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Œuvres complètes de Gustave Flaubert, tome I (of 8). Gustave Flaubert
Читать онлайн.Название Œuvres complètes de Gustave Flaubert, tome I (of 8)
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Gustave Flaubert
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Cependant, d'après des théories qu'elle croyait bonnes, elle voulut se donner de l'amour. Au clair de lune, dans le jardin, elle lui récitait tout ce qu'elle savait par cœur de rimes passionnées, et lui chantait en soupirant des adagios mélancoliques; mais elle se trouvait ensuite aussi calme qu'auparavant, et Charles n'en paraissait ni plus amoureux ni plus remué.
Quand elle eut ainsi un peu battu le briquet sur son cœur, sans en faire jaillir une étincelle, incapable d'ailleurs de comprendre ce qu'elle n'éprouvait pas, comme de croire à tout ce qui ne se manifestait point par des formes convenues, elle se persuada sans peine que la passion de Charles n'avait plus rien d'exorbitant. Ses expansions étaient devenues régulières; il l'embrassait à de certaines heures. C'était une habitude parmi les autres, et comme un dessert prévu d'avance, après la monotonie du dîner.
Un garde-chasse, guéri par Monsieur d'une fluxion de poitrine, avait donné à Madame une petite levrette d'Italie; elle la prenait pour se promener, car elle sortait quelquefois, afin d'être seule un instant et de n'avoir plus sous les yeux l'éternel jardin et la route poudreuse.
Elle allait jusqu'à la hêtrée de Banneville, près du pavillon abandonné qui fait l'angle du mur, du côté des champs. Il y a dans le saut-de-loup, parmi les herbes, de longs roseaux à feuilles coupantes.
Elle commençait par regarder tout à l'entour, pour voir si rien n'avait changé depuis la dernière fois qu'elle était venue. Elle retrouvait aux mêmes places les digitales et les ravenelles, les bouquets d'orties entourant les gros cailloux, et les plaques de lichens le long des trois fenêtres, dont les volets toujours clos s'égrenaient de pourriture, sur leurs barres de fer rouillées. Sa pensée, sans but d'abord, vagabondait au hasard, comme sa levrette qui faisait des cercles dans la campagne, jappait après les papillons jaunes, donnait la chasse aux musaraignes, ou mordillait les coquelicots sur le bord d'une pièce de blé. Puis ses idées peu à peu se fixaient; et assise sur le gazon, qu'elle fouillait à petits coups avec le bout de son ombrelle, Emma se répétait: «Pourquoi, mon Dieu! me suis-je mariée?» Elle se demandait s'il n'y aurait pas eu moyen, par d'autres combinaisons du hasard, de rencontrer un autre homme; et elle cherchait à imaginer quels eussent été ces événements non survenus, cette vie différente, ce mari qu'elle ne connaissait pas. Tous, en effet, ne ressemblaient pas à celui-là. Il aurait pu être beau, spirituel, distingué, attirant, tels qu'ils étaient sans doute, ceux qu'avaient épousés ses anciennes camarades du couvent. Que faisaient-elles maintenant? A la ville, avec le bruit des rues, le bourdonnement des théâtres et les clartés du bal, elles avaient des existences où le cœur se dilate, où les sens s'épanouissent. Mais elle, sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne est au nord, et l'ennui, araignée silencieuse, filait sa toile dans l'ombre, à tous les coins de son cœur. Elle se rappelait les jours de distribution de prix, où elle montait sur l'estrade pour aller chercher ses petites couronnes. Avec ses cheveux en tresse, sa robe blanche et ses souliers de prunelle découverts, elle avait une façon gentille, et les messieurs, quand elle regagnait sa place, se penchaient pour lui faire des compliments; la cour était pleine de calèches, on lui disait adieu par les portières; le maître de musique passait en saluant, avec sa boîte à violon. Comme c'était loin, tout cela! comme c'était loin!
Elle appelait Djali, la prenait entre ses genoux, passait ses doigts sur sa longue tête fine et lui disait: «Allons, embrassez maîtresse, vous qui n'avez pas de chagrins!» Puis, considérant la mine mélancolique du svelte animal qui bâillait avec lenteur, elle s'attendrissait et, le comparant à elle-même, lui parlait tout haut, comme à quelqu'un d'affligé que l'on console.
Il arrivait parfois des rafales de vent, brises de la mer, qui, roulant d'un bond sur tout le plateau du pays de Caux, apportaient, jusqu'au loin dans les champs, une fraîcheur salée. Les joncs sifflaient à ras de terre, et les feuilles des hêtres bruissaient en un frisson rapide, tandis que les cimes, se balançant toujours, continuaient leur grand murmure. Emma serrait son châle contre ses épaules et se levait.
Dans l'avenue, un jour vert, rabattu par le feuillage, éclairait la mousse rase qui craquait doucement sous ses pieds. Le soleil se couchait; le ciel était rouge entre les branches, et les troncs pareils des arbres plantés en ligne droite semblaient une colonnade brune, se détachant sur un fond d'or; une peur la prenait, elle appelait Djali, s'en retournait vite à Tostes par la grande route, s'affaissait dans un fauteuil, et de toute la soirée ne parlait pas.
Mais vers la fin de septembre, quelque chose d'extraordinaire tomba dans sa vie: elle fut invitée à la Vaubyessard, chez le marquis d'Andervilliers.
Secrétaire d'État sous la Restauration, le marquis, cherchant à rentrer dans la vie politique, préparait de longue main sa candidature à la Chambre des députés. Il faisait, l'hiver, de nombreuses distributions de fagots et, au conseil général, réclamait, avec exaltation, toujours des routes pour son arrondissement. Il avait eu, lors des grandes chaleurs, un abcès dans la bouche, dont Charles l'avait soulagé comme par miracle, en y donnant à point un coup de lancette. L'homme d'affaires, envoyé à Tostes pour payer l'opération, conta le soir qu'il avait vu dans le jardinet du médecin des cerises superbes. Or les cerisiers poussaient mal à la Vaubyessard. M. le marquis demanda quelques boutures à Bovary, se fit un devoir de l'en remercier lui-même, aperçut Emma, trouva sa taille jolie et qu'elle ne saluait point en paysanne; si bien qu'on ne crut pas au château outre-passer les bornes de la condescendance ni, d'autre part, commettre une maladresse, en invitant le jeune ménage.
Un mercredi, à trois heures, M. et Mme Bovary, montés dans leur boc, partirent pour la Vaubyessard, avec une grande malle attachée par derrière et une boîte à chapeaux qui était posée devant le tablier. Charles avait de plus un carton entre les jambes.
Ils arrivèrent à la nuit tombante, comme l'on commençait à allumer les lampions dans le parc, afin d'éclairer les voitures.
VIII
Le château, de construction moderne, à l'italienne, avec deux ailes avançant et trois perrons, se déployait au bas d'une immense pelouse où paissaient quelques vaches, entre des bouquets de grands arbres espacés, tandis que des bannettes d'arbustes, rhododendrons, syringas et boules-de-neige bombaient leurs touffes de verdure inégales sur la ligne courbe du chemin sablé. Une rivière passait sous un pont; à travers la brune, on distinguait des bâtiments à toits de chaume, éparpillés dans la prairie, que bordaient en pente douce deux coteaux couverts de bois, et par derrière, dans les massifs, se tenaient, sur deux lignes parallèles, les remises et les écuries, restes conservés de l'ancien château démoli.
Le boc de Charles s'arrêta devant le perron du milieu; des domestiques parurent; le marquis s'avança, et, offrant son bras à la femme du médecin, l'introduisit dans le vestibule.
Il était pavé de dalles en marbre, très haut; et le bruit des pas avec celui des voix y retentissait comme dans une église. En face, montait un escalier droit; et à gauche une galerie, donnant sur le jardin, conduisait à la salle de billard, dont on entendait, dès la porte, caramboler les boules d'ivoire. Comme elle la traversait pour aller au salon, Emma vit autour du jeu des hommes à figure grave, le menton posé sur de hautes cravates, décorés tous et qui souriaient silencieusement en poussant leurs queues. Sur la boiserie sombre du lambris, de grands cadres dorés portaient au bas de leur bordure des noms écrits en lettres noires. Elle lut: «Jean-Antoine d'Andervilliers d'Yverbonville, comte de la Vaubyessard et baron de la Fresnaye, tué à la bataille de Coutras, le 20 d'octobre 1587.» Et sur un autre: «Jean-Antoine-Henri-Guy d'Andervilliers de la Vaubyessard, amiral de France et chevalier de l'ordre de Saint-Michel, blessé au combat de la Hougue-Saint-Vaast, le 29 mai 1692, mort à la Vaubyessard, le 23 de janvier 1693.» On distinguait à peine ceux qui suivaient, car la lumière des lampes, rabattue sur le tapis vert du billard, laissait flotter une ombre dans l'appartement. Brunissant les toiles horizontales, elle se brisait contre elles en arêtes fines, selon les craquelures du vernis; et de tous ces grands carrés noirs bordés d'or, sortaient, çà et là, quelque portion plus claire de la peinture, un front pâle, deux yeux qui vous regardaient, des perruques