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Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Le vicomte de Bragelonne, Tome III.
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Sire, balbutia-t-elle, pardonnez-moi.
– Eh! mademoiselle, que voulez-vous que je vous pardonne? demanda
Louis XIV.
– Sire, j'ai commis une grande faute, plus qu'une grande faute, un grand crime.
– Vous?
– Sire, j'ai offensé Votre Majesté.
– Pas le moins du monde, répondit Louis XIV.
– Sire, je vous en supplie, ne gardez point vis-à-vis de moi cette terrible gravité qui décèle la colère bien légitime du roi. Je sens que je vous ai offensé, Sire; mais j'ai besoin de vous expliquer comment je ne vous ai point offensé de mon plein gré.
– Et d'abord, mademoiselle, dit le roi, en quoi m'auriez-vous offensé? Je ne le vois pas. Est-ce par une plaisanterie de jeune fille, plaisanterie fort innocente? Vous vous êtes raillée d'un jeune homme crédule: c'est bien naturel; toute autre femme à votre place eût fait ce que vous avez fait.
– Oh! Votre Majesté m'écrase avec ces paroles.
– Et pourquoi donc?
– Parce que, si la plaisanterie fût venue de moi, elle n'eût pas été innocente.
– Enfin, mademoiselle, reprit le roi, est-ce là tout ce que vous aviez à me dire en me demandant une audience?
Et le roi fit presque un pas en arrière.
Alors La Vallière, avec une voix brève et entrecoupée, avec des yeux desséchés par le feu des larmes, fit à son tour un pas vers le roi.
– Votre Majesté a tout entendu? dit-elle.
– Tout, quoi?
– Tout ce qui a été dit par moi au chêne royal?
– Je n'en ai pas perdu une seule parole, mademoiselle.
– Et Votre Majesté, lorsqu'elle m'eut entendue, a pu croire que j'avais abusé de sa crédulité.
– Oui, crédulité, c'est bien cela, vous avez dit le mot.
– Et Votre Majesté n'a pas soupçonné qu'une pauvre fille comme moi peut être forcée quelquefois de subir la volonté d'autrui?
– Pardon, mais je ne comprendrai jamais que celle dont la volonté semblait s'exprimer si librement sous le chêne royal se laissât influencer à ce point par la volonté d'autrui.
– Oh! mais la menace, Sire!
– La menace!.. Qui vous menaçait? qui osait vous menacer?
– Ceux qui ont le droit de le faire, Sire.
– Je ne reconnais à personne le droit de menace dans mon royaume.
– Pardonnez-moi, Sire, il y a près de Votre Majesté même des personnes assez haut placées pour avoir ou pour se croire le droit de perdre une jeune fille sans avenir, sans fortune, et n'ayant que sa réputation.
– Et comment la perdre?
– En lui faisant perdre cette réputation par une honteuse expulsion.
– Oh! mademoiselle, dit le roi avec une amertume profonde, j'aime fort les gens qui se disculpent sans incriminer les autres.
– Sire!
– Oui, et il m'est pénible, je l'avoue, de voir qu'une justification facile, comme pourrait l'être la vôtre, se vienne compliquer devant moi d'un tissu de reproches et d'imputations.
– Auxquelles vous n'ajoutez pas foi alors? s'écria La Vallière.
Le roi garda le silence.
– Oh! dites-le donc! répéta La Vallière avec véhémence.
– Je regrette de vous l'avouer, répéta le roi en s'inclinant avec froideur.
– La jeune fille poussa une profonde exclamation, et, frappant ses mains l'une dans l'autre:
– Ainsi vous ne me croyez pas? dit-elle.
Le roi ne répondit rien.
Les traits de La Vallière s'altérèrent à ce silence.
– Ainsi vous supposez que moi, moi! dit-elle, j'ai ourdi ce ridicule, cet infâme complot de me jouer aussi imprudemment de Votre Majesté?
– Eh! mon Dieu! ce n'est ni ridicule ni infâme, dit le roi; ce n'est pas même un complot: c'est une raillerie plus ou moins plaisante, voilà tout.
– Oh! murmura la jeune fille désespérée, le roi ne me croit pas, le roi ne veut pas me croire.
– Mais non, je ne veux pas vous croire.
– Mon Dieu! mon Dieu!
– Écoutez: quoi de plus naturel, en effet? Le roi me suit, m'écoute, me guette; le roi veut peut-être s'amuser à mes dépens, amusons-nous aux siens, et, comme le roi est un homme de coeur, prenons-le par le coeur.
La Vallière cacha sa tête dans ses mains en étouffant un sanglot. Le roi continua impitoyablement; il se vengeait sur la pauvre victime de tout ce qu'il avait souffert.
– Supposons donc cette fable que je l'aime et que je l'aie distingué. Le roi est si naïf et si orgueilleux à la fois, qu'il me croira, et alors nous irons raconter cette naïveté du roi, et nous rirons.
– Oh! s'écria La Vallière, penser cela, penser cela, c'est affreux!
– Et, poursuivit le roi, ce n'est pas tout: si ce prince orgueilleux vient à prendre au sérieux la plaisanterie, s'il a l'imprudence d'en témoigner publiquement quelque chose comme de la joie, eh bien! devant toute la cour, le roi sera humilié; or, ce sera, un jour, un récit charmant à faire à mon amant, une part de dot à apporter à mon mari, que cette aventure d'un roi joué par une malicieuse jeune fille.
– Sire! s'écria La Vallière égarée, délirante, pas un mot de plus, je vous en supplie; vous ne voyez donc pas que vous me tuez?
– Oh! raillerie, murmura le roi, qui commençait cependant à s'émouvoir.
La Vallière tomba à genoux, et cela si rudement, que ses genoux résonnèrent sur le parquet.
Puis, joignant les mains:
– Sire, dit-elle, je préfère la honte à la trahison.
– Que faites-vous? demanda le roi, mais sans faire un mouvement pour relever la jeune fille.
– Sire, quand je vous aurai sacrifié mon honneur et ma raison, vous croirez peut-être à ma loyauté. Le récit qui vous a été fait chez Madame et par Madame est un mensonge; ce que j'ai dit sous le grand chêne…
– Eh bien?
– Cela seulement, c'était la vérité.
– Mademoiselle! s'écria le roi.
– Sire, s'écria La Vallière entraînée par la violence de ses sensations, Sire, dussé-je mourir de honte à cette place où sont enracinés mes deux genoux, je vous le répéterai jusqu'à ce que la voix me manque: j'ai dit que je vous aimais… eh bien! je vous aime!
– Vous?
– Je vous aime, Sire, depuis le jour où je vous ai vu, depuis qu'à Blois, où je languissais, votre regard royal est tombé sur moi, lumineux et vivifiant; je vous aime! Sire. C'est un crime de lèse-majesté, je le sais, qu'une pauvre fille comme moi aime son roi et le lui dise. Punissez-moi de cette audace, méprisez-moi pour cette imprudence; mais ne dites jamais, mais ne croyez jamais que je vous ai raillé, que je vous ai trahi. Je suis d'un sang fidèle à la royauté, Sire; et j'aime… j'aime mon roi!.. Oh! je me meurs!
Et tout à coup, épuisée de force, de voix, d'haleine, elle tomba pliée en deux, pareille à cette fleur dont parle Virgile et qu'a touchée la faux du moissonneur.
Le