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relevée avec le fer, ce qui lui donnait bonne grâce. Alors il passa son baudrier, regarda avec complaisance ses mains, qu'il avait fort belles et desquelles il prenait le plus grand soin; puis rejetant les gros gants de daim qu'il avait déjà pris, et qui étaient d'uniforme, il passa de simples gants de soie.

      En ce moment la porte s'ouvrit.

      – M. d'Artagnan, dit le valet de chambre.

      Un officier entra.

      C'était un homme de trente-neuf à quarante ans, de petite taille mais bien prise, maigre, l'oeil vif et spirituel, la barbe noire et les cheveux grisonnants, comme il arrive toujours lorsqu'on a trouvé la vie trop bonne ou trop mauvaise, et surtout quand on est fort brun.

      D'Artagnan fit quatre pas dans le cabinet, qu'il reconnaissait pour y être venu une fois dans le temps du cardinal de Richelieu, et voyant qu'il n'y avait personne dans ce cabinet qu'un mousquetaire de sa compagnie, il arrêta les yeux sur ce mousquetaire, sous les habits duquel, au premier coup d'oeil, il reconnut le cardinal.

      – Il demeura debout dans une pose respectueuse mais digne et comme il convient à un homme de condition qui a eu souvent dans sa vie occasion de se trouver avec des grands seigneurs.

      Le cardinal fixa sur lui son oeil plus fin que profond, l'examina avec attention, puis, après quelques secondes de silence:

      – C'est vous qui êtes monsieur d'Artagnan? dit-il.

      – Moi-même, Monseigneur, dit l'officier.

      Le cardinal regarda un moment encore cette tête si intelligente et ce visage dont l'excessive mobilité avait été enchaînée par les ans et l'expérience; mais d'Artagnan soutint l'examen en homme qui avait été regardé autrefois par des yeux bien autrement perçants que ceux dont il soutenait à cette heure l'investigation.

      – Monsieur, dit le cardinal, vous allez venir avec moi, ou plutôt je vais aller avec vous.

      – À vos ordres, Monseigneur, répondit d'Artagnan.

      – Je voudrais visiter moi-même les postes qui entourent le

      Palais-Royal; croyez-vous qu'il y ait quelque danger?

      – Du danger, Monseigneur! demanda d'Artagnan d'un air étonné, et lequel?

      – On dit le peuple tout à fait mutiné.

      – L'uniforme des mousquetaires du roi est fort respecté, Monseigneur, et ne le fût-il pas, moi, quatrième je me fais fort de mettre en fuite une centaine de ces manants.

      – Vous avez vu cependant ce qui est arrivé à Comminges?

      – M. de Comminges est aux gardes et non pas aux mousquetaires, répondit d'Artagnan.

      – Ce qui veut dire, reprit le cardinal en souriant, que les mousquetaires sont meilleurs soldats que les gardes?

      – Chacun a l'amour-propre de son uniforme, Monseigneur.

      – Excepté moi, monsieur, reprit Mazarin en souriant, puisque vous voyez que j'ai quitté le mien pour prendre le vôtre.

      – Peste, Monseigneur! dit d'Artagnan, c'est de la modestie. Quant à moi, je déclare que, si j'avais celui de Votre Éminence, je m'en contenterais et m'engagerais au besoin à n'en porter jamais d'autre.

      – Oui, mais pour sortir ce soir, peut-être n'eût-il pas été très sûr. Bernouin, mon feutre.

      Le valet de chambre rentra, rapportant un chapeau d'uniforme à larges bords. Le cardinal s'en coiffa d'une façon assez cavalière, et se retourna vers d'Artagnan:

      – Vous avez des chevaux tout sellés dans les écuries, n'est-ce pas?

      – Oui, Monseigneur.

      – Eh bien! partons.

      – Combien Monseigneur veut-il d'hommes?

      – Vous avez dit qu'avec quatre hommes, vous vous chargeriez de mettre en fuite cent manants; comme nous pourrions en rencontrer deux cents, prenez-en huit.

      – Quand Monseigneur voudra.

      – Je vous suis; ou plutôt, reprit le cardinal, non, par ici.

      Éclairez-nous, Bernouin.

      Le valet prit une bougie, le cardinal prit une petite clef dorée sur son bureau, et ayant ouvert la porte d'un escalier secret, il se trouva au bout d'un instant dans la cour du Palais-Royal.

      II. Une ronde de nuit

      Dix minutes après, la petite troupe sortait par la rue des Bons- Enfants, derrière la salle de spectacle qu'avait bâtie le cardinal de Richelieu pour y faire jouer Mirame, et dans laquelle le cardinal Mazarin, plus amateur de musique que de littérature, venait de faire jouer les premiers opéras qui aient été représentés en France.

      L'aspect de la ville présentait tous les caractères d'une grande agitation; des groupes nombreux parcouraient les rues, et, quoi qu'en ait dit d'Artagnan, s'arrêtaient pour voir passer les militaires avec un air de raillerie menaçante qui indiquait que les bourgeois avaient momentanément déposé leur mansuétude ordinaire pour des intentions plus belliqueuses. De temps en temps des rumeurs venaient du quartier des Halles. Des coups de fusil pétillaient du côté de la rue Saint-Denis, et parfois tout à coup, sans que l'on sût pourquoi, quelque cloche se mettait à sonner, ébranlée par le caprice populaire.

      D'Artagnan suivait son chemin avec l'insouciance d'un homme sur lequel de pareilles niaiseries n'ont aucune influence. Quand un groupe tenait le milieu de la rue, il poussait son cheval sans lui dire gare, et comme si, rebelles ou non, ceux qui le composaient avaient su à quel homme ils avaient affaire, ils s'ouvraient et laissaient passer la patrouille. Le cardinal enviait ce calme, qu'il attribuait à l'habitude du danger; mais il n'en prenait pas moins pour l'officier, sous les ordres duquel il s'était momentanément placé, cette sorte de considération que la prudence elle-même accorde à l'insoucieux courage.

      En approchant du poste de la barrière des Sergents, la sentinelle cria: «Qui vive?» D'Artagnan répondit, et, ayant demandé les mots de passe au cardinal, s'avança à l'ordre; les mots de passe étaient Louis et Rocroy.

      Ces signes de reconnaissance échangés, d'Artagnan demanda si ce n'était pas M. de Comminges qui commandait le poste.

      La sentinelle lui montra alors un officier qui causait, à pied, la main appuyée sur le cou du cheval de son interlocuteur. C'était celui que demandait d'Artagnan.

      – Voici M. de Comminges, dit d'Artagnan revenant au cardinal.

      Le cardinal poussa son cheval vers eux, tandis que d'Artagnan se reculait par discrétion; cependant, à la manière dont l'officier à pied et l'officier à cheval ôtèrent leurs chapeaux, il vit qu'ils avaient reconnu son Éminence.

      – Bravo, Guitaut, dit le cardinal au cavalier, je vois que malgré vos soixante-quatre ans vous êtes toujours le même, alerte et dévoué. Que dites-vous à ce jeune homme?

      – Monseigneur, répondit Guitaut, je lui disais que nous vivions à une singulière époque, et que la journée d'aujourd'hui ressemblait fort à l'une de ces journées de la Ligue dont j'ai tant entendu parler dans mon jeune temps. Savez-vous qu'il n'était question de rien moins, dans les rues Saint-Denis et Saint-Martin, que de faire des barricades.

      – Et que vous répondait Comminges, mon cher Guitaut?

      – Monseigneur, dit Comminges, je répondais que, pour faire une Ligue, il ne leur manquait qu'une chose qui me paraissait assez essentielle, c'était un duc de Guise; d'ailleurs, on ne fait pas deux fois la même chose.

      – Non, mais ils feront une Fronde, comme ils disent, reprit

      Guitaut.

      – Qu'est-ce que cela, une Fronde? demanda Mazarin.

      – Monseigneur, c'est le nom qu'ils donnent à leur parti.

      – Et d'où vient ce nom?

      – Il paraît qu'il y a quelques jours le conseiller Bachaumont a dit au Palais que

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