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du roi; car le roi n'épousera pas Mlle de La Vallière, et plus il la déclarera publiquement sa maîtresse, plus il épaissira le bandeau de honte qu'il lui jette au front en guise de couronne, et, à mesure qu'on la méprisera comme je la méprise, moi, je me glorifierai.

      Hélas! nous avions marché ensemble, elle et moi, pendant le premier, pendant le plus beau tiers de notre vie, nous tenant par la main le long du sentier charmant et plein de fleurs de la jeunesse, et voilà que nous arrivons à un carrefour où elle se sépare de moi, où nous allons suivre une route différente qui ira nous écartant toujours davantage l'un de l'autre; et, pour atteindre le bout de ce chemin, Seigneur, je suis seul, je suis désespéré, je suis anéanti!

      Ô malheureux!..

      Raoul en était là de ses réflexions sinistres, quand son pied se posa machinalement sur le seuil de sa maison. Il était arrivé là sans voir les rues par lesquelles il passait, sans savoir comment il était venu; il poussa la porte, continua d'avancer et gravit l'escalier.

      Comme dans la plupart des maisons de cette époque, l'escalier était sombre et les paliers étaient obscurs. Raoul logeait au premier étage; il s'arrêta pour sonner. Olivain parut, lui prit des mains l'épée et le manteau. Raoul ouvrit lui-même la porte qui, de l'antichambre, donnait dans un petit salon assez richement meublé pour un salon de jeune homme, et tout garni de fleurs par Olivain, qui, connaissant les goûts de son maître, s'était empressé d'y satisfaire, sans s'inquiéter s'il s'apercevrait ou ne s'apercevrait pas de cette attention.

      Il y avait dans le salon un portrait de La Vallière que La Vallière elle-même avait dessiné et avait donné à Raoul. Ce portrait, accroché au-dessus d'une grande chaise longue recouverte de damas de couleur sombre, fut le premier point vers lequel Raoul se dirigea, le premier objet sur lequel il fixa les yeux. Au reste, Raoul cédait à son habitude; c'était, chaque fois qu'il rentrait chez lui, ce portrait qui, avant toute chose, attirait ses yeux. Cette fois, comme toujours, il alla donc droit au portrait, posa ses genoux sur la chaise longue, et s'arrêta à le regarder tristement.

      Il avait les bras croisés sur la poitrine, la tête doucement levée, l'oeil calme et voilé, la bouche plissée par un sourire amer.

      Il regarda l'image adorée; puis tout ce qu'il avait dit repassa dans son esprit, tout ce qu'il avait souffert assaillit son coeur, et, après un long silence:

      – Ô malheureux dit-il pour la troisième fois.

      À peine avait-il prononcé ces deux mots, qu'un soupir et une plainte se firent entendre derrière lui.

      Il se retourna vivement, et, dans l'angle du salon, il aperçut, debout, courbée, voilée, une femme qu'en entrant il avait cachée derrière le déplacement de la porte, et que depuis il n'avait pas vue, ne s'étant pas retourné.

      Il s'avança vers cette femme, dont personne ne lui avait annoncé la présence, saluant et s'informant à la fois, quand tout à coup la tête baissée se releva, le voile écarté laissa voir le visage, et une figure blanche et triste lui apparut.

      Raoul se recula, comme il eût fait devant un fantôme.

      – Louise! s'écria-t-il avec un accent si désespéré, qu'on n'eût pas cru que la voix humaine pût jeter un pareil cri sans que se brisassent toutes les fibres du coeur.

      – Voulez-vous me faire la grâce de vous asseoir et de m'écouter? dit Louise, l'interrompant avec sa plus douce voix.

      Bragelonne la regarda un instant; puis, secouant tristement la tête, il s'assit ou plutôt tomba sur une chaise.

      – Parlez, dit-il.

      Elle jeta un regard à la dérobée autour d'elle. Ce regard était une prière et demandait bien mieux le secret qu'un instant auparavant ne l'avaient fait ses paroles.

      Raoul se releva, et, allant à la porte qu'il ouvrit:

      – Olivain, dit-il, je n'y suis pour personne.

      Puis, se retournant vers La Vallière:

      – C'est cela que vous désirez? dit-il.

      Rien ne peut rendre l'effet que fit sur Louise cette parole qui signifiait: «Vous voyez que je vous comprends encore, moi.»

      Elle passa son mouchoir sur ses yeux pour éponger une larme rebelle; puis, s'étant recueillie un instant:

      – Raoul, dit-elle, ne détournez point de moi votre regard si bon et si franc; vous n'êtes pas un de ces hommes qui méprisent une femme parce qu'elle a donné son coeur, dût cet amour faire leur malheur ou les blesser dans leur orgueil.

      Raoul ne répondit point.

      – Hélas! continua La Vallière, ce n'est que trop vrai; ma cause est mauvaise, et je ne sais par quelle phrase commencer. Tenez, je ferai mieux, je crois, de vous raconter tout simplement ce qui m'arrive. Comme je dirai la vérité, je trouverai toujours mon droit chemin, dans l'obscurité, dans l'hésitation, dans les obstacles que j'ai à braver, pour soulager mon coeur qui déborde et veut se répandre à vos pieds.

      Raoul continua de garder le silence.

      La Vallière le regardait d'un air qui voulait dire: «Encouragez- moi! par pitié, un mot!»

      Mais Raoul se tut et la jeune fille dut continuer.

      Chapitre CC – Blessures sur blessures

      Mlle de La Vallière, car c'était bien elle, fit un pas en avant.

      – Oui, Louise, murmura-t-elle.

      Mais dans cet intervalle, si court qu'il fût, Raoul avait eu le temps de se remettre.

      – Vous, mademoiselle? dit-il.

      Puis, avec un accent indéfinissable:

      – Vous ici? ajouta-t-il.

      – Oui, Raoul, répéta la jeune fille; oui, moi, qui vous attendais.

      – Pardon; lorsque je suis rentré, j'ignorais…

      – Oui, et j'avais recommandé à Olivain de vous laisser ignorer…

      Elle hésita; et, comme Raoul ne se pressait pas de lui répondre, il se fit un silence d'un instant, silence pendant lequel on eût pu entendre le bruit de ces deux coeurs qui battaient, non plus à l'unisson l'un de l'autre, mais aussi violemment l'un que l'autre.

      C'était à Louise de parler. Elle fit un effort.

      – J'avais à vous parler, dit-elle; il fallait absolument que je vous visse… moi-même… seule… Je n'ai point reculé devant une démarche qui doit rester secrète; car personne, excepté vous, ne la comprendrait, monsieur de Bragelonne.

      – En effet, mademoiselle, balbutia Raoul, tout effaré, tout haletant, et moi même, malgré la bonne opinion que vous avez de moi, j'avoue…

      – Tout à l'heure, dit-elle, M. de Saint-Aignan est venu chez moi de la part du roi.

      Elle baissa les yeux.

      De son côté, Raoul détourna les siens pour ne rien voir.

      – M. de Saint-Aignan est venu chez moi de la part du roi, répéta- t-elle, et il m'a dit que vous saviez tout.

      Et elle essaya de regarder en face celui qui recevait cette blessure après tant d'autres blessures; mais il lui fut impossible de rencontrer les yeux de Raoul.

      – Il m'a dit que vous aviez conçu contre moi une légitime colère.

      Cette fois, Raoul regarda la jeune fille, et un sourire dédaigneux retroussa ses lèvres.

      – Oh! continua-t-elle, je vous en supplie, ne dites pas que vous avez ressenti contre moi autre chose que de la colère. Raoul, attendez que je vous aie tout dit, attendez que je vous aie parlé jusqu'à la fin.

      Le front de Raoul se rasséréna par la force de sa volonté; le pli de sa bouche s'effaça.

      – Et d'abord, dit La Vallière, d'abord, les mains jointes, le front courbé, je vous demande pardon comme au plus généreux, comme au plus noble des hommes. Si je vous ai laissé

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