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machine?

      – Morte.

      Le capitaine cria:

      – Lieutenant Ockleford?

      Le lieutenant repondit:

      – Present.

      Le capitaine reprit:

      – Combien avons-nous de minutes?

      – Vingt.

      – Cela suffit, dit le capitaine. Que chacun s'embarque a son tour.

      Lieutenant Ockleford, avez-vous vos pistolets?

      – Oui, capitaine.

      – Brulez la cervelle a tout homme qui voudrait passer avant une femme.

      Tous se turent. Personne ne resista; cette foule sentant au-dessus d'elle cette grande ame.

      La Mary, de son cote, avait mis ses embarcations a la mer, et venait au secours de ce naufrage qu'elle avait fait.

      Le sauvetage s'opera avec ordre et presque sans lutte. Il y avait, comme toujours, de tristes egoismes; il y eut aussi de pathetiques devouements [note: Voir aux Notes.].

      Harvey, impassible a son poste de capitaine, commandait, dominait, dirigeait, s'occupait de tout et de tous, gouvernait avec calme cette angoisse, et semblait donner des ordres a la catastrophe. On eut dit que le naufrage lui obeissait.

      A un certain moment il cria:

      – Sauvez Clement.

      Clement, c'etait le mousse. Un enfant.

      Le navire decroissait lentement dans l'eau profonde.

      On hatait le plus possible le va-et-vient des embarcations entre le Normandy et la Mary.

      – Faites vite, criait le capitaine.

      A la vingtieme minute le steamer sombra.

      L'avant plongea d'abord, puis l'arriere.

      Le capitaine Harvey, debout sur la passerelle, ne fit pas un geste, ne dit pas un mot, et entra immobile dans l'abime. On vit, a travers la brume sinistre, cette statue noire s'enfoncer dans la mer.

      Ainsi finit le capitaine Harvey.

      Qu'il recoive ici l'adieu du proscrit.

      Pas un marin de la Manche ne l'egalait. Apres s'etre impose toute sa vie le devoir d'etre un homme, il usa en mourant du droit d'etre un heros.

      X

      Est-ce que le proscrit liait le prescripteur? Non. Il le combat; c'est tout. A outrance? oui. Comme ennemi public toujours, jamais comme ennemi personnel. La colere de l'honnete homme ne va pas au dela du necessaire. Le proscrit execre le tyran et ignore la personne du proscripteur. S'il la connait, il ne l'attaque que dans la proportion du devoir.

      Au besoin le proscrit rend justice au proscripteur; si le proscripteur, par exemple, est dans une certaine mesure ecrivain et a une litterature suffisante, le proscrit en convient volontiers. Il est incontestable, soit dit en passant, que Napoleon III eut ete un academicien convenable; l'academie sous l'empire avait, par politesse sans doute, suffisamment abaisse son niveau pour que l'empereur put en etre; l'empereur eut pu se croire la parmi ses pairs litteraires, et sa majeste n'eut aucunement depare celle des quarante.

      A l'epoque ou l'on annoncait la candidature de l'empereur a un fauteuil vacant, un academicien de notre connaissance, voulant rendre a la fois justice a l'historien de Cesar et a l'homme de Decembre, avait d'avance redige ainsi son bulletin de vote: Je vote pour l'admission de M. Louis Bonaparte a l'academie et au bagne.

      On le voit, toutes les concessions possibles, le proscrit les fait.

      Il n'est absolu qu'au point de vue des principes. La son inflexibilite commence. La il cesse d'etre ce que dans le jargon politique on nomme "un homme pratique". De la ses resignations a tout, aux violences, aux injures, a la ruine, a l'exil. Que voulez-vous qu'il y fasse? Il a dans la bouche la verite qui, au besoin, parlerait malgre lui.

      Parler par elle et pour elle, c'est la son fier bonheur.

      Le vrai a deux noms; les philosophes l'appellent l'ideal, les hommes d'etat l'appellent le chimerique.

      Les hommes d'etat ont-ils raison? Nous ne le pensons pas.

      A les entendre, tous les conseils que peut donner un proscrit sont "chimeriques".

      En admettant, disent-ils, que ces conseils aient pour eux la verite, ils ont contre eux la realite.

      Examinons.

      Le proscrit est un homme chimerique. Soit. C'est un voyant aveugle; voyant du cote de l'absolu, aveugle du cote du relatif. Il fait de bonne philosophie et de mauvaise politique. Si on l'ecoutait, on irait aux abimes. Ses conseils sont des conseils d'honnetete et de perdition. Les principes lui donnent raison, mais les faits lui donnent tort.

      Voyons les faits.

      John Brown est vaincu a Harper's Ferry. Les hommes d'etat disent: Pendez-le. Le proscrit dit: Respectez-le. On pend John Brown; l'Union se disloque, la guerre du Sud eclate. John Brown epargne, c'etait l'Amerique epargnee.

      Au point de vue du fait, qui a eu raison, les hommes pratiques, ou l'homme chimerique?

      Deuxieme fait. Maximilien est pris a Queretaro. Les hommes pratiques disent: Fusillez-le. L'homme chimerique dit: Graciez-le. On fusille Maximilien. Cela suffit pour rapetisser une chose immense. L'heroique lutte du Mexique perd son supreme lustre, la clemence hautaine. Maximilien gracie, c'etait le Mexique desormais inviolable, c'etait cette nation, qui avait constate son independance par la guerre, constatant par la civilisation sa souverainete; c'etait, sur le front de ce peuple, apres le casque, la couronne.

      Cette fois encore, l'homme chimerique voyait juste.

      Troisieme fait. Isabelle est detronee. Que va devenir l'Espagne? republique ou monarchie? Sois monarchie! disent les hommes d'etat! Sois republique! dit le proscrit. L'homme chimerique n'est pas ecoute, les hommes pratiques l'emportent; l'Espagne se fait monarchie. Elle tombe d'Isabelle en Amedee, et d'Amedee en Alphonse, en attendant Carlos; ceci ne regarde que l'Espagne. Mais voici qui regarde le monde: cette monarchie en quete d'un monarque donne pretexte a Hohenzollern; de la l'embuscade de la Prusse, de la l'egorgement de la France, de la Sedan, de la la honte et la nuit.

      Supposez l'Espagne republique, nul pretexte a un guet-apens, aucun Hohenzollern possible, pas de catastrophes.

      Donc le conseil du proscrit etait sage.

      Si par hasard on decouvrait un jour cette chose etrange que la verite n'est pas imbecile, que l'esprit de compassion et de delivrance a du bon, que l'homme fort c'est l'homme droit, et que c'est la raison qui a raison!

      Aujourd'hui, au milieu des calamites, apres la guerre etrangere, apres la guerre civile, en presence des responsabilites encourues de deux cotes, le proscrit d'autrefois songe aux proscrits d'aujourd'hui, il se penche sur les exils, il a voulu sauver John Brown, il a voulu sauver Maximilien, il a voulu sauver la France, ce passe lui eclaire l'avenir, il voudrait fermer la plaie de la patrie et il demande l'amnistie.

      Est-ce un aveugle? est-ce un voyant?

      XI

      En decembre 1851, quand celui qui ecrit ces lignes arriva chez l'etranger, la vie eut d'abord quelque durete. C'est en exil surtout que se fait sentir le res angusta domi.

      Cette esquisse sommaire de "ce que c'est que l'exil" ne serait pas complete si ce cote materiel de l'existence du proscrit n'etait pas indique, en passant, et du reste, avec la sobriete convenable.

      De tout ce que cet exile avait possede il lui restait sept mille cinq cents francs de revenu annuel. Son theatre, qui lui rapportait soixante mille francs par an, etait supprime. La hative vente a l'encan de son mobilier avait produit un peu moins de treize mille francs. Il avait neuf personnes a nourrir.

      Il avait a pourvoir aux deplacements, aux voyages, aux emmenagements nouveaux, aux mouvements d'un groupe dont il etait le centre, a tout l'inattendu d'une existence desormais arrachee de terre et maniable a tous les vents; un proscrit, c'est un deracine. Il fallait conserver la dignite

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