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A quoi tient l'amour?. Марк Твен
Читать онлайн.Название A quoi tient l'amour?
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Марк Твен
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Le chef fit un signe aux soldats, leur adressa quelques mots en allemand, et Rouillon fut conduit dans un salon attenant à la salle à manger.
On l'y laissa seul, en attendant la fin du repas. Il put y poursuivre tranquillement ses réflexions.
Il n'entendait pas le moins du monde payer de sa vie, ou simplement de sa fortune et de sa liberté, l'absurde agression des enragés qui avaient agi malgré ses remontrances. N'était-il pas innocent? A tout prix, il fallait se tirer de cette mésaventure. Mais comment? Eh bien! en détournant l'orage sur d'autres que lui. Chacun pour soi? On se défend comme on peut.
Alors, qui sacrifier? Bah, n'importe qui! Pourtant il fallait faire un choix, donner des noms, et cela méritait quelque attention. Il baissa la tête et songea.
Quand il releva le front, une ironie sinistre luisait dans ses yeux. Ce qu'il cherchait, il l'avait trouvé.
XIV
Le commandant parut, suivi d'un jeune officier. La porte refermée, il se jeta sur le canapé, le cigare aux dents, et fit signe au prisonnier qu'il l'écoutait.
«Je n'ai pas menti, commença Rouillon d'une voix ferme. Les francs-tireurs ont fait le coup. Toutefois, la commune n'est pas complètement innocente. En cela, vous avez raison.
– Expliquez-vous.
– Le maire et les gens sensés se sont hautement opposés à tout fait de guerre. J'ai dit, moi-même, au capitaine des francs-tireurs, que c'était une lâcheté de compromettre pour rien une ville ouverte. Mais il ne cherchait sans doute qu'une occasion de se mettre en évidence; et les forcenés l'acclamaient. Que pouvions-nous faire? Protester et partir. Nous sommes donc rentrés chez nous, et nous n'avons pas vu ceux des habitants qui ont fait partie de l'expédition. Mais je puis, à coup sûr, vous en désigner trois, parce que ces trois-là se sont vantés de leurs exploits.
– Nommez-les.
– Victor Moussemond, le fils de l'huissier; Jean Savourny, l'instituteur, et Prosper Dufriche…
– Comment! le maître de cette maison où nous sommes!
– Non, son fils.
– Son fils! mais n'avait-il pas été blessé au commencement de la guerre, à Woerth? Il garde encore la chambre, nous a-t-on dit; et c'est à peine s'il peut marcher.
– Il n'est pas aussi faible qu'on le prétend. Il s'est fait conduire jusqu'au bord de la rivière. C'est lui qui, avec le capitaine, a tout dirigé.
– Vous en êtes certain?
– Je vous l'affirme.
– Bien! On s'assurera de lui. Vous guiderez mes hommes pour qu'ils arrêtent les deux autres.
– Je vous supplie de m'épargner cette démarche, qui me compromettrait sans nécessité.
– Désignez donc d'une façon précise les personnes et les domiciles.
Wilhelm, déliez-lui les mains et donnez-lui de quoi écrire.»
Le jeune officier arracha une feuille de son carnet, la posa sur le guéridon avec un gros crayon rouge, et délia Rouillon.
«Écrivez!» dit à ce dernier le commandant.
Rouillon hésitait.
«Soyez tranquille, ricana Wilhelm. Nous ne laissons pas tramer les pièces compromettantes. Cela vous engagera envers nous. Voilà tout.
– Aimez-vous mieux quelques balles dans la tête?» ajouta le chef.
Rouillon vit qu'il fallait se résigner. Il prit le crayon rouge et écrivit.
«Moussemond et Savourny demeurent-ils tous les deux du même côté? lui demanda le commandant lorsqu'il eut fini d'écrire.
– Non, ils habitent aux deux extrémités de la ville.
– Wilhelm, afin d'aller plus vite, vous commanderez une escouade pour chacun d'eux. Transcrivez en allemand chaque indication sur une feuille séparée. Vous garderez l'original comme justification.»
Puis, se tournant vers Rouillon:
«Vous êtes libre. Partez!»
Et comme Rouillon s'en allait:
«Mais j'y pense, Wilhelm, donnez-lui un sauf-conduit. Il se peut qu'il ait besoin de nous, comme il se peut que nous ayons besoin de lui.»
XV
Il n'y avait point dix minutes que Rouillon était parti, et les deux escouades venaient à peine de s'éloigner avec les indications transcrites, quand, à trois cents pas environ de la Villa des Roses, une vive fusillade éclata dans la campagne. Le chef allemand se dressa au bruit, jeta son cigare, ouvrit précipitamment la fenêtre. Wilhelm courut aux nouvelles.
La note écrite par Rouillon était restée sur le guéridon. Un courant d'air l'enleva, et, par la porte béante, l'emporta dans la salle à manger, où Madeleine, demeurée seule, desservait. Elle ramassa instinctivement ce bout de papier, y jeta les yeux, fut stupéfaite d'y reconnaître une écriture qui lui avait été familière, entendit les pas des officiers qui rentraient, cacha la feuille dans son corsage et regagna vite la cuisine.
XVI
La fusillade s'éteignait au loin. L'alerte avait été brève, mais sérieuse. Les francs-tireurs avaient eu l'audace de revenir par le fourré jusqu'à la lisière du bois. De là, à leur aise, ils avaient abattu d'un seul coup une vingtaine d'hommes sous leurs balles. Maintenant, ils se dérobaient sans qu'on pût les poursuivre utilement. On dut se contenter d'envoyer au hasard quelques volées de mitraille dans la forêt.
Ce retour offensif déchaîna la fureur des Allemands.
Le premier moment d'alarme passé, ils commencèrent le pillage et l'incendie avec une décision impitoyable, avec une sauvagerie savante.
Tous les habitants ne se laissèrent pas dévaliser sans résistance. Il y eut des protestations, des rixes, qui redoublèrent l'acharnement des pillards. Quiconque résistait était lié et cruellement battu.
Un perruquier de soixante ans, vieux soldat d'Afrique, renversa sur le pavé un sous-officier qui avait vidé sa caisse et voulait lui arracher sa montre. On fit le siège de la boutique. Le vieux se défendit avec une énergie désespérée. Il assomma deux des assaillants. A la fin, il succomba. Criblé de coups, lardé par les baïonnettes, il fut pris, traîné, foulé aux pieds dans le ruisseau sanglant. Avec ses rasoirs, on lui coupa le nez, les oreilles, les poignets. Puis on lui creva les yeux, et on le jeta, mort ou moribond, dans les ruines de sa pauvre bicoque, au milieu des flammes.
XVII
Victor Moussemond et l'instituteur avaient été conduits à la Villa des
Roses.
M. Dufriche les vit arriver et demanda au commandant ce qu'on leur reprochait.
«Faites descendre votre fils! lui dit celui-ci pour toute réponse.
– Mon fils! Vous savez bien qu'il ne peut pas bouger. Il se soutient à peine sur ses béquilles.
– Qu'il vienne immédiatement, ou on ira le chercher.»
Prosper descendit, aidé par son père.
«L'autre nuit, vous avez soulevé contre nous les gens de Verval. Vous avez dirigé l'attaque du pont.
– Moi! Est-ce possible? Vous voyez dans quel état je suis. Je n'ai pas quitté la maison une minute.
– Vous ne pouvez guère marcher, c'est vrai; mais on vous a conduit.
– Qui vous a dit cela?
– Je n'ai pas de comptes à vous rendre. Mes renseignements sont sûrs.
– Je vous jure qu'on vous a trompé.
– Prenez vos dernières dispositions; vous serez fusillé avec ces deux hommes, qui sont coupables