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l'originalité de l'homme de génie, prodigue, insouciant, flâneur, flâneur comme Figaro était paresseux! avec délices.

      Nodier savait à peu près tout ce qu'il était donné à l'homme de savoir; d'ailleurs, Nodier avait le privilège de l'homme de génie; quand il ne savait pas il inventait, et ce qu'il inventait était bien autrement ingénieux, bien autrement coloré, bien autrement probable que la réalité.

      D'ailleurs, plein de systèmes, paradoxal, avec enthousiasme, mais pas le moins du monde propagandiste, c'était pour lui-même que Nodier était paradoxal, c'était pour lui seul que Nodier se défaisait des systèmes; ses systèmes adoptés, ses paradoxes reconnus, il en eût changé, et s'en fût immédiatement fait d'autres.

      Nodier était l'homme de Térence, à qui rien d'humain n'est étranger. Il aimait pour le bonheur d'aimer: il aimait comme le soleil luit, comme l'eau murmure, comme la fleur parfume. Tout ce qui était bon, tout ce qui était beau, tout ce qui était grand lui était sympathique; dans le mauvais même, il cherchait ce qu'il y avait de bon, comme, dans la plante vénéneuse, le chimiste, du sein du poison même, tire un remède salutaire.

      Combien de fois Nodier avait-il aimé? c'est ce qu'il lui eût été impossible de dire à lui-même; d'ailleurs, le grand poète qu'il était! il confondait toujours le rêve avec la réalité. Nodier avait caressé avec tant d'amour les fantaisies de son imagination, qu'il avait fini par croire à leur existence. Pour lui, Thérèse Aubert, la Fée aux miettes, Inès de las Sierras, avaient existé. C'étaient ses filles, comme Marie; c'étaient les sœurs de Marie; seulement, madame Nodier n'avait été pour rien dans leur création; comme Jupiter, Nodier avait tiré toutes ces Minerves-là de son cerveau.

      Mais ce n'étaient pas seulement des créatures humaines, ce n'étaient pas seulement des filles d'Ève et des fils d'Adam que Nodier animait, de son souffle créateur. Nodier avait inventé un animal, il l'avait baptisé. Puis, il l'avait de sa propre autorité, sans s'inquiéter de ce que Dieu en dirait, doté de la vie éternelle.

      Cet animal c'était le taratantaleo.

      Vous ne connaissez pas le taratantaleo, n'est-ce pas? ni moi non plus; mais Nodier le connaissait, lui; Nodier le savait par cœur. Il vous racontait les mœurs, les habitudes, les caprices du taratantaleo. Il vous eût raconté ses amours si, du moment où il s'était aperçu que le taratantaleo portait en lui le principe de la vie éternelle, il ne l'eût condamné au célibat, la reproduction étant inutile là où existe la résurrection.

      Comment Nodier avait-il découvert le taratantaleo?

      Je vais vous le dire.

      À dix-huit ans, Nodier s'occupait d'entomologie. La vie de Nodier s'est divisée en six phases différentes:

      D'abord, il fit de l'histoire naturelle: la Bibliographie entomologique;

      Puis de la linguistique: le Dictionnaire des Onomatopées;

      Puis de la politique: la Napoléone;

      Puis de la philosophie religieuse: les Méditations du cloître;

      Puis des poésies: les Essais d'un jeune barde;

      Puis du roman: Jean Sbogar, Smarra, Trilby, le Peintre de Salzbourg, Mademoiselle de Marsan, Adèle, le Vampire, le Songe d'or, les Souvenirs de Jeunesse, le Roi de Bohême et ses sept châteaux, les Fantaisies du docteur Néophobus, et mille choses charmantes encore que vous connaissez, que je connais, et dont le nom ne se retrouve pas sous ma plume.

      Nodier en était donc à la première phase de ses travaux; Nodier s'occupait d'entomologie, Nodier demeurait au sixième, – un étage plus haut que Béranger ne loge le poète. Il faisait des expériences au microscope sur les infiniment petits, et, bien avant Raspail, il avait découvert tout un monde d'animalcules invisibles. Un jour, après avoir soumis à l'examen l'eau, le vin, le vinaigre, le fromage, le pain, tous les objets enfin sur lesquels on fait habituellement des expériences, il prit un peu de sable mouillé dans la gouttière, et le posa dans la cage de son microscope, puis il appliqua son œil sur la lentille.

      Alors il vit se mouvoir un animal étrange, ayant la forme d'un vélocipède, armé de deux roues qu'il agitait rapidement. Avait-il une rivière à traverser? ses roues lui servaient comme celles d'un bateau à vapeur; avait-il un terrain sec à franchir? ses roues lui servaient comme celles d'un cabriolet. Nodier le regarda, le détailla, le dessina, l'analysa si longtemps, qu'il se souvint tout à coup qu'il oubliait un rendez-vous, et qu'il se sauva, laissant là son microscope, sa pincée de sable, et le taratantaleo dont elle était le monde.

      Quand Nodier rentra, il était tard; il était fatigué, il se coucha, et dormit comme on dort à dix-huit ans. Ce fut donc le lendemain seulement, en ouvrant les yeux, qu'il pensa à la pincée de sable, au microscope et au taratantaleo.

      Hélas! pendant la nuit le sable avait séché, et le pauvre taratantaleo, qui sans doute avait besoin d'humidité pour vivre, était mort, son petit cadavre était couché sur le côté, ses roues étaient immobiles. Le bateau à vapeur n'allait plus, le vélocipède était arrêté.

      Mais, tout mort qu'il était, l'animal n'en était pas moins une curieuse variété des éphémères, et son cadavre méritait d'être conservé aussi bien que celui d'un mammouth ou d'un mastodonte; seulement, il fallait prendre, on le comprend, des précautions bien autrement grandes pour manier un animal cent fois plus petit qu'un citron, qu'il n'en faut prendre pour changer de place un animal dix fois gros comme un éléphant.

      Ce fut donc avec la barbe d'une plume que Nodier transporta sa pincée de sable de la cage de son microscope dans une petite boîte de carton, destinée à devenir le sépulcre du taratantaleo.

      Il se promettait de faire voir ce cadavre au premier savant qui se hasarderait à monter ses six étages.

      Il y a tant de choses auxquelles on pense à dix-huit ans, qu'il est bien permis d'oublier le cadavre d'un éphémère. Nodier oublia pendant trois mois, dix mois, un an peut-être, le cadavre du taratantaleo.

      Puis, un jour, la boîte lui tomba sous la main. Il voulut voir quel changement un an avait produit sur son animal. Le temps était couvert, il tombait une grosse pluie d'orage. Pour mieux voir, il approcha le microscope de la fenêtre, et vida dans la cage le contenu de la petite boîte.

      Le cadavre était toujours immobile et couché sur le sable; seulement le temps, qui a tant de prise sur les colosses, semblait avoir oublié l'infiniment petit.

      Nodier regardait donc son éphémère, quand tout à coup une goutte de pluie, chassée par le vent, tombe dans la cage du microscope et humecte la pincée de sable.

      Alors, au contact de cette fraîcheur vivifiante, il semble à Nodier que son taratantaleo se ranime, qu'il remue une antenne, puis l'autre; qu'il fait tourner une de ses roues, qu'il fait tourner ses deux roues, qu'il reprend son centre de gravité, que ses mouvements se régularisent, qu'il vit enfin.

      Le miracle de la résurrection vient de s'accomplir, non pas au bout de trois jours, mais au bout d'un an.

      Dix fois Nodier renouvela la même épreuve, dix fois le sable sécha et le taratantaleo mourut, dix fois le sable fut humecté et dix fois le taratantaleo ressuscita.

      Ce n'était pas un éphémère que Nodier avait découvert, c'était un immortel, selon toute probabilité, son taratantaleo avait vu le Déluge et devait assister au Jugement dernier.

      Malheureusement, un jour que Nodier, pour la vingtième fois peut-être, s'apprêtait à renouveler son expérience, un coup de vent emporta le sable séché, et, avec le sable, le cadavre du phénoménal taratantaleo.

      Nodier reprit bien des pincées de sable mouillé sur sa gouttière et ailleurs, mais ce fut inutilement, jamais il ne retrouva l'équivalent de ce qu'il avait perdu: le taratantaleo était le seul de son espèce, et, perdu pour tous les hommes, il ne vivait plus que dans les souvenirs de Nodier.

      Mais aussi là vivait-il de manière à ne jamais s'en effacer.

      Nous avons parlé des défauts de Nodier;

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