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on t'aime, et quand on parle de toi, c'est plein la bouche. Seulement, tu es coiffé de ton aîné; ça ne fait pas la jambe du cadet. Laisse aller? Il y a donc que la présidente m'a répondu au nom de son mari comme quoi elle était bien reconnaissante de ses vacances à Landevan et du beurre frais, et des crêpes et du cidre doux. Je lui en mettais toutes les semaines en bouteille, qui moussait mieux que du champagne. Et que Landevan est joli comme un amour, à ce qu'elle dit…

      – Ces femmes de la capitale, grommela Bélébon.

      – Gratte-toi si ça te démange, mon oncle, mais la paix! Voilà le fin mot; le président fera entrer mon neveu René chez le garde des sceaux, lui donnera le logement et la table, le poussera dans le monde et obtiendra, malgré le bureau, toutes les facilités pour qu'il puisse faire son droit: Ça te va-t-il, monsieur de Kervigné?

      – Dame!» fit mon père.

      Il regarda tour à tour ses deux conseillers, l'oncle Bélébon et l'abbé Raffroy.

      L'oncle Bélébon était absurde, égoïste, prétentieux, mais non point méchant. Il avait intérêt, pour ses petites affaires personnelles, à opérer le vide autour de mon père et de ma mère.

      »Dame!» répéta-t-il.

      Et M. Raffroy:

      «Dame!»

      Mon père, ainsi édifié, posa son couteau et sa fourchette. Il repoussa en arrière sa perruque frisée à l'enfant, qui pendait trop sur son front, et dit avec autorité:

      «Je mettrai quelqu'un que je sais bien à la porte, si je ne peux pas obtenir qu'on serve le pomard en même temps que le médoc. Saperbleure! chez moi, les domestiques ne sont pas les maîtres! As-tu entendu ce qu'on a dit pour le chevalier, madame?

      – Voici notre petit Charles qui parle couramment, sais-tu? répondit ma mère. Dis à ton bon papa: »Cha'ot aimé gâteaux,» amour.

      – Cha'ot veut pas!» repartit mon neveu.

      Ma mère l'embrassa avec transport.

      «Ce sera, dit sèchement ma sœur la marquise, le premier Kervigné qu'on aura vu dans les bureaux.

      – Il y a longtemps qu'ils ne vont plus à la croisade!» prononça la tante Renotte entre ses dents.

      Puis avec éclat, et en accompagnant son invitation d'un énorme coup de poing qu'elle me donna dans le dos.

      «Et toi, innocent, parleras-tu?

      – Ah! s'écria l'oncle Bélébon, c'est bien heureux que la poudre soit inventée!

      Vincent eut un gros rire. Cela ne lui réussit pas. Ma tante Renotte lui lança un revers de main qui, au contraire, réussit à miracle. Ma tante Nougat avait la bouche pleine, mais ma tante Bel-Œil protesta, en disant.

      – Cela ne se fait pas dans la bonne société.

      – Ah! soupira le marquis en se penchant vers elle, vous qui avez de si belles manières, ma tante!»

      Elle leva son meilleur œil vers le ciel et mon beau-frère ajouta:

      «Cet odieux rustre de Vincent a encaissé le soufflet tout de même!»

      C'était une consolation.

      Mais que faisais-je et que pensais-je au milieu de cette discussion orageuse dont j'étais le sujet? Je crois bien me souvenir que j'essayais de planter mon couteau debout en équilibre sur mon assiette et que je n'y pouvais point réussir.

      L'idée d'aller à Paris ne m'était pas encore venue. Les jeunes gens qui ont beaucoup lu connaissent Paris d'avance, mais moi, je ne m'étais fait de Paris qu'une image très vague et qui n'avait éveillé en moi aucun désir. Le désir naquit à l'instant même où se montrait la possibilité de le satisfaire. C'est ma nature. Je n'ai rien rêvé à long terme. Je ne suis pas poète. L'amour lui-même qui a rempli ma vie ne s'est allumé en moi qu'à son heure et s'est éveillé d'un seul coup. Je doute qu'un poète eût aimé comme je l'ai fait. L'amour des poètes s'exhale un peu au dehors; le mien fut comme la fournaise qui concentre en elle-même ses ardeurs.

      J'en étais encore à l'équilibre de mon couteau quand on apporta, en grande cérémonie, le nougat médicamenteux de ma tante et un édifice de pâtisserie sur les quatre faces duquel on pouvait lire le nom de Julie entouré de guirlandes. Cela fit diversion. Les toasts recommencèrent et chez nous, ce n'était pas un petit débit. J'eus une bonne demi-heure pour réfléchir. Ma tante Renotte seule m'examinait; les autres avaient oublié déjà l'incident.

      «Une chanson, tonton Bélébon! demanda mon père.

      – Combien je préfère la romance!» insinua Bel-Œil.

      Mais une imposante majorité réclamait la chanson.

      Mon oncle Bélébon était un de ces chanteurs qui parlent la musique comme faisaient les comédiens au fort temps du vaudeville. Sa voix était un baryton rocailleux et tremblotant qui ne sortait point par sa bouche, mais par son nez. Ayant tout l'esprit de la famille, il entendait malice aux choses les plus simples et vous lançait des regards d'intelligence en disant le deri dera ou malonlanla, latourlarira. Il se leva, il prit son verre, et, la main sur le cœur, il commença:

      On dit qu'aux noces de Thétis

      Tous les dieux s'assemblèrent;

      Junon, Pallas, Cérès, Iris

      Et Vénus s'y trouvèrent.

      Sur le mot Junon, il cligna de l'œil à l'adresse de ma mère qui faisait danser Mimi, la sœur de Charlot; Pallas fut pour Bel-Œil, Cérès pour Nougat, Iris pour une maigre cousine qui nous venait de Pontivy aux jours solennels. Au mot de Vénus, il salua profondément ma sœur la marquise.

      «Il est charmant!» déclarèrent toutes ces dames.

      Je ne sais pas ce que Bel-Œil aurait donné à cette heure pour filer un roman, traduit de l'allemand, avec un cœur sensible. Son petit zieu et son grand zieu peignaient la langueur de son âme. Elles sont bien à plaindre, ces tendres natures. Au moins, Nougat aimait ce qui ne lui résistait point.

      A la fin de sa chanson, mon oncle Bélébon, couvert d'applaudissements, réclama le silence d'un geste à la fois noble et gracieux.

      «Voici la vingt-deuxième fois, dit-il en homme sûr de son succès, remarquez ce nombre, marquis, mon neveu, vingt-deux, les deux pigeons! voici la vingt-deuxième fois que nous fêtons la naissance de Vénus, à qui cet oiseau était consacré par la fable. Il y a vingt-deux ans, tu étais un brin d'amour, madame, et Kervigné, ah! le polisson!»

      Ici, bravos et rires.

      «… Ah! le polisson! le p, p, p, p, p-polisson! (Explosion de gaieté.) Il y a vingt-deux ans, les deux pigeons étaient mariés depuis quatre printemps. Mon neveu Gérard avait l'âge de Charlot, cher ange.

      – Cha'ot s'embête! proclama ici mon neveu distinctement.

      – Quel amour!

      – Où va-t-il chercher ces choses-là? dit ma mère en pleurant de joie.

      – Cha'ot veut monter sur la table, ajouta l'amour.

      On l'y mit aussitôt et il cassa du premier pas trois verres et une bouteille.

      «Il fera des siennes comme son grand-père!» s'écria mon oncle Bélébon qui ne savait à quoi raccrocher son discours.

      Julie bâillait, pauvre femme; elle regrettait en outre pour son ménage tous ces objets cassés. Mon beau-frère le marquis peignait la résignation. Quand il venait chez nous, il était décidé à tout: c'était le roi des gendres.

      «Ecoutez papa! cria Vincent Bélébon comme braient les ânes. Ecoutez papa, nom d'un cœur!

      – Vous voyez bien que le garçon n'est pas sans intelligence! dit mon oncle tout attendri. Pour en revenir, Vénus et l'amour… les ris et les grâces… les deux pigeons et l'occasion de cette date qui est gravée dans tous les cœurs… Je propose la santé…

      – Des deux pigeons? l'interrompit

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