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voilà pour les vaillantes! – Et les barres! Mais Sophie est de mauvaise foi et Madeleine ne veut jamais être prisonnière. Le chat vaut mieux, le chat coupé surtout. Mais ce qui vaut mieux encore, mieux que n'importe quoi, c'est la corde, la grande corde, parce qu'il y a un cercle autour et qu'on est regardé.

      Sans la galerie, qui donc sauterait à la corde?

      Petites, moyennes, grandes, vont et viennent, courent et s'arrêtent. Voyez leurs gestes et leurs sourires. Ce sont des femmes. Il y a plus: quoiqu'elles se mêlent sans souci et franchement, un regard observateur distingue aisément parmi elles les castes et les provenances. Les petites du grand monde sont mises plus simplement et mieux; les petites bourgeoises, à part les signes physiques qui trompent quelquefois, sont plus maniérées et respectent leur toilette davantage. – D'ailleurs, il y a les noms qui sont un guide presque certain. Ne demandez pas d'où sortent Irma, Athénaïs, Rosa, Zuléma, Zédelie ou Malvina. Les noms ne mentent jamais.

      Celles-ci ne s'amusent pas. Elles sont trois ou quatre autour de la sous-maîtresse, plus triste et plus ennuyée qu'elles. Ce sont les retenues. Qu'ont-elles fait? ou que n'ont-elles pas fait, les paresseuses? – Si elles n'étaient pas là, la sous-maîtresse, pauvre fille, pourrait poser sur un banc ce lourd tome de Rollin, qu'elle fait semblant de lire, et dévorer Ivanhoé, qui est dans sa poche; mais elles l'observent. Elles savent où est Ivanhoé; elles se vengent.

      – Maxence! à la ronde! A la ronde, Césarine!

      Deux charmantes filles, celles-ci, mais grandes; deux demoiselles de dix sept ans.

      – Césarine! veux-tu jouer à la tour?

      – Veux-tu courir aux barres, Maxence?

      Dix-sept-ans, des tailles fines et souples, d'adorables visages et de ces divines chevelures, l'une fauve, l'autre cendrée, que les peintres aiment tant à faire miroiter sous leur pinceau!

      – C'est Maxence qui sait des rondes!

      – Et Césarine court si bien!

      – Aux barres, aux barres!

      – A la ronde!.. veux-tu?

      – Césarine!

      – Maxence!

      Mademoiselle Césarine de Mersanz, fille unique d'un comte, s'il vous plaît! Mademoiselle Maxence de Sainte-Croix, fille unique d'une marquise, je vous prie.

      Mon Dieu! voilà un an, à ce même mois de mai, Maxence et Césarine étaient les premières aux barres et à la ronde. Mais les mois de mai se suivent et cessent tout à coup de se ressembler.

      Maintenant, aux récréations, Césarine et Maxence se promenaient gravement, fuyant les jeux insipides et causant Dieu sait de quoi. Elles n'étaient plus enfants. Elles rêvaient le monde, impatientes de franchir ce mur odieux qui leur cachait les joies et les élégances parisiennes.

      Les barres, la ronde, ah! fi! – Songez que, dans trois mois, elles pouvaient être mariées.

      Il y avait un cavalier au bout du jardin; au sommet du cavalier, il y avait une tonnelle. C'était là que les deux grandes (on les appelait ainsi dans la pension), c'était là que les deux grandes par excellence aimaient à se reposer. Du cavalier, on apercevait un petit coin de Paris: l'avenue de Saxe, le rond-point de Breteuil et les maisons situées à l'extrémité de la rue Neuve-Plumet. – Quand il venait quelqu'un, grande, moyenne ou petite, déranger nos deux compagnes dans leur sanctuaire, elles se fâchaient.

      Elles s'aimaient, il fallait voir! Vous connaissez ces amitiés de pension qui ne doivent finir qu'avec la vie. Elles ne pouvaient absolument pas vivre l'une sans l'autre. Toutes deux avaient le même âge. Césarine avait fait son éducation entière à la pension Géran; Maxence n'y était que depuis dix-huit mois; mais il leur avait à peine fallu un jour pour éprouver cette commune sympathie qui les entraînait l'une vers l'autre.

      C'était Maxence qui avait ces beaux cheveux d'un brun fauve. Elle était pâle, et son profil, sculpté hardiment, rappelait les contours de la madone espagnole. Il y avait comme un feu latent dans le regard de ses grands yeux noirs, frangés de cils énormes. Sa bouche harmonieuse et pure souriait peu, mais noblement. Sa taille était haute, élancée et forte à la fois. Il y avait dans tous ses mouvements je ne sais quelle grâce fière, impossible à définir.

      Césarine, moins belle assurément, était peut-être plus jolie. Maxence de Sainte-Croix était une femme tout à fait, tandis que Césarine gardait beaucoup de sa gentillesse d'enfant. Ses traits avaient une délicatesse extrême; ses yeux d'un bleu foncé petillaient d'esprit et de malice sous les masses cendrées de ses admirables cheveux blonds; sa taille, qu'on eût prise dans la main, était merveilleusement modelée. – Avec cela, des pieds à chausser large la pantoufle de Cendrillon et des mains de fée…

      Ce fut un grand tumulte tout à coup.

      – Voilà le plaisir, mesdames!.. voilà le plaisir!

      – Carabosse! la petite bonne femme Carabosse! cria-t-on de toutes parts.

      Elle était sur le seuil d'une porte basse qui communiquait avec la cour de la pension, le poing sur la hanche, la main au couvercle de sa boîte à plaisirs. – Il y avait là des fillettes de douze ans, qui étaient plus hautes qu'elle; mais ce fou rire qui s'était emparé de toute la pension à sa vue n'avait rien de moqueur. – On saluait ainsi tous les jours la petite bonne femme. On l'aimait. Elle avait la réplique si bonne et le visage si joyeux.

      Et propre! et leste encore, quoiqu'elle fût vieille! et toujours prête à faire crédit à l'insu de la sous-maîtresse!

      Elle avait un compte courant très-compliqué, je vous assure. Tout cela était dans sa tête. Elle ne se trompait jamais.

      Trente ans auparavant, cette petite femme avait dû être une beauté en miniature. Ses traits étaient réguliers et fins. Ses cheveux, éclatants de blancheur, restaient épais, et ondulaient naturellement sur son front. La légère déviation de sa taille lui donnait seulement une singulière allure, surtout lorsqu'elle s'obstinait à suivre les soldats au pas accéléré, en prenant la mesure des tambours.

      Elle avait cette manie, tout le monde la lui connaissait. Depuis une dizaine d'années qu'elle était dans le quartier, chaque fois qu'un régiment passait, musique en tête, on voyait la petite bonne femme avec sa jupe courte, son bonnet toujours bien blanc et sa grande boîte, qu'elle mettait dans ces occasions-là sur son dos, courir sur la pointe des pavés avec une légèreté vraiment fantastique, jusqu'à ce qu'elle fût à l'arrière-garde. Une fois là, elle allongeait le pas en mesure; son visage prenait une expression martiale, et sa courte taille, redressée militairement, malgré le poids de sa boîte, grandissait d'un bon quart de pouce.

      Les soldats riaient. Elle leur donnait des poignées de plaisir cassé, ils l'appelaient maman: un rayon de joie profond illuminait aussitôt son visage.

      Cette passion qu'elle avait pour les soldats amusait beaucoup le voisinage. On pensait généralement que la petite bonne femme n'avait pas la tête bien solide.

      Mais c'étaient là ses débauches, et nous la trouvons ici dans l'exercice officiel de ses fonctions. – Outre sa boîte, elle avait à l'ordinaire un panier d'osier, doublé de papier blanc, qu'elle portait au bras. Ce panier était plein de pommes d'api si brillantes et si jolies, que vous eussiez dit la tête d'un bouquet de fleurs. Elle était fière de ses pommes, qu'elle ne vendait pourtant pas cher. Si quelqu'un eût osé prétendre que la petite bonne femme n'avait pas les pommes les plus mignonnes de Paris, elle se serait battue.

      – Voilà le plaisir, mesdames! voilà le plaisir!

      Elle n'avait garde de changer la formule consacrée. Pour des fillettes, c'est déjà fort agréable de s'entendre appeler mesdames. Mais la petite bonne femme, nous le disons en toute sincérité, n'avait pas besoin de flatteries pour achalander sa marchandise. Son plaisir, toujours frais, avait un parfum exquis. Où le prenait-elle? le plaisir des autres marchandes est insipide et sent la poussière.

      Il fallut voir comme on se précipita vers elle de tous les coins du jardin. Cent voix enfantines s'élevèrent, lorsqu'elle

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