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et des mornes idées qui menacent, nous chanterons en nous-mêmes pour nous délivrer des paroles de mort qui planent sur nos toits éplorés.

      Et je revenais seul au clair de la lune par le Panthéon silencieux. La brume avait tout envahi, mais la lune, perçant ce voile argenté, enlevait de pâles lumières sur le fronton et sur le dôme qui paraissait énorme et comme bâti dans les nuages. La place était déserte, et le monument, qui n'aura jamais l'aspect d'une église, quoi qu'on fasse, était beau de sérénité avec ses grands murs froids et sa coupole perdue dans les hautes régions. Je sentis ma tristesse s'agrandir et s'élever. Ce colosse d'architecture n'est rien, en somme, qu'un tombeau voté aux grands hommes, et il faudra qu'il se rouvre un jour pour recevoir leur cendre ou leur effigie. Mais je ne pensais pas aux morts en contemplant cette tombe. J'avais lu vos radieux poëmes sur la vie, et la vie m'apparaissait impassiblement éternelle en dépit de nos simulacres d'éternelle séparation.

      Pourquoi des sépultures et des hypogées? me disais-je. Il n'y a pas de morts. Il y a des amis séparés pour un temps, mais le temps est court, le temps est relatif, le temps n'existe pas; et, pensant à la flamme immortelle que Dieu a mise en nous, dans ceux qui chevauchent les monstres comme dans les plus humbles pasteurs de brebis, je lui disais ce que vous dites à la poésie:

      Tu ne connais ni le sommeil

      Ni le sépulcre, nos péages.

      Novembre 1865.

      III

      LE PAYS DES ANÉMONES

      A MADAME JULIETTE LAMBER, AU GOLFE JUAN

      I

      Nohant, 7 avril 1868.

      J'étais, il y a aujourd'hui un mois, au bord de la Méditerranée, côtoyant la belle plage doucement déchirée de Villefranche, et causant de vous sous des oliviers plantés peut-être au temps des Romains. Trois jours plus tard, nous étions ensemble beaucoup plus loin, dans la région des styrax1, – ne confondez plus avec smilax, – et les styrax n'étaient pas fleuris; mais le lieu était enchanté quand même, et, en ce lieu vous dites une parole qui me donna à réfléchir. Vous en souvenez-vous? C'était auprès de la source où nous avions déjeuné avec d'excellents amis. B… mon cher B… aussi bon botaniste que qui que ce soit, venait de briser une tige feuillée en disant:

      – Suis-je bête! j'ai pris une daphné pour une euphorbe!

      Vous vouliez vite cueillir la plante pour m'en éviter la peine. Je vous dis que je ne la voulais pas, que je la connaissais, qu'elle n'était pas exclusivement méridionale, et mon fils se souvint qu'elle croissait dans nos bois de Boulaize, au pays des roches de jaspe, de sardoine et de cornaline.

      A ce propos, vous me dites, avec l'indignation d'un généreux coeur, que je connaissais trop de plantes, que rien ne pouvait plus me surprendre ni m'intéresser, et que la science refroidissait.

      Aviez-vous raison?

      Moi, je disais intérieurement:

      – Je sais que l'étude enflamme.

      Avais-je tort?

      Nous avions là-bas trop de soleil sur la tête et trop de cailloux sous les pieds pour causer. Maintenant, à tête et à pieds reposés, causons.

      La science… Qu'est-ce que la science? Une route partant du connu pour se perdre dans l'inconnu. Les efforts des savants ont ouvert cette route, ils en ont rendu les abords faciles, les aspérités praticables; ils ne pouvaient rien faire de plus, ils n'ont rien fait de plus; ils n'ont pas dégagé l'inconnu, ce terme insaisissable qui semble reculer à mesure que l'explorateur avance, ce terme qui est le grand mystère, la source de la vie.

      On peut étudier avec progrès continuel le fonctionnement de la vie chez tous les êtres: travail d'observation et de constatation très-utile, très-intéressant. Dès qu'on cherche à saisir l'opération qui fait la vie, on tombe forcément dans l'hypothèse, et les hypothèses des savants sont généralement froides.

      Pourquoi, me direz-vous, une étude que vous trouvez ardente et pleine de passion, conduit-elle à des conclusions glacées? Je ne sais pas; peut-être, à force de développer minutieusement les hautes énergies de la patience, l'examen devient-il une faculté trop prépondérante dans l'équilibre intellectuel, par conséquent une infirmité relative. Le besoin de conclure se fait sentir, absolu, impérieux, après une longue série de recherches; on fait la synthèse des millions d'analyses qu'on a menées à bien, et on prend cette synthèse, qui n'est qu'un travail humain tout personnel, plus ou moins ingénieux, pour une vérité démontrée, pour une révélation de la nature. Le savant a marché lentement, il a mesuré chacun de ses pas, il a noblement sacrifié l'émotion à l'attention; car c'est un respectable esprit que celui du vrai savant, c'est une âme toute faite de conscience et de scrupule. C'est le buveur d'eau pure qui se défend de la liqueur d'enthousiasme que distille la nature par tous ses pores, liqueur capiteuse qui enivre le poëte et l'égare. Mais le poëte est fait pour s'égarer, son chemin, à lui, c'est l'absence de chemin. Il coupe à travers tout, et, s'il ne trouve pas le positif de la science, il trouve le vrai de la peinture et du sentiment. Tel est un naturaliste de fantaisie, qu'on doit cependant élever au rang de prêtre de la nature, parce qu'il l'a comprise, sentie et chantée sous l'aspect qui la fait voir et chérir avec enthousiasme.

      Le savant proprement dit est calme, il le faut ainsi. Aimons et respectons cette sérénité à laquelle nous devons tant de recherches précieuses, mais ne nous croyons pas obligés de conclure avec le savant quand il arrive par l'induction à un système froid. Ce seul adjectif le condamne. Rien n'est froid, tout est feu dans la production de la vie.

      Ceci me rappelle une anecdote. Un élève botaniste de mes amis étudiait la germandrée et se sentait pris d'amour pour cette plante sans éclat, mais si délicatement teintée. Au milieu de son enthousiasme, en lisant la description de la plante dans un traité de botanique, excellent d'ailleurs, il tombe sur cette désignation de la corolle: fleur d'un jaune sale. Je le vois jeter le livre avec colère en s'écriant:

      – C'est vous, malheureux auteur, qui avez les yeux sales!

      On pourrait en dire autant aux malveillants qui jugent à leur point de vue les actions et les intentions des autres; mais aux bons et graves savants qui voient la nature froide en ses opérations brûlantes on pourrait peut-être dire:

      – C'est vous qui avez l'esprit refroidi par trop de travail.

      L'auteur de la Plante, ce spirituel et poétique Grimard, dont je vous recommandais le livre, lui aussi a pourtant fait acte de soumission presque complète aux arrêts des savants sur la loi de la vie dans le végétal. Quand vous le lirez, vous vous insurgerez à cette page, je le sais; aussi, pour ne pas vous voir abandonner la pensée d'étudier les fleurs, je veux me hâter de vous dire que, moi aussi, je proteste, non contre le système généralement adopté en botanique, mais contre la manière dont on l'expose et les conclusions arbitraires qu'on en tire.

      Je tâcherai de résumer le plus simplement possible, au risque de forcer un peu le raisonnement pour le rendre plus palpable, et pour vous mettre plus aisément en garde contre ce que présente de spécieux et même de captieux ce raisonnement.

      Il part d'une observation positive, incontestable. La plante tire ses organes de sa propre substance; qui en doute? De quoi les tirerait-elle? Est-il besoin d'affirmer que la patte qui repousse à l'écrevisse ou à la salamandre amputée est patte d'écrevisse pour l'écrevisse, et patte de salamandre pour la salamandre? Le merveilleux serait que la nature se trompât et fit des arlequins.

      Cependant les savants se sont crus obligés de constater et d'affirmer le fait, et ils ont donné, très à tort selon moi, le nom de métamorphisme à l'opération logique et obligatoire qui transforme le pétale en étamine après avoir transformé la feuille en pétale, comme si une progression de fonctions dans l'organisme était un changement de substance. Ils appellent très-sérieusement l'attention de l'observateur sur ce changement de formes, de couleurs et de fonctions. Fort bien. Le passage du pétale à l'étamine saute

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<p>1</p>

Le styrax doit croître aussi autour de Grasse. Dites au cher docteur Maure de vous en procurer.