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et à la circonspection.

      — Peste! dit-il tout bas, maintenant que je me suis ménagé François d'Anjou, n'allons pas nous brouiller avec Henri de Valois. — Sire, ajouta-t-il tout haut, me voici. Je suis si dévoué à Votre Majesté, que, si elle l'ordonnait, je la suivrais jusqu'au bout du monde.

      Il y eut un grand tumulte, puis grandes génuflexions, puis grand silence pour ouïr les adieux du roi à mademoiselle de Brissac et à son père. Ils furent charmants.

      Puis les chevaux piaffèrent dans la cour, les flambeaux jetèrent sur les vitraux leurs rouges reflets. Enfin, moitié riant, moitié grelottant, s'enfuirent, dans l'ombre et la brume, tous les courtisans de la royauté et tous les conviés de la noce.

      Jeanne, demeurée seule avec ses femmes, entra dans sa chambre et s'agenouilla devant l'image d'une sainte en laquelle elle avait beaucoup de dévotion. Puis elle ordonna qu'on la laissât seule, et qu'une collation fût prête pour le retour de son mari.

      M. de Brissac fit plus, il envoya six gardes attendre le jeune marié à la porte du Louvre, afin de lui faire escorte lorsqu'il reviendrait. Mais, au bout de deux heures d'attente, les gardes envoyèrent un de leurs compagnons prévenir le maréchal que toutes les portes étaient closes au Louvre, et qu'avant de fermer la dernière, le capitaine du guichet avait répondu:

      — N'attendez point davantage, c'est inutile; personne ne sortira plus du Louvre cette nuit. Sa Majesté est couchée, et tout le monde dort.

      Le maréchal avait été porter cette nouvelle à sa fille, qui avait déclaré qu'elle était trop inquiète pour se coucher, et qu'elle veillerait en attendant son mari.

      CHAPITRE II

      COMMENT CE N'EST PAS TOUJOURS CELUI QUI OUVRE LA PORTE QUI ENTRE DANS LA MAISON

      La porte Saint-Antoine était une espèce de voûte en pierre, pareille à peu près à notre porte Saint-Denis et à notre porte Saint-Martin d'aujourd'hui. Seulement elle tenait par son côté gauche aux bâtiments adjacents à la Bastille, et se reliait ainsi à la vieille forteresse.

      L'espace compris à droite entre la porte et l'hôtel de Bretagne était grand, sombre et boueux; mais cet espace était peu fréquenté le jour, et tout à fait solitaire quand venait le soir, car les passants nocturnes semblaient s'être fait un chemin au plus près de la forteresse, afin de se placer en quelque sorte, dans ce temps où les rues étaient des coupe-gorge, où le guet était à peu près inconnu, sous la protection de la sentinelle du donjon, qui pouvait non pas les secourir, mais tout au moins par ses cris appeler à l'aide et effrayer les malfaiteurs.

      Il va sans dire que les nuits d'hiver rendaient encore les passants plus prudents que les nuits d'été.

      Celle pendant laquelle se passent les événements que nous avons déjà racontés et ceux qui vont suivre était si froide, si noire et si chargée de nuages sombres et bas, que nul n'eût aperçu, derrière les créneaux de la forteresse royale, cette bienheureuse sentinelle qui, de son côté, eût été fort empêchée de distinguer sur la place les gens qui passaient.

      En avant de la porte Saint-Antoine, du côté de l'intérieur de la ville, aucune maison ne s'élevait, mais seulement de grandes murailles. Ces murailles étaient, à droite, celles de l'église Saint-Paul; à gauche, celles de l'hôtel des Tournelles. C'est à l'extrémité de cet hôtel, du côté de la rue Sainte-Catherine, que la muraille faisait cet angle rentrant dont avait parlé Saint-Luc à Bussy.

      Puis venait le pâté de maisons situées entre la rue de Jouy et la grande rue Saint-Antoine, laquelle avait, à cette époque, en face d'elle, la rue des Billettes et l'église Sainte-Catherine.

      D'ailleurs, nulle lanterne n'éclairait toute la portion du vieux Paris que nous venons de décrire. Dans les nuits où la lune se chargeait d'illuminer la terre, on voyait se dresser, sombre, majestueuse et immobile, la gigantesque Bastille, qui se détachait en vigueur sur l'azur étoilé du ciel. Dans les nuits sombres, au contraire, on ne voyait là où elle était qu'un redoublement de ténèbres que trouait de place en place la pâle lumière de quelques fenêtres.

      Pendant cette nuit, qui avait commencé par une gelée assez vive, et qui devait finir par une neige assez abondante, aucun passant ne faisait crier sous ses pas la terre gercée de cette espèce de chaussée aboutissant de la rue au faubourg, et que nous avons dit avoir été pratiquée par le prudent détour des promeneurs attardés. Mais, en revanche, un oeil exercé eût pu distinguer, dans cet angle du mur des Tournelles, plusieurs ombres noires qui se remuaient assez pour prouver qu'elles appartenaient à de pauvres diables de corps humains fort embarrassés de conserver la chaleur naturelle que leur enlevait, de minute en minute, l'immobilité à laquelle ils semblaient s'être volontairement condamnés dans l'attente de quelque événement.

      Cette sentinelle de la tour, qui ne pouvait, à cause de l'obscurité, voir sur la place, n'eût pas davantage pu entendre, tant elle était faite à voix basse, la conversation de ces ombres noires. Pourtant cette conversation ne manquait pas d'un certain intérêt.

      — Cet enragé Bussy avait bien raison, disait une de ces ombres; c'est une véritable nuit comme nous en avions à Varsovie, quand le roi Henri était roi de Pologne; et, si cela continue, comme on nous l'a prédit, notre peau se fendra.

      — Allons donc, Maugiron, tu te plains comme une femme, répondit une autre ombre. Il ne fait pas chaud, c'est vrai; mais tire ton manteau sur tes yeux et mets les mains dans tes poches, tu ne t'apercevras plus du froid.

      — En vérité, Schomberg, dit une troisième ombre, tu en parles fort à ton aise, et l'on voit bien que tu es Allemand. Quant à moi, mes lèvres saignent, et mes moustaches sont hérissées de glaçons.

      — Moi, ce sont les mains, dit une quatrième voix. Sur ma parole, je parierais que je n'en ai plus.

      — Que n'as-tu pris le manchon de ta maman, pauvre Quélus? répondit Schomberg. Elle te l'eût prêté, cette chère femme, surtout si tu lui avais conté que c'était pour la débarrasser de son cher Bussy, qu'elle aime à peu près comme la peste.

      — Eh! mon Dieu! ayez donc de la patience, dit une cinquième voix. Tout à l'heure vous vous plaindrez, j'en suis sûr, que vous avez trop chaud.

      — Dieu t'entende, d'Épernon, fit Maugiron en battant la semelle.

      — Ce n'est pas moi qui ai parlé, dit d'Épernon, c'est d'O. Moi, je me tais, de peur que mes paroles ne gèlent.

      — Que dis-tu? demanda Quélus à Maugiron.

      — D'O disait, reprit Maugiron, que tout à l'heure nous aurions trop chaud, et je lui répondais: Que Dieu t'entende!

      — Eh bien, je crois qu'il l'a entendu; car je vois là-bas quelque chose qui vient par la rue Saint-Paul.

      — Erreur. Ce ne peut pas être lui.

      — Et pourquoi cela?

      — Parce qu'il a indiqué un autre itinéraire.

      — Comme ce serait chose étonnante, n'est-ce pas, qu'il se fût douté de quelque chose et qu'il en eût changé!

      — Vous ne connaissez point Bussy; où il a dit qu'il passerait, il passera, quand même il saurait que le diable est embusqué sur la route pour lui barrer le passage.

      — En attendant, répondit Quélus, voilà deux hommes qui viennent.

      — Ma foi, oui, répétèrent deux ou trois voix, reconnaissant la vérité de la proposition.

      — En ce cas, chargeons, dit Schomberg.

      — Un moment, dit d'Épernon; n'allons pas tuer de bons bourgeois, ou d'honnêtes sages-femmes. Tiens! ils s'arrêtent.

      En effet, à l'extrémité de la rue Saint-Paul qui donne sur la rue Saint-Antoine, les deux personnes qui attiraient l'attention de nos cinq

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