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Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название Les esclaves de Paris
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Ces pratiques, en général, ne savent rien de ce qui se passe dans les maisons où on les emploie, ou ce qui s'y fait n'offre aucun intérêt.
B. Mascarot les abandonne donc absolument à Beaumarchef, et ne se dérange que s'il survient quelque maître d'hôtel, ou encore un cuisinier de grande maison ce qui arrive parfois.
L'honorable placeur ne s'inquiétait donc pas plus du bruit de la salle voisine, qu'un grand personnage du tumulte des solliciteurs encombrant ses antichambres. Il mettait toute son attention à déchiffrer, à annoter et à classer dans un certain ordre ces petits carrés de papier qui avaient si fort intrigué Paul.
Et telle était sa préoccupation que, pareil à un vase qui déborde, il laissait échapper le trop plein de son cerveau en un monologue bizarre.
– Quelle entreprise! marmottait-il, mais aussi, quel résultat!.. Je suis seul, cependant, tout seul, pour porter le faix de cette tâche énorme. Mon dernier mot, personne le sait. Seul, je tiens en mes mains puissantes le bout de tous les fils que depuis vingt ans, avec la patience de l'araignée lissant sa toile, j'attache à mes pantins. Que je fasse un mouvement, tout remue. Qui croirait cela, à me voir? Quand je passe rue Montorgueil, on dit: «C'est Mascarot, placeur pour les deux sexes et autres.» Et on rit, et je laisse rire. Il n'est de puissances solides que les puissances ignorées. Celles qu'on connaît, on les attaque et on les démolit. Personne ne me connaît, moi!
Une fiche plus importante que les autres passait sous ses yeux.
Rapidement, il traça en marge quelques lignes, et, après un silence, il reprit:
– Je puis échouer, c'est incontestable. Il peut se trouver un hardi matin qui rompe une maille de mon filet, les timides s'évaderont par la déchirure, et alors… Cet imbécile de comte de Mussidan ne me demandait-il pas si je connais mon code! Oui, je l'ai étudié, mon code pénal, et je sais que, livre 3, titre II, se trouve un certain article 400, qui semble avoir été rédigé spécialement en vue de mes opérations. Travaux forcés à temps, s'il vous plaît… sans compter que si un magistrat madré me joint avec l'article 305, il s'agit des travaux forcés à perpétuité!..
Sur ces mots, qu'il prononça lentement, comme pour en bien mesurer la portée, un frisson courut le long de son échine; mais ce fut qu'un éclair, car, avec un triomphant sourire, il poursuivit:
– Oui… mais pour envoyer B. Mascarot respirer l'air de Toulon, il faut pincer B. Mascarot, et ce n'est pas précisément l'enfance de l'art. Vienne une alerte sérieuse, et… bonsoir, plus de Mascarot, il disparaît, évanoui, fondu, évaporé!.. Peut-on remonter à ces timides joueurs qui sont mes associés. Catenac, l'avare, et Hortebize, l'épicurien? Non, je les ai placés hors de toute atteinte. Inquiéterait-on Croisenois? Jamais. Et il périrait plutôt que de parler. Au fond de tout, on trouverait Beaumarchef, La Caudèle, Toto-Chupin et deux ou trois autres pauvres diables. La belle prise! Ils ne diraient rien, ceux-là, pour cent raisons, dont la première est qu'ils ne savent rien.
Ces raisonnements lui semblaient si péremptoires, qu'il s'oublia jusqu'à rire tout haut.
Puis, d'un geste fier rajustant ses lunettes, il ajouta:
– J'irai droit à mon but, comme un boulet de canon. Ce que je veux, sera. Par Croisenois, j'enlèverai d'un coup quatre millions… j'ai fait mon compte. Paul épousera Flavie… je l'ai juré, et après, pour que Flavie soit heureuse et enviée, elle sera duchesse à trois cent mille livres de rentes…
Ses fiches étaient en ordre.
Il retira d'un tiroir secret de son bureau un petit registre qui ressemblait à un répertoire, avec son alphabet collé le long de la tranche.
Il l'ouvrit, ajouta quelques noms à ceux qui s'y trouvaient déjà et le ressera en disant d'un ton de menace:
– Vous êtes tous là, mes bons amis, tous, et vous ne vous en doutez guère. Vous êtes tous riches, vous êtes heureux et honorés, vous vous croyez libres… Allons donc! Il est un homme à qui vous appartenez, âme, corps et biens, et cet homme qui vous tient ainsi, c'est B. Mascarot, le placeur de la rue Montorgueil. Vous êtes bien fiers tous, et pourtant, quand il le voudra, vous serez à ses pieds, vous disputant l'honneur de dénouer ses souliers. Or, il va vouloir, mes petits amis, ce bon papa Mascarot, il trouve qu'il a travaillé assez comme cela, il est las des affaires, il veut se retirer et il lui faut servir quelques petites rentes.
Il se tut, on frappait à la porte.
Du bout du doigt il toucha son timbre, et la vibration n'était pas éteinte, que Beaumarchef parut.
– C'est à n'y pas croire, patron, s'écria dès le seuil l'ancien sous-off… Vous m'avez demandé, n'est-ce pas, de compléter le dossier du jeune M. de Gaudelu.
– Après?
– Eh bien, patron, il se trouve que la cuisinière qu'il a donnée à sa petite dame a été placée par nous. C'est une de nos anciennes pratiques de l'hôtel. Même elle nous devait onze francs, et elle nous les apporte; elle est là, c'est une nommée Marie… Voilà un hasard?
B. Mascarot haussa les épaules.
– Tu n'est qu'un sot, Beaumar, prononça-t-il, de t'extasier ainsi. Je t'ai cependant expliqué ce que c'est au juste que le hasard. C'est un champ comme un autre, plus fertile cependant et plus vaste, et qui n'a d'autre propriétaire que les habiles. Or, voici vingt-cinq ans que je l'ensemence, ce champ; c'est s'il ne me donnait pas de récolte, qu'il faudrait s'étonner.
C'est d'un air pénétré que l'ex-sous-off… écoutait son patron, la bouche béante, comme si par cette ouverture les leçons eussent pu entrer en lui plus facilement pour s'aller loger dans les cases de sa cervelle.
– Qu'est-ce que cette cuisinière? demanda le bon placeur.
– Oh!.. patron, rien qu'en la regardant, vous le devinerez. C'est une vieille cliente, et il y a longtemps que l'ai classée dans la catégorie D, vous savez: cuisinières à placer près des demoiselles très lancées.
L'estimable placeur n'écoutait plus, il réfléchissait.
– Va me chercher cette fille, dit-il enfin.
Et pendant que Beaumarchef obéissait, il ajouta, répondant à quelque objection de son esprit:
– Négliger le plus léger renseignement est folie, l'expérience me l'a démontré.
Mais déjà la cuisinière de la catégorie D était devant lui, toute fière d'être introduite dans le sanctuaire de l'agence.
Et certes, il n'était besoin que d'un seul coup d'œil pour comprendre les causes déterminantes de la classification de Beaumarchef.
C'est, du reste, avec cette aménité onctueuse qui a établi sa réputation par tout Paris que B. Mascarot l'accueillit.
– Eh bien! ma fille, lui demanda-t-il, vous avez donc trouvé une place à votre convenance et où vous serez selon vos mérites?
– Ma foi, monsieur, je crois que oui. Je ne connais Mme Zora de Chantemille que d'hier à deux heures…
– Ah!.. elle s'appelle Zora de Chantemille.
– C'est-à-dire, vous comprenez, c'est un nom comme ça qu'elle a pris. Mais elle s'est assez disputée à ce sujet avec monsieur. Elle voulait, elle, s'appeler Raphaële, mais monsieur en tenait pour Zora, si bien…
– Zora est fort joli, prononça gravement le placeur.
– Tenez, c'est justement ce que nous avons dit à madame, la femme de chambre et moi. Belle personne, du reste, pas regardante, et qui s'entend à faire danser les écus. Je puis vous garantir que, déjà, à mon su, vu et entendu dire, elle a fait dépenser à monsieur plus de trente mille francs.
– Diable!
– Oh! elle va bien. Et tout à crédit, s'il vous plaît. Monsieur de Gandelu n'a pas le sou, à ce que m'a