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Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870. Victor Hugo
Читать онлайн.Название Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Victor Hugo
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Nous saluons ton histoire, peuple polonais, bon peuple! Leve la tete dans ton accablement. Tu es grand, gisant sur le fumier russe. O Job des nations, tes plaies, sont des gloires.
Nous saluons ton histoire et l'histoire de tous les peuples qui ont souffert et qui ont lutte.
Cette reunion, cette date auguste, 29 novembre 1830, evoquent a nos yeux tous les grands souvenirs revolutionnaires, tous les grands hommes liberateurs, et, dans notre reconnaissance religieuse et profonde, nous convions Kosciuszko, Washington, Bolivar, Botzaris, tous les vaillants lutteurs du progres, tous les glorieux martyrs de l'idee, a ces saintes agapes de la proscription. Ici, dans cette salle, est-ce qu'il ne vous semble pas comme a moi les voir au-dessus de nos tetes? Est-ce qu'il n'y a pas la, autour de cette date splendide, comme une nuee lumineuse ou ces triomphateurs, nos vrais ancetres, nous apparaissent et nous sourient? Regardez-les, contemplez-les comme moi, ces transfigures! Eux aussi ont souffert. Au jour mysterieux qui sort de la tombe, ceux qui n'etaient que des hommes deviennent des demi-dieux, et les couronnes d'epines qui faisaient saigner le front des vivants se changent en couronnes de lauriers et font rayonner le front des fantomes.
Citoyens, cinq nations sont ici representees, la Pologne, la Hongrie, l'Allemagne, l'Italie et la France, cinq nations illustres devant le genre humain, aujourd'hui couchees dans la fosse.
Les hommes de despotisme en fremissent de joie. Leur joie a tort. Je ne me lasserai jamais de le redire, quoique assassinees, ces grandes nations ne sont pas mortes. Les tyrans, qui n'ont pas d'ame, ne savent pas que les peuples en ont une.
Quand les tyrans ont scelle sur un peuple la pierre du tombeau, qu'est-ce qu'ils ont fait? Ils croient avoir enferme une nation dans la tombe, ils y ont enferme une idee. Or, la tombe ne fait rien a qui ne meurt pas, et l'idee est immortelle. Citoyens, un peuple n'est pas une chair; un peuple est une pensee! Qu'est-ce que la Pologne? c'est l'independance. Qu'est-ce que l'Allemagne? c'est la vertu. Qu'est-ce que la Hongrie? c'est l'heroisme. Qu'est-ce que l'Italie? c'est la gloire. Qu'est-ce que la France? c'est la liberte. Citoyens, le jour ou l'independance, la vertu, l'heroisme, la gloire et la liberte mourront, ce jour-la, ce jour-la seulement, la Pologne, l'Allemagne, la Hongrie, l'Italie et la France seront mortes.
Ce jour-la, citoyens, l'ame du monde aurait disparu.
Or, l'ame du monde, c'est Dieu.
Citoyens, buvons a l'idee qui ne meurt pas! buvons aux peuples qui ressuscitent!
1853
Les proscrits meurent. – La guerre eclate. Paroles d'esperance sur les tombeaux et sur les peuples.
I
SUR LA TOMBE DE JEAN BOUSQUET AU CIMETIERE SAINT-JEAN, A JERSEY
20 avril 1853.
Victor Hugo a Jersey habitait une solitude, une maison appelee Marine-Terrace, isolee au bord de la mer.
Cependant les proscrits commencaient a mourir. Un homme ne doit pas etre mis dans la tombe sans qu'une parole soit dite qui aille de lui a Dieu.
Les proscrits vinrent trouver Victor Hugo, et lui demanderent de dire, au nom de tous, cette parole.
Citoyens,
L'homme auquel nous sommes venus dire l'adieu supreme, Jean Bousquet, de Tarn-et-Garonne, fut un energique soldat de la democratie. Nous l'avons vu, proscrit inflexible, deperir douloureusement au milieu de nous. Le mal le rongeait; il se sentait lentement empoisonne par le souvenir de tout ce qu'on laisse derriere soi; il pouvait revoir les etres absents, les lieux aimes, sa ville, sa maison; il pouvait revoir la France, il n'avait qu'un mot a dire, cette humiliation execrable que M. Bonaparte appelle amnistie ou grace s'offrait a lui, il l'a chastement repoussee, et il est mort. Il avait trente-quatre ans. Maintenant le voila! (L'orateur montre la fosse.)
Je n'ajouterai pas un eloge a cette simple vie, a cette grande mort. Qu'il repose en paix, dans cette fosse obscure ou la terre va le couvrir, et ou son ame est allee retrouver les esperances eternelles du tombeau!
Qu'il dorme ici, ce republicain, et que le peuple sache qu'il y a encore des coeurs fiers et purs, devoues a sa cause! Que la republique sache qu'on meurt plutot que de l'abandonner! Que la France sache qu'on meurt parce qu'on ne la voit plus!
Qu'il dorme, ce patriote, au pays de l'etranger! Et nous, ses compagnons de lutte et d'adversite, nous qui lui avons ferme les yeux, a sa ville natale, a sa famille, a ses amis, s'ils nous demandent: Ou est-il? nous repondrons: Mort dans l'exil! comme les soldats repondaient au nom de Latour d'Auvergne: Mort au champ d'honneur!
Citoyens! aujourd'hui, en France, les apostasies sont en joie. La vieille terre du 14 juillet et du 10 aout assiste a l'epanouissement hideux des turpitudes et a la marche triomphale des traitres. Pas une indignite qui ne recoive immediatement une recompense. Ce maire a viole la loi, on le fait prefet; ce soldat a deshonore le drapeau, on le fait general; ce pretre a vendu la religion, on le fait eveque; ce juge a prostitue la justice, on le fait senateur; cet aventurier, ce prince a commis tous les crimes, depuis les vilenies devant lesquelles reculerait un filou jusqu'aux horreurs devant lesquelles reculerait un assassin, il passe empereur. Autour de ces hommes, tout est fanfares, banquets, danses, harangues, applaudissements, genuflexions. Les servilites viennent feliciter les ignominies. Citoyens, ces hommes ont leurs fetes; eh bien! nous aussi nous avons les notres. Quand un de nos compagnons de bannissement, devore par la nostalgie, epuise par la fievre lente des habitudes rompues et des affections brisees, apres avoir bu jusqu'a la lie toutes les agonies de la proscription, succombe enfin et meurt, nous suivons sa biere couverte d'un drap noir; nous venons au bord de la fosse; nous nous mettons a genoux, nous aussi, non devant le succes, mais devant le tombeau; nous nous penchons sur notre frere enseveli et nous lui disons: – Ami! nous te felicitons d'avoir ete vaillant, nous te felicitons d'avoir ete genereux et intrepide, nous te felicitons d'avoir ete fidele, nous te felicitons d'avoir donne a ta foi jusqu'au dernier souffle de ta bouche, jusqu'au dernier battement de ton coeur, nous te felicitons d'avoir souffert, nous te felicitons d'etre mort! – Puis nous relevons la tete, et nous nous en allons le coeur plein d'une sombre joie. Ce sont la les fetes de l'exil.
Telle est la pensee austere et sereine qui est au fond de toutes nos ames; et devant ce sepulcre, devant ce gouffre ou il semble que l'homme s'engloutit, devant cette sinistre apparence du neant, nous nous sentons consolides dans nos principes et dans nos certitudes; l'homme convaincu n'a jamais le pied plus ferme que sur la terre, mouvante du tombeau; et, l'oeil fixe sur ce mort, sur cet etre evanoui, sur cette ombre qui a passe, croyants inebranlables, nous glorifions celle qui est immortelle et celui qui est eternel, la liberte et Dieu!
Oui, Dieu! Jamais une tombe ne doit se fermer sans que ce grand mot, sans que ce mot vivant y soit tombe. Les morts le reclament, et ce n'est pas nous qui le leur refuserons. Que le peuple religieux et libre au milieu duquel nous vivons le comprenne bien, les hommes du progres, les hommes de la democratie, les hommes de la revolution savent que la destinee de l'ame est double, et l'abnegation qu'ils montrent dans cette vie prouve combien ils comptent profondement sur l'autre. Leur foi dans ce grand et mysterieux avenir resiste meme au spectacle repoussant que nous donne depuis le 2 decembre le clerge catholique asservi. Le papisme romain en ce moment epouvante la conscience humaine. Ah! je le dis, et j'ai le coeur plein d'amertume, en songeant a tant d'abjection et de honte, ces pretres, qui, pour de l'argent, pour des palais, des mitres et des crosses, pour l'amour des biens temporels, benissent et glorifient le parjure, le meurtre et la trahison, ces eglises ou l'on chante Te Deum au crime couronne, oui, ces eglises, oui, ces pretres suffiraient pour ebranler les plus fermes convictions dans les ames les plus profondes, si l'on n'apercevait, au-dessus de l'eglise, le ciel, et, au-dessus du pretre, Dieu!
Et ici, citoyens, sur le seuil de cette tombe ouverte, au milieu de cette foule recueillie qui environne cette fosse, le moment est venu de semer, pour qu'elle germe dans toutes les consciences, une grave et solennelle parole.
Citoyens, a l'heure ou nous sommes, heure