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Les Quarante-Cinq — Tome 3. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Les Quarante-Cinq — Tome 3
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
— Madame, dit alors Remy, nous ne sommes plus dans un pays calme, ni dans une situation ordinaire; il ne convient pas que nous nous exposions comme des enfants. Nous allons certainement tomber dans une bande de Français ou de Flamands, sans compter les partisans espagnols, car, dans la situation étrange où sont les Flandres, les routiers de toutes les espèces, les aventuriers de tous les pays doivent y pulluler; si vous étiez un homme je vous tiendrais un autre langage: mais vous êtes femme, vous êtes jeune, vous êtes belle, vous courrez donc un double danger pour votre vie et pour votre honneur.
— Oh! ma vie, ma vie, ce n'est rien, dit la dame.
— C'est tout, au contraire, madame, répondit Remy, lorsque la vie a un but.
— Eh bien, que proposez-vous alors? Pensez et agissez pour moi, Remy; vous savez que ma pensée, à moi, n'est pas sur cette terre.
— Alors, madame, répondit le serviteur, demeurons ici, si vous m'en croyez, j'y vois beaucoup de maisons qui peuvent offrir un abri sûr; j'ai des armes, nous nous défendrons ou nous nous cacherons, selon que j'estimerai que nous serons assez forts ou trop faibles.
— Non, Remy, non, je dois aller en avant, rien ne m'arrêtera, répondit la dame en secouant la tête; je ne concevrais de craintes que pour vous, si j'avais des craintes.
— Alors, fit Remy, marchons.
Et il poussa son cheval sans ajouter une parole.
La dame inconnue le suivit, et Henri du Bouchage, qui s'était arrêté en même temps qu'eux, se remit en marche avec eux.
LXIX
L'EAU
À fur et à mesure que les voyageurs avançaient, le pays prenait un aspect étrange.
Il semblait que les campagnes fussent désertées comme les bourgs et les villages.
En effet, nulle part les vaches paissant dans les prairies, nulle part la chèvre se suspendant aux flancs de la montagne, ou se dressant le long des haies pour atteindre les bourgeons verts des ronces et des vignes vierges, nulle part le troupeau et son berger, nulle part la charrue et son travailleur, plus de marchand forain passant d'un pays à un autre, sa balle sur le dos, plus de charretier chantant le chant rauque de l'homme du Nord, et qui se balance en marchant près de sa lourde charrette un fouet bruyant à la main.
Aussi loin que s'étendait la vue dans ces plaines magnifiques, sur les petits coteaux, dans les grandes herbes, à la lisière des bois, pas une figure humaine, pas une voix.
On eût dit la nature la veille du jour où l'homme et les animaux furent créés.
Le soir venait. Henri, saisi de surprise et rapproché par le sentiment des voyageurs qui le précédaient, Henri demandait à l'air, aux arbres, aux horizons lointains, aux nuages mêmes, l'explication de ce phénomène sinistre.
Les seuls personnages qui animassent cette morne solitude, c'étaient, se détachant sur la teinte pourprée du soleil couchant, Remy et sa compagne, penchés pour écouter si quelque bruit ne viendrait pas jusqu'à eux; puis, en arrière, à cent pas d'eux, la figure de Henri, conservant sans cesse la même distance et la même attitude.
La nuit descendit sombre et froide, le vent du nord-ouest siffla dans l'air, et emplit ces solitudes de son bruit plus menaçant que le silence.
Remy arrêta sa compagne, en posant la main sur les rênes de son cheval:
— Madame, lui dit-il, vous savez si je suis inaccessible à la crainte, vous savez si je ferais un pas en arrière pour sauver ma vie; eh bien! ce soir, quelque chose d'étrange se passe en moi, une torpeur inconnue enchaîne mes facultés, me paralyse, et me défend d'aller plus loin. Madame, appelez cela terreur, timidité, panique même; madame, je vous le confesse: pour la première fois de ma vie... j'ai peur.
La dame se retourna; peut-être tous ces présages menaçants lui avaient-ils échappé, peut-être n'avait-elle rien vu.
— Il est toujours là? demanda-t-elle.
— Oh! ce n'est plus de lui qu'il est question, répondit Remy; ne songez plus à lui, je vous prie; il est seul et je vaux un homme seul. Non, le danger que je crains ou plutôt que je sens, que je devine, avec un sentiment d'instinct bien plutôt qu'à l'aide de ma raison; ce danger, qui s'approche, qui nous menace, qui nous enveloppe peut-être, ce danger est autre; il est inconnu, et voilà pourquoi je l'appelle un danger.
La dame secoua la tête.
— Tenez, madame, dit Remy, voyez-vous là-bas des saules qui courbent leurs cimes noires?
— Oui.
— A côté de ces arbres j'aperçois une petite maison; par grâce, allons-y; si elle est habitée, raison de plus pour que nous y demandions l'hospitalité; si elle ne l'est pas, emparons-nous-en; madame, ne faites pas d'objection, je vous en supplie.
L'émotion de Remy, sa voix tremblante, l'incisive persuasion de ses discours décidèrent sa compagne à céder.
Elle tourna la bride de son cheval dans la direction indiquée par Remy.
Quelques minutes après, les voyageurs heurtaient à la porte de cette maison, bâtie en effet sous un massif de saules.
Un ruisseau, affluent de la Nethe, petite rivière qui coulait à un quart de lieue de là; un ruisseau enfermé entre deux bras de roseaux et deux rives de gazon, baignait le pied des saules de son eau murmurante; derrière la maison, bâtie en briques et couverte de tuiles, s'arrondissait un petit jardin, enclos d'une haie vive.
Tout cela était vide, solitaire, désolé.
Personne ne répondit aux coups redoublés que frappèrent les voyageurs.
Remy n'hésita point: il tira son couteau, coupa une branche de saule, l'introduisit entre la porte et la serrure, et pesa sur le pène.
La porte s'ouvrit.
Remy entra vivement. Il mettait à toutes ses actions depuis une heure l'activité d'un homme travaillé par la fièvre. La serrure, produit grossier de l'industrie d'un forgeron voisin, avait cédé presque sans résistance.
Remy poussa précipitamment sa compagne dans la maison, poussa la porte derrière lui, tira un verrou massif, et ainsi retranché, respira comme s'il venait de gagner la vie.
Non content d'avoir abrité ainsi sa maîtresse, il l'installa dans l'unique chambre du premier étage, où, en tâtonnant, il rencontra un lit, une chaise et une table.
Puis, un peu tranquillisé sur son compte, il redescendit au rez-de- chaussée, et, par un contrevent entr'ouvert, il se mit à guetter par une fenêtre grillée les mouvements du comte, qui, en les voyant entrer dans la maison, s'en était rapproché à l'instant même.
Les réflexions de Henri étaient sombres et en harmonie avec celles de Remy.
— Bien certainement, se disait-il, quelque danger inconnu à nous, mais connu des habitants, plane sur le pays: la guerre ravage la contrée; les Français ont emporté Anvers ou vont l'emporter: saisis de terreur, les paysans ont été chercher un refuge dans les villes.
Cette explication était spécieuse, et cependant elle ne satisfaisait pas le jeune homme.
D'ailleurs elle le ramenait à un autre ordre de pensées.
— Que vont faire de ce côté Remy et sa maîtresse? se demandait-il. Quelle impérieuse nécessité les pousse vers ce danger terrible? Oh! je le saurai, car le moment est enfin venu de parler à cette femme et d'en finir à jamais avec tous mes doutes. Nulle part encore l'occasion ne s'est présentée aussi belle.
Et il s'avança vers la maison.
Mais tout à coup il s'arrêta.
— Non, non, dit-il avec une de ces