Скачать книгу

demander, à lui.

      – Mauvaise tête! ne va pas te faire une autre affaire de ce côté- là.

      – Dans tous les cas, comme c'est un ennemi, ce ne serait plus un duel, ce serait un combat.

      – Allons, encore une fois, au revoir et embrasse-moi.

      Roland se jeta avec un mouvement de reconnaissance passionnée au cou de celui qui venait de lui donner cette permission.

      – Oh! général! s'écria-t-il, que je serais heureux… si je n'étais pas si malheureux!

      Le général le regarda avec une affection profonde.

      – Un jour, tu me conteras ton malheur, n'est-ce pas, Roland? dit- il.

      Roland éclata de ce rire douloureux qui, deux ou trois fois déjà, s'était fait jour entre ses lèvres.

      – Oh! par ma foi, non, dit-il, vous en ririez trop.

      Le général le regarda comme il eût regardé un fou.

      – Enfin, dit-il, il faut prendre les gens comme ils sont.

      – Surtout lorsqu'ils ne sont pas ce qu'ils paraissent être.

      – Tu me prends pour OEdipe, et tu me poses des énigmes, Roland.

      – Ah! si vous devinez celle-là, général, je vous salue roi de Thèbes. Mais, avec toutes mes folies, j'oublie que chacune de vos minutes est précieuse et que je vous retiens ici inutilement.

      – Tu as raison. As-tu des commissions pour Paris?

      – Trois, mes amitiés à Bourrienne, mes respects à votre frère

      Lucien, et mes plus tendres hommages à madame Bonaparte.

      – Il sera fait comme tu le désires.

      – Où vous retrouverai-je, à Paris?

      – Dans ma maison de la rue de la

      Victoire, et peut-être…

      –

      – Peut-être…

      – Qui sait? peut-être au Luxembourg!

      Puis, se rejetant en arrière, comme s'il regrettait d'en avoir tant dit, même à celui qu'il regardait comme son meilleur ami:

      – Route d'Orange! cria-t-il au postillon, et le plus vite possible.

      Le postillon, qui n'attendait qu'un ordre, fouetta ses chevaux; la voiture partit, rapide et grondante comme la foudre, et disparut par la porte d'Oulle.

      III – L'ANGLAIS

      Roland resta immobile à sa place, non seulement tant qu'il put voir la voiture, mais encore longtemps après qu'elle eut disparu.

      Puis, secouant la tête comme pour faire tomber de son front le nuage qui l'assombrissait, il rentra dans l'hôtel et demanda une chambre.

      – Conduisez monsieur au n° 3, dit l'hôte à une femme de chambre.

      La femme de chambre prit une clef suspendue à une large tablette de bois noir, sur laquelle étaient rangés, sur deux lignes, des numéros blancs, et fit signe au jeune voyageur qu'il pouvait la suivre.

      – Faites-moi monter du papier, une plume et de l'encre, dit le jeune homme à l'hôte, et si M. de Barjols s'informe où je suis, donnez-lui le numéro de ma chambre.

      L'hôte promit de se conformer aux intentions de Roland, qui monta derrière la fille en sifflant la Marseillaise.

      Cinq minutes après, il était assis près d'une table, ayant devant lui le papier, la plume, l'encre demandés, et s'apprêtant à écrire.

      Mais, au moment où il allait tracer la première ligne, on frappa trois coups à sa porte.

      – Entrez, dit-il en faisant pirouetter sur un de ses pieds de derrière le fauteuil dans lequel il était assis, afin de faire face au visiteur, qui, dans son appréciation, devait être soit M. de Barjols, soit un de ses amis.

      La porte s'ouvrit d'un mouvement régulier comme celui d'une mécanique, et l'Anglais parut sur le seuil.

      – Ah! s'écria Roland, enchanté de la visite au point de vue de la recommandation que lui avait faite son général, c'est vous?

      – Oui, dit l'Anglais, c'est moi.

      – Soyez le bienvenu.

      – Oh! que je sois le bienvenu, tant mieux! car je ne savais pas si je devais venir.

      – Pourquoi cela?

      – À cause d'Aboukir.

      Roland se mit à rire.

      – Il y a deux batailles d'Aboukir, dit-il: celle que nous avons perdue, celle que nous avons gagnée.

      – À cause de celle que vous avez perdue.

      – Bon! dit Roland, on se bat, on se tue, on s'extermine sur le champ de bataille; mais cela n'empêche point quon ne se serre la main quand on se rencontre en terre neutre. Je vous répète donc, soyez le bienvenu, surtout si vous voulez bien me dire pourquoi vous venez.

      – Merci; mais, avant tout, lisez ceci.

      Et l'Anglais tira un papier de sa poche.

      – Qu'est-ce? demanda Roland.

      – Mon passeport.

      – Qu'ai-je affaire de votre passeport? demanda Roland; je ne suis pas gendarme.

      – Non; mais comme je viens vous offrir mes services, peut-être ne les accepteriez-vous point, si vous ne saviez pas qui je suis.

      – Vos services, monsieur?

      – Oui; mais lisez.

      «Au nom de la République française, le Directoire exécutif invite à laisser circuler librement, et à lui prêter aide et protection en cas de besoin, sir John Tanlay, dans toute létendue du territoire de la République.

      «Signé: FOUCHÉ.»

      – Et plus bas, voyez.

      «Je recommande tout particulièrement à qui de droit sir John

      Tanlay comme un philanthrope et un ami de la liberté.

      «Signé: BARRAS.»

      – Vous avez lu?

      – Oui, j'ai lu; après?..

      – Oh! après?.. Mon père, milord Tanlay, a rendu des services à

      M. Barras; c'est pourquoi M. Barras permet que je me promène en

      France, et je suis bien content de me promener en France; je m'amuse beaucoup.

      – Oui, je me le rappelle, sir John; vous nous avez déjà fait l'honneur de nous dire cela à table.

      – Je l'ai dit, c'est vrai; j'ai dit aussi que j'aimais beaucoup les Français.

      Roland s'inclina.

      – Et surtout le général Bonaparte, continua sir John.

      – Vous aimez beaucoup le général Bonaparte?

      – Je l'admire; c'est un grand, un très grand homme.

      – Ah! pardieu! sir John, je suis fâché qu'il n'entende pas un

      Anglais dire cela de lui..

      – Oh! s'il était là, je ne le dirais point.

      – Pourquoi?

      – Je ne voudrais pas qu'il crût que je dis cela pour lui faire plaisir, je dis cela parce que c'est mon opinion.

      – Je n'en doute pas, milord, fit Roland, qui ne savait pas où l'Anglais en voulait venir, et qui, ayant appris par le passeport ce qu'il voulait savoir, se tenait sur la réserve.

      – Et quand j'ai vu, continua l'Anglais avec le même flegme, quand j'ai vu que vous preniez le parti du général Bonaparte, cela m'a fait plaisir.

      – Vraiment?

      – Grand

Скачать книгу