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des titres, d'alléguer qu'il avait encore dû profiter des travaux de Carpani qui venait de publier de son côté les Rossiniane. Calomnie pure: les deux œuvres ne se ressemblent en rien. Ce n'est pas, bien entendu, que Beyle se soit privé d'emprunter de toutes parts, sinon aux livres qui ont précédé le sien, il n'y en a pas, du moins aux articles des journaux et à la conversation des dilettantes. On sait ainsi par sa correspondance qu'il réclamait à son ami de Mareste un chapitre sur l'établissement de l'opéra bouffe à Paris. Mais un fait à noter c'est le parallélisme absolu des jugements émis par Stendhal dans ses lettres intimes avec ceux que nous retrouvons dans le livre. Celui-ci ne reproduit au travers même des opinions empruntées que le jugement réfléchi de l'auteur, et dans une langue, dans un style, un tour de pensée qui n'appartiennent bien qu'à lui.

      L'ouvrage parut à son heure. L'actualité le servit: Rossini arrivait à Paris peu après sa publication. Et le succès en fut assez grand pour valoir à Beyle une réputation bien établie de mélomane. Aussi le Journal de Paris lui offrit-il de tenir la rubrique du théâtre italien dans ses colonnes. Durant près de trois ans, du 9 septembre 1824 au 8 juin 1827, il y publiera quarante-deux chroniques signées M. où il défendra ses idées les plus chères en faisant une campagne généreuse pour la musique italienne. Sans doute est-ce la seule qu'il connût bien, mais on ne peut dénier qu'il soit sur ce sujet tout à fait renseigné ni qu'il en parlât clairement et avec feu.

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      Beyle affirme que la rêverie fut ce qu'il préféra à tout, «même à passer pour homme d'esprit». Il confesse par ailleurs que son état habituel a été celui d'amant malheureux. Quelles ressources voluptueuses la musique ne devait-elle pas apporter alors à ce sentimental? «La bonne musique, dit-il dans sa Vie de Haydn, ne se trompe pas et va droit au fond de l'âme chercher le chagrin qui nous dévore.»

       Suivant M. Henri Delacroix qui en a donné une analyse fort minutieuse 4 , Stendhal a esquissé une véritable idéologie de la musique. Pour bien la dégager, il faut glaner avec patience à travers son œuvre entière. Il ne s'est pas contenté en effet de parler musique dans les livres qu'il consacre à Haydn ou à Rossini, dans les essais où il se complaît à décrire pour les mieux goûter tous les aspects de l'Italie, ou encore dans ses œuvres autobiographiques. Dans ses romans eux-mêmes il note fréquemment le pouvoir qu'une douce mélodie exerce sur une âme sensible.

      Pour lui, la musique apporte toujours une aide efficace à ses pensées. Elle le fait songer avec une intensité plus grande, avec plus de clarté, à ce qui l'occupe. Elle exalte surtout son sentiment amoureux, et il établit une analogie constante entre l'amour et la musique. Les mêmes lois du reste les régissent. On connaît le rôle de l'imagination dans l'amour d'après les théories stendhaliennes, et tout ce qu'elle apporte à la cristallisation. L'imagination de Beyle est de même si vivement fouettée par la musique qu'il n'aperçoit tout d'abord que son rôle d'excitant et qu'il note dans son Journal: «Si je perdais toute imagination, je perdrais peut-être en même temps mon goût pour la musique.»

      On découvre pareillement qu'il sent surtout la musique quand il est amoureux ou, ce qui chez lui revient à peu près au même, quand il est désolé par un amour malheureux. D'où ce corollaire: «L'habitude de la musique et de sa rêverie prédispose à l'amour.» Idée qu'il développe plusieurs fois ailleurs avec une abondante et magnifique plénitude: «Je viens d'éprouver ce soir que la musique, quand elle est parfaite, met le cœur exactement dans la même situation où il se trouve quand il jouit de la présence de ce qu'il aime; c'est-à-dire qu'elle donne le bonheur apparemment le plus vif qui existe sur cette terre.»

      Toute musique sublime nous jette donc dans une rêverie profonde et nous donne de tendres regrets en nous procurant la vue du bonheur. Or voir le bonheur, même en songe, qu'est-ce, sinon donner de l'espérance? C'est-à-dire commencer à tenir ces promesses que la beauté apporte toujours avec elle. Car en même temps que la musique fait briller l'espérance, elle console des chagrins passés: «Les beaux-arts sont faits pour consoler. C'est quand l'âme a des regrets, c'est durant les premières tristesses des jours d'automne de la vie, c'est quand on voit la méfiance s'élever comme un fantôme funeste derrière chaque haie de la campagne, qu'il est bon d'avoir recours à la musique.» Mais de même qu'un remède agit différemment suivant les tempéraments, la puissance de la musique sur un être demeure proportionnelle à la richesse de sa vie intérieure.

      S'il fallait illustrer ces théories par un exemple emprunté à la vie d'un homme et à l'histoire de sa sensibilité, on pense bien que nul mieux que Stendhal n'en fournirait plus éclatante confirmation. Ces théories ne sont en effet que les reflets de toute son existence sentimentale, les émanations mêmes de son art et de son génie. M. Romain Rolland a bien noté qu'il était tout «imprégné d'une sorte de buée musicale». Il n'écrit que pour noter les sons de son âme sur qui toute œuvre d'art, tout beau paysage joue comme un archet. Il compare sans cesse les sites pittoresques et les tableaux aux passages d'opéras qui le charmèrent le plus. Avant Baudelaire et Rimbaud il perçoit l'analogie des sons et des couleurs, quand le son de la flûte le fait songer au bleu d'outremer qu'on voit aux draperies des tableaux de Carlo Dolce. Et, pour les lecteurs de la Vie de Haydn, il ne sera point besoin d'insister sur ce singulier parallèle entre les peintres et les musiciens dont l'inspiration ou le métier ont, d'après lui, une exacte correspondance.

      Tous les héros de ses romans sont du reste à cet égard peints à sa propre ressemblance. Fabrice del Dongo pleure à chaudes larmes en entendant chanter des airs de Pergolèse et de Cimarosa; Mathilde de la Môle exalte sa passion en répétant sur son piano la cantilène qui, toute la soirée, à l'Opéra, lui a fait rêver de Julien avec extase. Et de même la musique de Mozart dans les jardins du Chasseur Vert amène à fleur d'âme le sentiment mutuel, secret encore pour eux-mêmes, de Lucien Leuwen et de Mme de Chasteller.

      C'est que pour Stendhal la musique en résumé n'est autre chose que le langage du cœur: «Dans les instants de peine et de bonheur, la situation du cœur change, à chaque seconde. Il est tout simple que nos langues vulgaires qui ne sont qu'une suite de signes convenus pour exprimer des choses généralement connues, n'aient point de signe pour exprimer de tels mouvements que vingt personnes peut-être sur mille ont éprouvés… Sept ou huit hommes de génie trouvèrent en Italie, il y a près d'un siècle, cette langue qui leur manquait.» Il importe au surplus assez peu si le grand nombre ne comprend pas cette langue, Beyle n'a jamais dédaigné pour sa part d'être classé dans l'élite. Mais quand il en vient à s'interroger sur son propre goût, il ne peut éluder cette juste question: «La musique me plaît-elle comme signe, comme souvenir du bonheur de la jeunesse, ou par elle-même? Je suis pour ce dernier avis.» Parfois il lui semble au contraire que certains airs ne lui plaisent que comme des signes, ceux mêmes de la passion à son paroxysme, mais d'autre part il croit reconnaître que c'est, dégagée de tout sens particulier, et par elle-même, que la musique du Matrimonio Segreto lui plaît tant. Il l'a peut-être entendu durant ses séjours à Paris soixante ou cent fois à l'Odéon. Pareillement le Don Juan de Mozart lui a, dit-il encore, procuré un plaisir plus vif qu'aucun ouvrage de littérature.

      En revanche, il abhorre tout ce qui est français en musique: romance, ou opéra. Et ce jugement lui est en quelque sorte dicté par sa théorie des passions, auxquelles il croit impropre le Français vain, léger, jamais mélancolique, quand l'Italien sait de plain-pied éprouver tous les transports de l'âme.

      Il est peut-être plus inattendu de voir encore Beyle préférer l'opera-buffa à l'opéra-seria: mais le premier est plein d'une vie, d'une vivacité et d'un capricieux enjouement, en face de quoi l'emphase du second, cousine germaine de l'hypocrisie, lui a toujours déplu. Sans doute aussi l'opéra-bouffe est-il plus spécifiquement italien, et cet argument a toujours son poids auprès d'un Stendhal. Une logique semblable lui fait préférer la musique vocale à la musique instrumentale. On eût pu croire que, n'étant plus bridée par les contraintes du livret, son imagination emportée par le rythme des seuls instruments vagabonderait avec plus de délices. Tout au contraire. Et il s'est expliqué fort nettement sur ce point: «Je n'ai aucun goût pour la musique

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<p>4</p>

Henri Delacroix: La Psychologie de Stendhal, 1 vol. Alcan, 1918.