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Le vicomte de Bragelonne, Tome I.. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Le vicomte de Bragelonne, Tome I.
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Que pensez-vous donc que veuille Monck, alors?
– Eh! si je le savais, Sire, je ne vous dirais pas de vous défier de lui, car je serais plus fort que lui; mais avec lui j'ai peur de deviner; de deviner! vous comprenez mon mot? car si je crois avoir deviné, je m'arrêterai à une idée, et, malgré moi, je poursuivrai cette idée. Depuis que cet homme est au pouvoir là- bas, je suis comme ces damnés de Dante à qui Satan a tordu le cou, qui marchent en avant et qui regardent en arrière: je vais du côté de Madrid, mais je ne perds pas de vue Londres. Deviner, avec ce diable d'homme, c'est se tromper, et se tromper, c'est se perdre. Dieu me garde de jamais chercher à deviner ce qu'il désire; je me borne, et c'est bien assez, à espionner ce qu'il fait; or, je crois – vous comprenez la portée du mot je crois? je crois, relativement à Monck, n'engage à rien – , je crois qu'il a tout bonnement envie de succéder à Cromwell. Votre Charles II lui a déjà fait faire des propositions par dix personnes; il s'est contenté de chasser les dix entremetteurs sans rien leur dire autre chose que: «Allez-vous-en, ou je vous fais pendre!» C'est un sépulcre que cet homme! Dans ce moment-ci, Monck fait du dévouement au Parlement Croupion; de ce dévouement, par exemple, je ne suis pas dupe: Monck ne veut pas être assassiné. Un assassinat l'arrêterait au milieu de son oeuvre, et il faut que son oeuvre s'accomplisse; aussi je crois, mais ne croyez pas ce que je crois, je dis je crois par habitude; je crois que Monck ménage le Parlement jusqu'au moment où il le brisera. On vous demande des épées, mais c'est pour se battre contre Monck. Dieu nous garde de nous battre contre Monck, Sire, car Monck nous battra, et battu par Monck, je ne m'en consolerais de ma vie! Cette victoire, je me dirais que Monck la prévoyait depuis dix ans. Pour Dieu! Sire, par amitié pour vous, si ce n'est par considération pour lui, que Charles II se tienne tranquille; Votre Majesté lui fera ici un petit revenu; elle lui donnera un de ses châteaux. Eh! eh! attendez donc! mais je me rappelle le traité, ce fameux traité dont nous parlions tout à l'heure! Votre Majesté n'en a pas même le droit, de lui donner un château!
– Comment cela?
– Oui, oui, Sa Majesté s'est engagée à ne pas donner l'hospitalité au roi Charles, à le faire sortir de France même. C'est pour cela que vous ferez comprendre à votre frère qu'il ne peut rester chez nous, que c'est impossible, qu'il nous compromet, ou moi-même…
– Assez, monsieur! dit Louis XIV en se levant. Que vous me refusiez un million, vous en avez le droit: vos millions sont à vous; que vous me refusiez deux cents gentilshommes, vous en avez le droit encore, car vous êtes Premier ministre, et vous avez, aux yeux de la France, la responsabilité de la paix et de la guerre; mais que vous prétendiez m'empêcher, moi le roi, de donner l'hospitalité au petit-fils de Henri IV, à mon cousin germain, au compagnon de mon enfance! là s'arrête votre pouvoir, là commence ma volonté.
– Sire, dit Mazarin, enchanté d'en être quitte à si bon marché, et qui n'avait d'ailleurs si chaudement combattu que pour en arriver là; Sire, je me courberai toujours devant la volonté de mon roi; que mon roi garde donc près de lui ou dans un de ses châteaux le roi d'Angleterre, que Mazarin le sache, mais que le ministre ne le sache pas.
– Bonne nuit, monsieur, dit Louis XIV, je m'en vais désespéré.
– Mais convaincu, c'est tout ce qu'il me faut, Sire, répliqua
Mazarin.
Le roi ne répondit pas, et se retira tout pensif, convaincu, non pas de tout ce que lui avait dit Mazarin, mais d'une chose au contraire qu'il s'était bien gardé de lui dire, c'était de la nécessité d'étudier sérieusement ses affaires et celles de l'Europe, car il les voyait difficiles et obscures.
Louis retrouva le roi d'Angleterre assis à la même place où il l'avait laissé.
En l'apercevant, le prince anglais se leva; mais du premier coup d'oeil il vit le découragement écrit en lettres sombres sur le front de son cousin.
Alors, prenant la parole le premier, comme pour faciliter à Louis l'aveu pénible qu'il avait à lui faire:
– Quoi qu'il en soit, dit-il, je n'oublierai jamais toute la bonté, toute l'amitié dont vous avez fait preuve à mon égard.
– Hélas! répliqua sourdement Louis XIV, bonne volonté stérile, mon frère!
Charles II devint extrêmement pâle, passa une main froide sur son front, et lutta quelques instants contre un éblouissement qui le fit chanceler.
– Je comprends, dit-il enfin, plus d'espoir!
Louis saisit la main de Charles II.
– Attendez, mon frère, dit-il, ne précipitez rien, tout peut changer; ce sont les résolutions extrêmes qui ruinent les causes; ajoutez, je vous en supplie, une année d'épreuve encore aux années que vous avez déjà subies. Il n'y a, pour vous décider à agir en ce moment plutôt qu'en un autre, ni occasion ni opportunité; venez avec moi, mon frère, je vous donnerai une de mes résidences, celle qu'il vous plaira d'habiter; j'aurai l'oeil avec vous sur les événements, nous les préparerons ensemble; allons, mon frère, du courage!
Charles II dégagea sa main de celle du roi, et se reculant pour le saluer avec plus de cérémonie:
– De tout mon coeur, merci, répliqua-t-il, Sire, mais j'ai prié sans résultat le plus grand roi de la terre, maintenant je vais demander un miracle à Dieu.
Et il sortit sans vouloir en entendre davantage, le front haut, la main frémissante, avec une contraction douloureuse de son noble visage, et cette sombre profondeur du regard qui, ne trouvant plus d'espoir dans le monde des hommes, semble aller au-delà en demander à des mondes inconnus.
L'officier des mousquetaires, en le voyant ainsi passer livide, s'inclina presque à genoux pour le saluer.
Il prit ensuite un flambeau, appela deux mousquetaires et descendit avec le malheureux roi l'escalier désert, tenant à la main gauche son chapeau, dont la plume balayait les degrés.
Arrivé à la porte, l'officier demanda au roi de quel côté il se dirigeait, afin d'y envoyer les mousquetaires.
– Monsieur, répondit Charles II à demi-voix, vous qui avez connu mon père, dites-vous, peut-être avez-vous prié pour lui? Si cela est ainsi, ne m'oubliez pas non plus dans vos prières. Maintenant je m'en vais seul, et vous prie de ne point m'accompagner ni de me faire accompagner plus loin.
L'officier s'inclina et renvoya ses mousquetaires dans l'intérieur du palais.
Mais lui demeura un instant sous le porche pour voir Charles II s'éloigner et se perdre dans l'ombre de la rue tournante.
– À celui-là, comme autrefois à son père, murmura-t-il, Athos, s'il était là, dirait avec raison: «Salut à la Majesté tombée!»
Puis, montant les escaliers:
– Ah! le vilain service que je fais! dit-il à chaque marche. Ah! le piteux maître! La vie ainsi faite n'est plus tolérable, et il est temps enfin que je prenne mon parti!.. Plus de générosité, plus d'énergie! continua-t-il.
«Allons, le maître a réussi, l'élève est atrophié pour toujours. Mordioux! je n'y résisterai pas. Allons, vous autres, continua-t- il en entrant dans l'antichambre, que faites-vous là à me regarder ainsi? Éteignez