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«Henri III a regné sous Catherine de Médicis…» J'y ai réussi jusqu'à présent…Mais ces deux hommes!..

RUGGIERI

      Eh bien, René, votre valet de chambre, ne peut-il préparer pour eux des pommes de senteur, pareilles à celles que vous envoyâtes à Jeanne d'Albret, deux heures avant sa mort?..

CATHERINE

      Non…Ils me sont nécessaires: ils entretiennent dans l'âme du roi cette irrésolution qui fait ma force. Je n'ai besoin que de jeter d'autres passions au travers de leurs projets politiques, pour les en distraire un instant; alors je me fais jour entre eux; j'arrive au roi, que j'aurai isolé avec sa faiblesse, et je ressaisis ma puissance…J'ai trouvé un moyen. Le jeune Saint-Mégrin est amoureux de la duchesse de Guise.

RUGGIERI

      Et celle-ci?..

CATHERINE

      L'aime aussi, mais sans se l'avouer encore à elle-même, peut-être…Elle est esclave de sa réputation de vertu…Ils en sont à ce point où il ne faut qu'une occasion, une rencontre, un tête-à-tête, pour que l'intrigue se noue; elle-même craint sa faiblesse, car elle le fuit…Mon père, ils se verront aujourd'hui; ils se verront seuls.

RUGGIERI

      Où se verront-ils?

CATHERINE

      Ici…Hier, au cercle, j'ai entendu Joyeuse et d'Epernon lier, avec Saint-Mégrin, la partie de venir faire tirer leur horoscope par vous…Dites aux deux premiers ce que bon vous semblera sur leur fortune future, que le roi veut porter à son comble, puisqu'il compte en faire ses beaux-frères…Mais trouvez le moyen d'éloigner ces jeunes fous…Restez seul avec Saint-Mégrin; arrachez-lui l'aveu de son amour; exaltez sa passion; dites-lui qu'il est aimé, que grâce à votre art, vous pouvez le servir; offrez-lui un tête-à-tête. (Montrant une alcôve cachée dans la boiserie) La duchesse de Guise est déjà là, dans ce cabinet si bien caché dans la boiserie, que vous avez fait faire pour que je puisse voir et entendre au besoin, sans être vue. Par Notre-Dame! il nous a déjà été utile, à moi pour mes expériences politiques, et à vous pour vos magiques opérations.

RUGGIERI

      Et comment l'avez-vous déterminée à venir?..

      CATHERINE, ouvrant la porte du passage secret

      Pensez-vous que j'aie consulté sa volonté?

RUGGIERI

      Vous l'avez donc fait entrer par la porte qui donne dans le passage secret?

CATHERINE

      Sans doute…

RUGGIERI

      Et vous avez songé aux périls auxquels vous exposiez Catherine de Clèves, votre filleule!..L'amour du Saint-Mégrin, la jalousie du duc de Guise…

CATHERINE

      Et c'est justement de cet amour et de cette jalousie que j'ai besoin…M. de Guise irait trop loin, si nous ne l'arrêtions pas. Donnons-lui de l'occupation…D'ailleurs, vous connaissez ma maxime:

      Il faut tout tenter et faire,

      Pour son ennemi défaire.

RUGGIERI

      Ainsi, ma fille, vous avez consenti à lui découvrir le secret de cette alcôve.

CATHERINE

      Elle dort. Je l'ai invitée à prendre avec moi une tasse de cette liqueur que l'on tire de fèves arabes que vous avez rapportées de vos voyages, et j'y ai mêlé quelques gouttes du narcotique que je vous avais demandé pour cet usage.

RUGGIERI

      Son sommeil a dû être profond; car la vertu de cette liqueur est souveraine.

CATHERINE

      Oui…Et vous pourrez la tirer de ce sommeil à votre volonté?

RUGGIERI

      A l'instant, si vous le voulez.

CATHERINE

      Gardez-vous en bien!

RUGGIERI

      Je crois vous avoir dit aussi qu'à son réveil toutes ses idées seraient quelque temps confuses, et que sa mémoire ne reviendrait qu'à mesure que les objets frapperaient les yeux.

CATHERINE

      Oui…tant mieux! elle sera moins à même de se rendre compte de votre magie…Quant à Saint-Mégrin, il est, comme tous ces jeunes gens, superstitieux et crédule: il aime, il croira…D'ailleurs, vous ne lui laisserez pas le temps de se reconnaître. Vous devez avoir un moyen d'ouvrir cette alcôve, sans quitter cette chambre?

RUGGIERI

      Il ne faut qu'appuyer sur un ressort caché dans les ornements de ce miroir magique. (Il appuie sur le ressort, et la porte de l'alcôve se lève à moitié)

CATHERINE

      Votre adresse fera le reste, mon père, et je m'en rapporte à vous…Quelle heure comptez-vous?..

RUGGIERI

      Je ne puis vous le dire…La présence de Votre Majesté m'a fait oublier de retourner ce sablier, et il faudrait appeler quelqu'un.

CATHERINE

      C'est inutile; ils ne doivent pas tarder; voilà l'important…Seulement, mon père, je ferai venir d'Italie une horloge;…je la ferai venir pour vous…Ou plutôt, écrivez vous-même à Florence et demandez-la, quelque prix qu'elle coûte.

RUGGIERI

      Votre Majesté comble tous mes désirs…Depuis longtemps, j'en eusse acheté une, si le prix exorbitant qu'il faut y mettre…

CATHERINE

      Pourquoi ne pas vous adresser à moi, mon père?..Par Notre-Dame! il ferait beau voir que je laissasse manquer d'argent un savant tel que vous…Non…Venez demain, soit au Louvre, soit à notre hôtel de Soissons, et un bon de notre royale main, sur le surintendant de nos finances, vous prouvera que nous ne sommes ni oublieuse ni ingrate. Dieu soit avec vous, mon père! (Elle remet son masque et sort par la porte secrète)

      SCENE II

      RUGGIERI, LA DUCHESSE DE GUISE, endormie

RUGGIERI

      Oui, j'irai te rappeler ta promesse…Ce n'est qu'à prix d'or que je puis me procurer ces manuscrits précieux qui me sont si nécessaires…(Ecoutant) On frappe…Ce sont eux. (Il va refermer la porte de l'alcôve)

      D'EPERNON, derrière le théâtre

      Holà! hé!

RUGGIERI

      On y va, mes gentilshommes, on y va.

      SCENE III

RUGGIERI, D'EPERNON, SAINT-MEGRIN, JOYEUSE

      D'EPERNON, à Joyeuse, qui entre appuyé sur une sarbacane et sur le bras de Saint-Mégrin

      Allons, allons, courage, Joyeuse! Voilà enfin notre sorcier…Vive Dieu! mon père, il faut avoir des jambes de chamois et des yeux de chat-huant pour arriver jusqu'à vous.

RUGGIERI

      L'aigle bâtit son aire à la cime des rochers pour y voir de plus loin.

      JOYEUSE, s'étendant dans un fauteuil

      Oui; mais on voit clair pour y arriver, au moins.

SAINT-MEGRIN

      Allons, allons, messieurs, il est probable que le savant Ruggieri ne comptait pas sur notre visite. Sans cela, nous aurions trouvé l'antichambre mieux éclairée…

RUGGIERI

      Vous vous trompez, comte de Saint-Mégrin. Je vous attendais…

D'EPERNON

      Tu lui avais donc écrit?

SAINT-MEGRIN

      Non, sur mon âme; je n'en ai parlé à personne…

      D'EPERNON, à Joyeuse

      Et toi?

JOYEUSE

      Moi? Tu sais que je n'écris que quand j'y suis forcé…Cela me fatigue.

RUGGIERI

      Je vous attendais, messieurs, et je m'occupais de vous.

SAINT-MEGRIN

      En ce cas, tu sais ce qui nous amène.

RUGGIERI

      Oui.

      (D'Epernon et Saint-Mégrin se rapprochent de lui. Joyeuse se rapproche aussi, mais sans se lever de son fauteuil)

D'EPERNON

      Alors

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