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les réveillerait pas; vous savez que la cloche de Madame s'entend du pont de Blois, et que par conséquent je l'entendrai quand mon service m'appellera chez Madame. Ce qui vous ennuie, c'est que je ris quand vous écrivez; ce que vous craignez, c'est que Mme de Saint-Remy, votre mère, ne monte ici, comme elle fait quelquefois quand nous rions trop; qu'elle ne nous surprenne, et qu'elle ne voie cette énorme feuille de papier sur laquelle, depuis un quart d'heure, vous n'avez encore tracé que ces mots: Monsieur Raoul. Or vous avez raison, ma chère Louise, parce que, après ces mots, Monsieur Raoul, on peut en mettre tant d'autres, si significatifs et si incendiaires, que Mme de Saint- Remy, votre chère mère, aurait droit de jeter feu et flammes. Hein! n'est-ce pas cela, dites?

      Et Montalais redoublait ses rires et ses provocations turbulentes. La blonde jeune fille se courrouça tout à fait; elle déchira le feuillet sur lequel, en effet, ces mots, Monsieur Raoul, étaient écrits d'une belle écriture, et, froissant le papier dans ses doigts tremblants, elle le jeta par la fenêtre.

      – Là! là! dit Mlle de Montalais, voilà notre petit mouton, notre

      Enfant Jésus, notre colombe qui se fâche!.. N'ayez donc pas peur,

      Louise; Mme de Saint-Remy ne viendra pas, et si elle venait, vous savez que j'ai l'oreille fine.

      D'ailleurs, quoi de plus permis que d'écrire à un vieil ami qui date de douze ans, surtout quand on commence la lettre par ces mots: Monsieur Raoul?

      – C'est bien, je ne lui écrirai pas, dit la jeune fille.

      – Ah! en vérité, voilà Montalais bien punie! s'écria toujours en riant la brune railleuse. Allons, allons, une autre feuille de papier, et terminons vite notre courrier. Bon! voici la cloche qui sonne, à présent! Ah! ma foi, tant pis! Madame attendra, ou se passera pour ce matin de sa première fille d'honneur!

      Une cloche sonnait, en effet; elle annonçait que Madame avait terminé sa toilette et attendait Monsieur, lequel lui donnait la main au salon pour passer au réfectoire. Cette formalité accomplie en grande cérémonie, les deux époux déjeunaient et se séparaient jusqu'au dîner, invariablement fixé à deux heures.

      Le son de la cloche fit ouvrir dans les offices, situées à gauche de la cour, une porte par laquelle défilèrent deux maîtres d'hôtel, suivis de huit marmitons qui portaient une civière chargée de mets couverts de cloches d'argent.

      L'un de ces maîtres d'hôtel, celui qui paraissait le premier en titre, toucha silencieusement de sa baguette un des gardes qui ronflait sur un banc; il poussa même la bonté jusqu'à mettre dans les mains de cet homme, ivre de sommeil, sa hallebarde dressée le long du mur, près de lui; après quoi, le soldat, sans demander compte de rien, escorta jusqu'au réfectoire la viande de Monsieur, précédée par un page et les deux maîtres d'hôtel.

      Partout où la viande passait, les sentinelles portaient les armes.

      Mlle de Montalais et sa compagne avaient suivi de leur fenêtre le détail de ce cérémonial, auquel pourtant elles devaient être accoutumées. Elles ne regardaient au reste avec tant de curiosité que pour être sûres de n'être pas dérangées. Aussi marmitons, gardes, pages et maîtres d'hôtel une fois passés, elles se remirent à leur table, et le soleil, qui, dans l'encadrement de la fenêtre, avait éclairé un instant ces deux charmants visages, n'éclaira plus que les giroflées, les primevères et le rosier.

      – Bah! dit Montalais en reprenant sa place, Madame déjeunera bien sans moi.

      – Oh! Montalais, vous serez punie, répondit l'autre jeune fille en s'asseyant tout doucement à la sienne.

      – Punie! ah! oui, c'est-à-dire privée de promenade; c'est tout ce que je demande, que d'être punie! Sortir dans ce grand coche, perchée sur une portière; tourner à gauche, virer à droite par des chemins pleins d'ornières où l'on avance d'une lieue en deux heures; puis revenir droit sur l'aile du château où se trouve la fenêtre de Marie de Médicis, en sorte que Madame ne manque jamais de dire: «Croirait-on que c'est par là que la reine Marie s'est sauvée… Quarante-sept pieds de hauteur!.. La mère de deux princes et de trois princesses!» Si c'est là un divertissement, Louise, je demande à être punie tous les jours, surtout quand ma punition est de rester avec vous et d'écrire des lettres aussi intéressantes que celles que nous écrivons.

      – Montalais! Montalais! on a des devoirs à remplir.

      – Vous en parlez bien à votre aise, mon coeur, vous qu'on laisse libre au milieu de cette cour. Vous êtes la seule qui en récoltiez les avantages sans en avoir les charges, vous plus fille d'honneur de Madame que moi-même, parce que Madame fait ricocher ses affections de votre beau-père à vous; en sorte que vous entrez dans cette triste maison comme les oiseaux dans cette tour, humant l'air, becquetant les fleurs, picotant les graines, sans avoir le moindre service à faire, ni le moindre ennui à supporter. C'est vous qui me parlez de devoirs à remplir! En vérité, ma belle paresseuse, quels sont vos devoirs à vous, sinon d'écrire à ce beau Raoul? Encore voyons-nous que vous ne lui écrivez pas, de sorte que vous aussi, ce me semble, vous négligez un peu vos devoirs.

      Louise prit son air sérieux, appuya son menton sur sa main, et d'un ton plein de candeur:

      – Reprochez-moi donc mon bien-être, dit-elle. En aurez-vous le coeur? Vous avez un avenir, vous; vous êtes de la cour; le roi, s'il se marie, appellera Monsieur près de lui; vous verrez des fêtes splendides, vous verrez le roi, qu'on dit si beau, si charmant.

      – Et de plus je verrai Raoul, qui est près de M. le prince, ajouta malignement Montalais.

      – Pauvre Raoul! soupira Louise.

      – Voilà le moment de lui écrire, chère belle; allons, recommençons ce fameux Monsieur Raoul, qui brillait en tête de la feuille déchirée.

      Alors elle lui tendit la plume, et, avec un sourire charmant, encouragea sa main, qui traça vite les mots désignés.

      – Maintenant? demanda la plus jeune des deux jeunes filles.

      – Maintenant, écrivez ce que vous pensez, Louise, répondit

      Montalais.

      – Êtes-vous bien sûre que je pense quelque chose?

      – Vous pensez à quelqu'un, ce qui revient au même, ou plutôt ce qui est bien pis.

      – Vous croyez, Montalais?

      – Louise, Louise, vos yeux bleus sont profonds comme la mer que j'ai vue à Boulogne l'an passé. Non, je me trompe, la mer est perfide, vos yeux sont profonds comme l'azur que voici là-haut, tenez, sur nos têtes.

      – Eh bien! puisque vous lisez si bien dans mes yeux, dites-moi ce que je pense, Montalais.

      – D'abord, vous ne pensez pas Monsieur Raoul; vous pensez Mon cher Raoul.

      – Oh! – Ne rougissez pas pour si peu. Mon cher Raoul, disons- nous, vous me suppliez de vous écrire à Paris, où vous retient le service de M. le prince. Comme il faut que vous vous ennuyiez là- bas pour chercher des distractions dans le souvenir d'une provinciale…

      Louise se leva tout à coup.

      – Non, Montalais, dit-elle en souriant, non, je ne pense pas un mot de cela. Tenez, voici ce que je pense.

      Et elle prit hardiment la plume et traça d'une main ferme les mots suivants:

      «J'eusse été bien malheureuse si vos instances pour obtenir de moi un souvenir eussent été moins vives. Tout ici me parle de nos premières années, si vite écoulées, si doucement enfuies, que jamais d'autres n'en remplaceront le charme dans le coeur.»

      Montalais, qui regardait courir la plume, et qui lisait au rebours à mesure que son amie écrivait, l'interrompit par un battement de mains.

      – À la bonne heure! dit-elle, voilà de la franchise, voilà du coeur, voilà du style! Montrez à ces Parisiens, ma chère, que Blois est la ville du beau langage.

      – Il sait que pour moi, répondit la jeune fille, Blois a été le paradis.

      – C'est ce que je voulais dire, et vous parlez comme un

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