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Cependant son César, je l'avoue, ne me paraît pas plus faux que le nôtre; Shakspeare me semble même, au milieu de ses rodomontades, lui avoir mieux conservé ces formes d'égalité que le despote d'une république garde toujours envers ceux qu'il opprime.

      Le ton du Jules César est plus généralement soutenu que celui de la plupart des autres tragédies de Shakspeare. A peine, dans tout le rôle de Brutus, se trouve-t-il une image basse, et c'est au moment où il se laisse aller à la colère. Le soin visible qu'a mis le poëte à imiter le langage laconique que l'histoire attribue à son héros ne l'a que très-rarement conduit à l'affectation, si ce n'est dans le discours de Brutus au peuple, modèle de l'éloquence scolastique du temps de l'auteur. Le langage de Cassius, plus figuré parce qu'il est plus passionné, et d'une élévation moins simple que celui de Brutus, est cependant également exempt de trivialité. La harangue d'Antoine est un modèle de ruse et de la feinte simplicité d'un fourbe adroit qui veut gagner les esprits d'une multitude grossière et mobile. Voltaire blâme, au moins avec sévérité, Shakspeare d'avoir présenté sous une forme comique la scène des Lupercales, dont le fond, dit-il, «est si noble et intéressant.» Voltaire ne voit ici qu'une couronne demandée à un peuple libre qui la refuse; mais César se faisant, en présence du peuple, l'acteur d'une farce préparée pour lui, et désespéré des applaudissements qu'on donne à la manière dont il a joué son rôle, c'était là en effet, pour les bons esprits de Rome, quelque chose d'extrêmement comique et qui ne pouvait leur être présenté autrement.

      L'action de la pièce comprend depuis le triomphe de César, après la victoire remportée sur le jeune Pompée, jusqu'à la mort de Brutus, ce qui lui donne une durée d'environ trois ans et demi.

      On a en anglais une autre tragédie de Jules César composée par lord Sterline, connue du public, à ce qu'il paraît, quelques années avant que Shakspeare composât la sienne, et à laquelle Shakspeare pourrait bien avoir emprunté quelques idées. Cette tragédie finit à la mort de César, que l'auteur a mise en récit. Un docteur Richard Eedes, célèbre de son temps comme poëte tragique, avait fait en latin une pièce sur le même sujet, imprimée, dit-on, en 1582, mais qui n'a pas été retrouvée, non plus qu'une pièce anglaise intitulée The history of Cæsar and Pompey, antérieure à l'année 1579. On imprima à Londres, en 1607, une pièce intitulée The tragédie of Cæsar and Pompey, or Cæsar's revenge. Cette pièce, qui comprend depuis la bataille de Pharsale jusqu'à celle de Philippes inclusivement, avait été représentée sur un théâtre particulier, par quelques étudiants d'Oxford; on suppose qu'elle fut imprimée à l'occasion de la représentation et du succès de celle de Shakspeare, que la chronologie de M. Malone rapporte à cette même année 1607.

      Le Jules César a été représenté, corrigé par Dryden et Davenant, sous le titre de Julius Cæsar, with the death of Brutus, imprimé à Londres en 1719.

      Le duc de Buckingham a aussi retravaillé cette même tragédie qu'il a séparée en deux parties, la première sous le titre de Julius Cæsar, avec des changements, un prologue et un choeur; la seconde sous le titre de Marcus Brutus, avec un prologue et deux choeurs; toutes deux imprimées en 1722.

      JULES CÉSAR

      TRAGÉDIE

      PERSONNAGES

      JULES CÉSAR.

      1 Ce conjuré s'appelait non pas Décius, mais Décimus Brutus surnommé Albinus. C'est de lui que Plutarque dit, dans la Vie de Brutus, qu'on s'ouvrit à lui de la conjuration, «non qu'il fût autrement homme à la main, ou vaillant de sa personne, mais parce qu'il pouvoit beaucoup à cause d'un grand nombre de serfs escrimans à oultrance qu'il nourrissoit pour donner au peuple le passe-temps de les voir combattre; joint aussi qu'il avoit crédit alentour de César.» Il dit ailleurs que César avait tant de confiance en ce Décimus Brutus qu'il l'avait nommé son second héritier. Ce fut lui qui, le jour de sa mort, alla le chercher et le décida à se rendre au sénat, malgré Calphurnia et les augures.

      ARTEMIDORE, sophiste ou rhéteur de Guide.

      Un devin.

      CINNA, poète.

      Un autre Poète.

      PINDARUS, esclave de Cassius.

      CALPHURNIA, femme de César.

      PORCIA, femme de Brutus.

      SÉNATEURS, CITOYENS, GARDES ET SUITE.

La scène, pendant la plus grande partie de la pièce, est à Rome, ensuite à Sardes et près de Philippes

      ACTE PREMIER

      SCÈNE I

Rome. – Une rue Entrent FLAVIUS ET MARULLUS, et une multitude de citoyens des basses classes

      FLAVIUS. – Hors d'ici, rentrez, fainéans; rentrez chez vous. Est-ce aujourd'hui fête? Quoi! ne savez-vous pas que vous autres artisans vous ne devez circuler dans les rues les jours ouvrables qu'avec les signes de votre profession? – Parle, quel est ton métier?

      PREMIER CITOYEN. – Moi, monsieur? charpentier.

      MARULLUS. – Où sont ton tablier de cuir et ta règle? Que fais-tu ici avec ton habit des jours de fêtes? – Et vous, s'il vous plaît, quel est votre métier?

      SECOND CITOYEN. – Pour dire vrai, monsieur, en fait d'ouvrage fin, je ne suis pas autre chose que comme qui dirait un savetier.

      MARULLUS. – Mais quel est ton métier? Réponds-moi tout de suite.

      SECOND CITOYEN. – Un métier, monsieur, que je crois pouvoir faire en sûreté de conscience: je remets en état les âmes1 qui ne valent rien.

      MARULLUS. – Quel est ton métier, maraud, mauvais drôle, ton métier?

      SECOND CITOYEN. – Monsieur, je vous en prie, que je ne vous fasse pas ainsi sortir de votre caractère2. Cependant, si vous en sortiez par quelque bout, monsieur, je pourrais vous remettre en état.

      MARULLUS. – Qu'entends-tu par là? Me remettre en état, insolent?

      SECOND CITOYEN. – Sans difficulté, monsieur, vous resaveter.

      MARULLUS. – Tu es donc savetier? L'es-tu?

      SECOND CITOYEN. – Bien vrai, monsieur, je n'ai pour vivre que mon alêne. Je n'entre pas, moi, dans les affaires de commerce, dans les affaires de femmes; je n'entre qu'avec mon alêne3 Au fait, monsieur, je suis un chirurgien de vieux souliers: quand ils sont presque perdus, je les recouvre 4; et on a vu bien des gens, je dis des meilleurs qui aient jamais marché sur peau de bête, faire leur chemin sur de l'ouvrage de ma façon5.

      FLAVIUS. – Mais pourquoi n'es-tu pas dans ta boutique aujourd'hui? pourquoi mènes-tu tous ces gens-là courir les rues?

      SECOND CITOYEN. – Vraiment, monsieur, pour user leurs souliers, afin de me procurer plus d'ouvrage. – Mais sérieusement, monsieur, nous nous sommes mis en fête pour voir César, et nous réjouir de son triomphe.

      MARULLUS. – Vous réjouir! et de quoi? quelles conquêtes vient-il vous rapporter? Quels nouveaux tributaires le suivent à Rome pour orner, enchaînés, les roues de son char? Bûches, pierres que vous êtes, vous êtes pires que les choses insensibles! O coeurs durs, cruels enfants de Rome, n'avez-vous point connu Pompée? Bien des fois, bien souvent, n'êtes-vous pas montés sur les murailles et les créneaux, sur les fenêtres et les tours, jusque sur le haut des cheminées, vos enfants dans vos bras; et là, patiemment assis, n'attendiez-vous pas tout le long du jour pour voir le grand Pompée traverser les rues de Rome; et de si loin que vous voyiez paraître son char, le cri universel de vos acclamations

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<p>1</p>

Soals, semelles; dans l'ancienne édition, souls, âmes. Ces deux mots se prononcent de même, et c'est là-dessus que roule la plaisanterie du savetier; la correction faite dans les éditions subséquentes ne me paraît pas heureuse, car si le cordonnier disait que son métier est de raccommoder les mauvaises semelles; bad soals, il serait étrange que Marullus ne le comprît pas sur-le-champ. Le mot souls m'aurait donc paru plus convenable à laisser dans le texte. Quant à la traduction, il s'est trouvé, par un bonheur qui n'est pas commun lorsqu'il s'agit de rendre un calembour, que, dans l'argot du cordonnier, une partie de la botte s'appelle âme; ce qui a donné le moyen de rendre ce jeu de mots avec une fidélité qu'il n'est pas possible de promettre toujours.

<p>2</p>

Be not out with me, yet if you be out. —To be out signifie également être de mauvaise humeur et avoir un vêtement déchiré.

<p>3</p>

I meddle with no tradesman's matters, nor women's matters, but with awl, with all ou withal, jeu de mots qu'on n'a pu rendre, mais qu'on a tâché de suppléer, parce qu'il est dans le caractère du personnage.

<p>4</p>

When they are in great danger I recover them. Recover, recouvrir, recover, guérir, sauver, recouvrer.

<p>5</p>

Cette dernière phrase est omise dans la traduction qu'a faite Voltaire des trois premiers actes de Jules César. Voltaire ayant donné cette traduction comme exacte, on relèvera quelques-unes de ses nombreuses inexactitudes.