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Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название Le crime d'Orcival
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Que voulez-vous? lui demanda durement M. Courtois, de quel droit osez-vous pénétrer ici? Qui êtes-vous?
L’homme se redressa.
– Je suis M. Lecoq, répondit-il avec le plus gracieux des sourires.
Et voyant que ce nom n’apprenait rien à personne, il ajouta:
– M. Lecoq, de la Sûreté, envoyé par la préfecture de police, sur demande télégraphiée, pour l’affaire en question.
Cette déclaration surprit considérablement tous les auditeurs, même le juge d’instruction.
Il est entendu, en France, que chaque état a son extérieur particulier et comme des insignes qui le dénoncent au premier coup d’œil. Toute profession a son type de convention, et quand Sa Majesté l’Opinion a adopté un type, elle ne veut pas admettre qu’il soit possible de s’en écarter. Qu’est-ce qu’un médecin? C’est un homme grave tout de noir habillé et cravaté de blanc. Un monsieur à gros ventre battu par des breloques d’or ne peut être qu’un banquier. Chacun sait que l’artiste est un joyeux vivant, portant chapeau pointu, veste de velours et de grandes manchettes.
En vertu de cette loi, l’employé de la rue de Jérusalem doit avoir l’œil plein de traîtrise, quelque chose de louche dans toute sa personne, l’air crasseux et des bijoux en faux. Le plus obtus des boutiquiers est persuadé qu’il flaire à vingt pas un agent de police: un grand homme à moustaches et à feutre luisant, le cou emprisonné dans un col de crin, vêtu d’une redingote noire râpée, scrupuleusement boutonnée sur une absence complète de linge. Tel est le type.
Or, à ce compte, M. Lecoq, entrant dans la salle à manger du Valfeuillu, n’avait certes pas l’air d’un agent de police.
Il est vrai que M. Lecoq a l’air qu’il lui plaît d’avoir. Ses amis assurent bien qu’il a une physionomie à lui, qui est sienne, qu’il reprend quand il rentre chez lui, et qu’il garde tant qu’il est seul au coin de son feu, les pieds dans ses pantoufles; mais le fait n’est pas bien prouvé.
Ce qui est sûr, c’est que son masque mobile se prête à des métamorphoses étranges; qu’il pétrit pour ainsi dire son visage à son gré comme le sculpteur pétri la cire à modeler. En lui, il change tout, même le regard, que ne parvint jamais à changer Gévrol, son maître et son rival.
– Ainsi, insista le juge d’instruction, c’est vous que monsieur le préfet de police m’envoie pour le cas où certaines investigations seraient nécessaires.
– Moi-même, monsieur, répondit Lecoq, bien à votre service.
Non, il ne payait pas de mine, l’envoyé de monsieur le préfet de police, et l’insistance de M. Domini était excusable.
M. Lecoq avait arboré ce jour-là de jolis cheveux plats de cette couleur indécise qu’on appelle le blond de Paris, partagés sur le côté par une raie coquettement prétentieuse. Des favoris de la nuance des cheveux encadraient une face blême, bouffie de mauvaise graisse. Ses gros yeux à fleur de tête semblaient figés dans leur bordure rouge. Un sourire candide s’épanouissait sur ses lèvres épaisses qui, en s’entrouvrant, découvraient une rangée de longues dents jaunes.
Sa physionomie, d’ailleurs, n’exprimait rien de précis. C’était un mélange à doses à peu près égales de timidité, de suffisance et de contentement.
Impossible d’accorder la moindre intelligence au porteur d’une telle figure. Involontairement, après l’avoir regardé, on cherchait le goitre.
Les merciers au détail qui, après avoir volé trente ans sur leur fils et sur leurs aiguilles, se retirent avec dix-huit cents livres de rentes, doivent avoir cette tête inoffensive.
Son costume était aussi terne que sa personne.
Sa redingote ressemblait à toutes les redingotes, son pantalon à tous les pantalons. Un cordon de crin, du même blond que ses favoris, retenait la grosse montre d’argent qui gonflait la poche gauche de son gilet.
Il manœuvrait tout en causant une bonbonnière de corne transparente, pleine de petits carrés de pâtes, réglisse, guimauve jujube, et ornée d’un portrait de femme très laide et très bien mise; le portrait de la défunte, sans doute.
Et selon les hasards de la conversation, suivant qu’il était satisfait ou mécontent. M. Lecoq gobait un carré de pâte ou adressait au portrait un regard qui était tout un poème.
Ayant longuement détaillé l’homme, le juge d’instruction haussa les épaules.
– Enfin, dit M. Domini – et cet enfin répondait à sa pensée intime – , nous allons, puisque vous voici, vous expliquer ce dont il s’agit.
– Oh! inutile, répondit M. Lecoq avec un petit air suffisant, parfaitement inutile.
– Il est cependant indispensable que vous sachiez…
– Quoi? ce que sait, monsieur le juge d’instruction? interrompit l’agent de la Sûreté, je le sais déjà. Nous disons assassinat ayant le vol pour mobile, et nous partons de là. Nous avons ensuite l’escalade, le bris de clôture, les appartements bouleversés. Le cadavre de la comtesse a été trouvé, mais le corps du comte est introuvable. Quoi encore? La Ripaille est arrêté, c’est un mauvais drôle, en tout état de cause il mérite un peu de prison. Guespin est revenu ivre.
– Ah! il a de rudes charges contre lui, ce Guespin.
– Ses antécédents sont déplorables: on ne sait où il a passé la nuit, il refuse de répondre, il ne fournit pas d’alibi… c’est grave, très grave.
Le père Plantat examinait le doux agent avec un visible plaisir. Les autres auditeurs ne dissimulaient pas leur surprise.
– Qui donc vous a renseigné? demanda le juge d’instruction.
– Eh! eh! répondit M. Lecoq, tout le monde un peu.
– Mais où?
– Ici, je suis arrivé depuis plus de deux heures déjà, j’ai même entendu le discours de monsieur le maire.
Et satisfait de l’effet produit, M. Lecoq avala un carré de pâte.
– Comment, fit M. Domini d’un ton mécontent, vous ne saviez donc pas que je vous attendais.
– Pardon, répondit l’agent de la Sûreté, j’espère pourtant que monsieur le juge voudra bien m’entendre. C’est que l’étude du terrain est indispensable; il faut voir, dresser ses batteries. Je tiens à recueillir les bruits publics, l’opinion, comme on dit, pour m’en défier.
– Tout cela, prononça sévèrement M. Domini, ne justifie pas votre retard.
M. Lecoq eut un tendre regard pour le portrait.
– Monsieur le juge n’a qu’à s’informer rue de Jérusalem, répondit-il, on lui dira que je sais mon métier. L’important, pour bien faire une enquête, est de n’être point connu. La police – c’est bête comme tout – est mal vue. Maintenant qu’on sait qui je suis et pourquoi je viens, je puis sortir, on ne me dira plus rien, ou si j’interroge on me répondra mille mensonges, on se défiera de moi, on aura des réticences.
– C’est assez juste, objecta M. Plantat venant au secours de l’agent de la Sûreté.
– Donc, poursuivit M. Lecoq, quand on m’a dit, là-bas c’est en province, j’ai pris ma tête de province. J’arrive, et tout le monde, en me voyant, se dit: «Voilà un bonhomme bien curieux, mais pas méchant.» Alors, je me glisse, je me faufile, j’écoute, je parle, je fais parler! j’interroge, on me répond à cœur ouvert; je me renseigne, je recueille des indications; on ne se gêne pas avec moi. Ils sont charmants, les gens d’Orcival, je me suis déjà fait plusieurs amis, et on m’a invité à dîner pour ce soir.
M. Domini