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Les compagnons de Jéhu. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Les compagnons de Jéhu
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Les deux hommes étaient restés à causer et à se promener dans le parc.
Madame de Montrevel écouta sur ses prouesses le récit légèrement gascon d'Édouard; puis elle le regarda avec cette longue et sainte tristesse des mères pour lesquelles la gloire n'est pas une compensation du sang qu'elle fait répandre.
Oh! bien ingrat lenfant qui a vu ce regard se fixer sur lui, et qui ne se rappelle pas éternellement ce regard!
Puis, au bout de quelques secondes de cette contemplation douloureuse, serrant son second fils contre son coeur:
– Et toi aussi, murmura-t-elle en éclatant en sanglots, toi aussi, un jour tu abandonneras donc ta mère?
– Oui, ma mère, dit lenfant, mais pour devenir général comme mon père, ou aide de camp comme mon frère.
– Et pour te faire tuer comme s'est fait tuer ton père, et comme se fera tuer ton frère, peut-être.
Car ce changement étrange qui s'était fait dans le caractère de Roland n'avait point échappé à madame de Montrevel, et c'était une inquiétude de plus à ajouter à ses autres inquiétudes.
Au nombre de ces dernières, il fallait ranger cette rêverie et cette pâleur d'Amélie.
Amélie atteignait dix-sept ans, sa jeunesse avait été celle d'une enfant rieuse, pleine de joie et de santé.
La mort de son père était venue jeter un voile noir sur sa jeunesse et sur sa gaieté; mais ces orages du printemps passent vite: le sourire ce beau soleil de Taube de la vie, était revenu, et, comme celui de la nature, il avait brillé à travers cette rosée du coeur qu'on appelle les larmes.
Puis, un jour – il y avait six mois de cela, à peu près – le front d'Amélie s'était attristé, ses joues avaient pâli, et de même que les oiseaux voyageurs s'éloignent à lapproche des temps brumeux, les rires enfantins qui s'échappent des lèvres entr'ouvertes et des dents blanches, s'étaient envolés de la bouche d'Amélie, mais pour ne pas revenir.
Madame de Montrevel avait interrogé sa fille; mais Amélie avait prétendu être toujours la même: elle avait fait un effort pour sourire; puis comme une pierre jetée dans un lac y crée des cercles mouvants qui s'effacent peu à peu, les cercles créés par les inquiétudes maternelles s'étaient peu à peu effacés du visage d'Amélie.
Avec cet instinct admirable des mères, madame de Montrevel avait songé à l'amour; mais qui pouvait aimer Amélie? On ne recevait personne au château des Noires-Fontaines; les troubles politiques avaient détruit la société, et Amélie ne sortait jamais seule.
Madame de Montrevel avait donc été forcée d'en rester aux conjectures.
Le retour de Roland lui avait un instant rendu l'espoir; mais cet espoir avait bientôt disparu lorsqu'elle avait vu l'impression produite sur Amélie par ce retour.
Ce n'était point une soeur, c'était un spectre, on se le rappelle, qui était venu au-devant de lui.
Depuis l'arrivée de son fils, madame de Montrevel n'avait pas perdu de vue Amélie, et, avec un étonnement douloureux, elle s'était aperçue de l'effet que causait sur sa soeur la présence du jeune officier; c'était presque de l'effroi.
Il n'y avait qu'un instant encore, Amélie n'avait-elle pas profité du premier moment de liberté qui s'était offert à elle pour remonter dans sa chambre, seul endroit du château où elle parût se trouver à peu près bien, et où elle passait, depuis six mois, la plus grande partie de son temps.
La journée s'était passée, pour Roland et pour sir John, à visiter Bourg, comme nous l'avons dit, et à faire les préparatifs de la chasse du lendemain.
Du matin à midi, on devait faire une battue; de midi au soir on devait chasser à courre. Michel, braconnier enragé, retenu sur sa chaise par une entorse, comme l'avait raconté le petit Édouard à son frère, s'était senti soulagé dès qu'il s'était agi de chasse, et s'était hissé sur un petit cheval qui servait à faire les courses de la maison, pour aller retenir les rabatteurs à Saint- Just et à Montagnat.
Lui, qui ne pouvait ni rabattre ni courir, se tiendrait avec la meute, les chevaux de sir John et de Roland et le poney d'Édouard, au centre à peu près de la forêt, percée seulement d'une grande route et de deux sentiers praticables.
Les rabatteurs, qui ne pouvaient suivre une chasse à courre, reviendraient au château avec le gibier tué.
Le lendemain, à six heures du matin, les rabatteurs étaient à la porte.
Michel ne devait partir avec les chiens et les chevaux quà onze heures.
Le château des Noires-Fontaines touchait à la forêt même de Seillon; on pouvait donc se mettre en chasse immédiatement après la sortie de la grille.
Comme la battue promettait surtout des daims, des chevreuils et des lièvres, elle devait se faire à plomb. Roland donna à Édouard un fusil simple qui lui avait servi à lui-même quand il était enfant, et avec lequel il avait fait ses premières armes; il n'avait point encore assez de confiance dans la prudence de l'enfant pour lui confier un fusil à deux coups.
Quant à la carabine que sir John lui avait donnée la veille, c'était un canon rayé qui ne pouvait porter que la balle. Elle avait donc été remise aux mains de Michel, et devait, dans le cas où on lancerait un sanglier, être remise à l'enfant pour la seconde partie de la chasse.
Pour cette seconde partie de la chasse, Roland et sir John changeraient aussi de fusils et seraient armés de carabines à deux coups et de couteaux de chasse pointus comme des poignards, affilés comme des rasoirs, qui faisaient partie de l'arsenal de sir John, et qui pouvaient indifféremment se pendre au côté ou se visser au bout du canon, en guise de baïonnette.
Dès la première battue, il fut facile de voir que la chasse serait bonne: on tua un chevreuil et deux lièvres.
À midi, trois daims, sept chevreuils et deux renards avaient été tués: on avait vu deux sangliers; mais, aux coups de gros plomb qu'ils avaient reçus, ils s'étaient contentés de répondre en secouant la peau et avaient disparu.
Édouard était au comble de la joie: il avait tué un chevreuil.
Comme il était convenu, les rabatteurs, bien récompensés de la fatigue qu'ils avaient prise, avaient été envoyés au château avec le gibier.
On sonna d'une espèce de cornet pour savoir où était Michel;
Michel répondit.
En moins de dix minutes, les trois chasseurs furent réunis au jardinier, à la meute et aux chevaux.
Michel avait eu connaissance d'un ragot; il l'avait fait détourner par l'aîné de ses fils: il était dans une enceinte, à cent pas des chasseurs.
Jacques – c'était l'aîné des fils de Michel – fourra l'enceinte avec sa tête de meute, Barbichon et Ravaude; au bout de cinq minutes, le sanglier tenait à la bauge.
On eût pu le tuer tout de suite, ou du moins le tirer, mais la chasse eût été trop tôt finie; on lâcha toute la meute sur lanimal, qui, voyant ce troupeau de pygmées fondre sur lui, partit au petit trot.
Il traversa la route; Roland sonna la vue, et, comme l'animal prenait son parti du côté de la chartreuse de Seillon, les trois cavaliers enfilèrent le sentier qui coupait le bois dans toute sa longueur.
L'animal se fit battre jusqu'à cinq heures du soir, revenant sur ses voies et ne pouvant pas se décider à quitter une forêt si bien fourrée.
Enfin, vers cinq heures, on comprit, à la violence et à l'intensité des abois, que l'animal tenait aux chiens.
C'était à une centaine de pas du pavillon dépendant de la chartreuse, à l'un des endroits les plus difficiles de la forêt. Il était impossible de pénétrer à cheval jusqu'à la bête. On mit pied à terre.
Les abois des chiens guidaient les chasseurs, de manière qu'ils ne