoir dit tout le bien possible de son nouvel ami qu’il laisse entrevoir ce côté ridicule du personnage: «M. de L’Etang, dit-il, est un caractère dans le genre du bon vicaire de Wakefield. Il faudrait pour en donner une idée toutes les demi-teintes de Goldsmith ou d’Addison.

      «Il a toutes les petitesses d’un bourgeois. S’il achète pour trente-six francs une douzaine de mouchoirs chez le marchand du coin, deux heures après, il croit que ses mouchoirs sont une rareté, et que pour aucun prix on ne pourrait en trouver de semblables à Paris.»

      Peut-on noter un travers avec plus d’imprévu et plus d’esprit? Il serait trop cruel pour Delécluze de retranscrire ici quelques uns de ses jugements sur Stendhal.

      Et Beyle se résume en une page exquise, dans laquelle oubliant le béotien, il ne voit plus que le plaisir qu’il a éprouvé dans «l’Académie» de la rue de Chabanais.

      «Je ne saurais exprimer trop d’estime pour cette société. Je n’ai jamais rien rencontré, je ne dirai pas de supérieur, mais même de comparable. Je fus frappé le premier jour et vingt fois peut-être pendant les trois ou quatre ans qu’elle a duré, je me suis surpris à faire ce même acte d’admiration.

      «Une telle société n’est possible que dans la patrie de Voltaire, de Molière, de Courier…

      «La discussion y était franche sur tout et avec tous. On était poli chez M. de L’Etang, mais à cause de lui. Il était souvent nécessaire qu’il protégeât la retraite des imprudents qui, cherchant une idée nouvelle, avaient avancé une absurdité trop marquante.»

      C’est chez Delécluze que Beyle lança pour la première fois ces mots brillants qui firent sa réputation d’homme d’esprit et qu’on retrouve dans sa correspondance et ailleurs:

      Le principe du romantisme «est d’administrer au public la drogue juste qui lui fera plaisir dans un lieu et à un moment donnés.» Définition que Baudelaire a prise pour lui et à son compte.

      Et la contre-partie: «Le classicisme présente aux peuples la littérature qui donnait le plus grand plaisir possible à leurs arrière-grands pères.»

      «L’Alexandrin un cache-sottise.»

      C’est là aussi qu’il scandalisa bien des gens par des théories païennes dans lesquelles il entre beaucoup plus d’enfantillage et d’impertinence que de conviction profonde; ici Beyle est la dupe de ses préjugés; à cet égard il a tenu à se montrer irréconciliable devant ses contemporains.

      Dans ses œuvres et même ses œuvres (comme la Vie de Henri Brulard ou les Souvenirs d’Egotisme) écrites librement, puisqu’elles ne devaient être publiées selon son désir, qu’après sa mort, à le bien lire, il n’est pas l’homme que nous laissent entrevoir George Sand22 et Mérimée.

      Mérimée si fin, si perspicace, semble avoir été dupé à son tour, et avoir cherché à prendre trop au sérieux certaines boutades de son ami.

      VI

      C’était pour Beyle un apprentissage, que cette vie de Paris, dans ces mondes très différents. Il se révéla causeur plein d’idées nouvelles et de formules inédites, chez les uns; chez les autres – contre-partie naturelle – il fut jugé homme dangereux et révolutionnaire en morale autant qu’en politique.

      Pour lui la question n’était pas là. Il laissait dire, et se contentait d’observer, préoccupé constamment de trouver «la théorie du cœur humain» et de «peindre ce cœur par la littérature.»

      Il s’essayait sur ce public restreint, ne se donnant pas tout entier; il conservait toute son indépendance.

      Jamais il ne voulut cultiver un salon, cela contrariait trop ses habitudes. Il faisait des apparitions et n’était jamais assidu.

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<p>20</p>

Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, III, p. 109.

<p>21</p>

Sur les Souvenirs de soixante années de Delécluze, voir Nouveaux lundis, vol. 3.

<p>22</p>

Histoire de ma Vie, 5e partie, ch. 3.