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ca et la des coups de beche, cote a cote avec le jardinier; il nous conseillait; il ajoutait ses lecons aux lecons du pretre; il avait une facon de me prendre dans ses bras qui me faisait rire et qui me faisait peur; il m'elevait en l'air, et me laissait presque retomber jusqu'a terre. Une certaine securite, habituelle a tous les exils prolonges, lui etait venue. Pourtant il ne sortait jamais. Il etait gai. Ma mere etait un peu inquiete, bien que nous fussions entoures de fidelites absolues.

      Lahorie etait un homme simple, doux, austere, vieilli avant l'age, savant, ayant le grave heroisme propre aux lettres. Une certaine concision dans le courage distingue l'homme qui remplit un devoir de l'homme qui joue un role; le premier est Phocion, le second est Murat. Il y avait du Phocion dans Lahorie.

      Nous les enfants, nous ne savions rien de lui, sinon qu'il etait mon parrain. Il m'avait vu naitre; il avait dit a mon pere: Hugo est un mot du nord, il faut l'adoucir par un mot du midi, et completer le germain par le romain. Et il me donna le nom de Victor, qui du reste etait le sien. Quant a son nom historique, je l'ignorais. Ma mere lui disait general, je l'appelais mon parrain Il habitait toujours la masure du fond du jardin, peu soucieux de la pluie et de la neige qui, l'hiver, entraient par les croisees sans vitres; il continuait dans cette chapelle son bivouac. Il avait derriere l'autel un lit de camp, avec ses pistolets dans un coin, et un Tacite qu'il me faisait expliquer.

      J'aurai toujours present a la memoire le jour ou il me prit sur ses genoux, ouvrit ce Tacite qu'il avait, un in-octavo relie en parchemin, edition Herhan, et me lut cette ligne: Urbem Romam a principio reges habuere.

      Il s'interrompit et murmura a demi-voix:

      – Si Rome eut garde ses rois, elle n'eut pas ete Rome.

      Et, me regardant tendrement, il redit cette grande parole:

      – Enfant, avant tout la liberte.

      Un jour il disparut de la maison. J'ignorais alors pourquoi.5 Des evenements survinrent, il y eut Moscou, la Beresina, un commencement d'ombre terrible. Nous allames rejoindre mon pere en Espagne. Puis nous revinmes aux Feuillantines. Un soir d'octobre 1812, je passais, donnant la main a ma mere, devant l'eglise Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Une grande affiche blanche etait placardee sur une des colonnes du portail, celle de droite; je vais quelquefois revoir cette colonne. Les passants regardaient obliquement cette affiche, semblaient en avoir un peu peur, et, apres l'avoir entrevue, doublaient le pas. Ma mere s'arreta, et me dit: Lis. Je lus. Je lus ceci: " – Empire francais. – Par sentence du premier conseil de guerre, ont ete fusilles en plaine de Grenelle, pour crime de conspiration contre l'empire et l'empereur, les trois ex-generaux Malet, Guidal et Lahorie." – Lahorie, me dit ma mere. Retiens ce nom.

      Et elle ajouta:

      – C'est ton parrain.

      V

      Tel est le fantome que j'apercois dans les profondeurs de mon enfance.

      Cette figure est une de celles qui n'ont jamais disparu de mon horizon.

      Le temps, loin de la diminuer, l'a accrue.

      En s'eloignant, elle s'est augmentee, d'autant plus haute qu'elle etait plus lointaine, ce qui n'est propre qu'aux grandeurs morales.

      L'influence sur moi a ete ineffacable.

      Ce n'est pas vainement que j'ai eu, tout petit, de l'ombre de proscrit sur ma tete, et que j'ai entendu la voix de celui qui devait mourir dire ce mot du droit et du devoir: Liberte.

      Un mot a ete le contre-poids de toute une education.

      L'homme qui publie aujourd'hui ce recueil, Actes et Paroles, et qui dans ces volumes, Avant l'exil, Pendant l'exil, Depuis l'exil, ouvre a deux battants sa vie a ses contemporains, cet homme a traverse beaucoup d'erreurs. Il compte, si Dieu lui en accorde le temps, en raconter les peripeties sous ce titre: Histoire des revolutions interieures d'une conscience honnete. Tout homme peut, s'il est sincere, refaire l'itineraire, variable pour chaque esprit, du chemin de Damas. Lui, comme il l'a dit quelque part, il est fils d'une vendeenne, amie de madame de la Rochejaquelein, et d'un soldat de la revolution et de l'empire, ami de Desaix, de Jourdan et de Joseph Bonaparte; il a subi les consequences d'une education solitaire et complexe ou un proscrit republicain donnait la replique a un proscrit pretre. Il y a toujours eu en lui le patriote sous le vendeen; il a ete napoleonien en 1813, bourbonnien en 1814; comme presque tous les hommes du commencement de ce siecle, il a ete tout ce qu'a ete le siecle; illogique et probe, legitimiste et voltairien, chretien litteraire, bonapartiste liberal, socialiste a tatons dans la royaute; nuances bizarrement reelles, surprenantes aujourd'hui; il a ete de bonne foi toujours; il a eu pour effort de rectifier son rayon visuel au milieu de tous ces mirages; toutes les approximations possibles du vrai ont tente tour a tour et quelquefois trompe son esprit; ces aberrations successives, ou, disons-le, il n'y a jamais eu un pas en arriere, ont laisse trace dans ses oeuvres; on peut en constater ca et la l'influence; mais, il le declare ici, jamais, dans tout ce qu'il a ecrit, meme dans ses livres d'enfant et d'adolescent, jamais on ne trouvera une ligne contre la liberte. Il y a eu lutte dans son ame entre la royaute que lui avait imposee le pretre catholique et la liberte que lui avait recommandee le soldat republicain; la liberte a vaincu.

      La est l'unite de sa vie.

      Il cherche a faire en tout prevaloir la liberte. La liberte, c'est, dans la philosophie, la Raison, dans l'art, l'Inspiration, dans la politique, le Droit.

      VI

      En 1848, son parti n'etait pas pris sur la forme sociale definitive. Chose singuliere, on pourrait presque dire qu'a cette epoque la liberte lui masqua la republique. Sortant d'une serie de monarchies essayees et mises au rebut tour a tour, monarchie imperiale, monarchie legitime, monarchie constitutionnelle, jete dans des faits inattendus qui lui semblaient illogiques, oblige de constater a la fois dans les chefs guerriers qui dirigeaient l'etat l'honnetete et l'arbitraire, ayant malgre lui sa part de l'immense dictature anonyme qui est le danger des assemblees uniques, il se decida a observer, sans adhesion, ce gouvernement militaire ou il ne pouvait reconnaitre un gouvernement democratique, se borna a proteger les principes quand ils lui parurent menaces et se retrancha dans la defense du droit meconnu. En 1848, il y eut presque un dix-huit fructidor; les dix-huit fructidor ont cela de funeste qu'ils donnent le modele et le pretexte aux dix-huit brumaire, et qu'ils font faire par la republique des blessures a la liberte; ce qui, prolonge, serait un suicide. L'insurrection de juin fut fatale, fatale par ceux qui l'allumerent, fatale par ceux qui l'eteignirent; il la combattit; il fut un des soixante representants envoyes par l'assemblee aux barricades. Mais, apres la victoire, il dut se separer des vainqueurs. Vaincre, puis tendre la main aux vaincus, telle est la loi de sa vie. On fit le contraire. Il y a bien vaincre et mal vaincre. L'insurrection de 1848 fut mal vaincue. Au lieu de pacifier, on envenima; au lieu de relever, on foudroya; on acheva l'ecrasement; toute la violence soldatesque se deploya; Cayenne, Lambessa, deportation sans jugement; il s'indigna; il prit fait et cause pour les accables; il eleva la voix pour toutes ces pauvres familles desesperees; il repoussa cette fausse republique de conseils de guerre et d'etat de siege. Un jour, a l'assemblee, le representant Lagrange, homme vaillant, l'aborda et lui dit: "Avec qui etes-vous ici? il repondit: Avec la liberte. – Et que faites-vous? reprit Lagrange; il repondit: J'attends."

      Apres juin 1848, il attendait; mais, apres juin 1849, il n'attendit plus.

      L'eclair qui jaillit des evenements lui entra dans l'esprit. Ce genre d'eclair, une fois qu'il a brille, ne s'efface pas. Un eclair qui reste, c'est la la lumiere du vrai dans la conscience.

      En 1849, cette clarte definitive se fit en lui.

      Quand il vit Rome terrassee au nom de la France, quand il vit la majorite, jusqu'alors hypocrite, jeter tout a coup le masque par la bouche duquel, le 4 mai 1848, elle avait dix-sept fois crie: Vive la republique! quand il vit, apres le 13 juin, le triomphe de toutes les coalitions ennemies du progres, quand il vit cette joie cynique, il fut triste, il comprit, et, au moment ou toutes les mains des vainqueurs se tendaient vers lui pour l'attirer dans leurs rangs, il sentit dans le fond de son ame qu'il etait un vaincu. Une morte etait a terre, on criait: c'est la republique! il alla a cette morte, et reconnut que c'etait la liberte. Alors il se pencha vers ce cadavre, et il l'epousa. Il vit devant

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<p>5</p>

Voir le livre Victor Hugo raconte par un temoin de sa vie.