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Raison et sensibilité, ou les deux manières d'aimer (Tome 3). Austen Jane
Читать онлайн.Название Raison et sensibilité, ou les deux manières d'aimer (Tome 3)
Год выпуска 0
isbn http://www.gutenberg.org/ebooks/35163
Автор произведения Austen Jane
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Vous vous trompez, Elinor, vous vous trompez beaucoup; avec un peu de soins et de peine de votre côté vous vous assurez cette conquête. Peut-être n'est-il pas encore décidé; votre peu de fortune peut le faire balancer. Sans doute sa famille est contre vous; c'est tout simple, et cela doit-être ainsi. Mais quelques-uns de ces petits encouragemens que les jolies femmes savent si bien donner, le décideront en dépit de lui-même; et je ne vois aucune raison qui puisse vous en empêcher. Je n'imagine pas qu'un premier attachement de votre côté puisse influer. Vous n'êtes pas romanesque, vous Elinor… et en un mot vous savez fort bien qu'un attachement de cette nature est hors de la question… Vous avez assez d'esprit pour me comprendre et assez de raison pour sentir qu'il y a des obstacles insurmontables. Non, non, le colonel Brandon, voilà celui sur lequel vous devez jeter vos vues; et de ma part aucune politesse, aucune attention, ne sera épargnée pour qu'il se plaise avec vous et votre famille. Je l'inviterai à dîner au premier jour, je vous le promets. C'est une affaire qui nous donnerait à tous une vraie satisfaction. Vous devez sentir, dit-il en baissant la voix d'un air important, que cela ferait plaisir à tout le monde… Toute ma famille désire excessivement, Elinor, de vous voir bien établie. Fanny particulièrement a votre intérêt à cœur, je vous assure, et sa mère aussi, madame Ferrars, qui ne vous connaît pas encore, mais qui a souvent entendu parler de vous, et qui est une très-bonne femme. Elle disait l'autre jour qu'elle donnerait tout au monde pour vous voir bien mariée. – A tout autre qu'à son fils, pensa Elinor sans le dire. Pauvre dame. Ferrars! ce n'est pas moi qui vous donnerai du chagrin!
– Vous ne répondez pas, reprit M. Dashwood; vous êtes convaincue, je le vois; et l'affaire ira. Ce serait une chose très remarquable et très plaisante d'avoir deux noces en même temps dans la famille et que Fanny mariât son frère et moi ma sœur; cela n'est pas impossible.
– Est-ce que M. Ferrars doit se marier? demanda Elinor avec fermeté.
– Cela n'est pas encore conclu, répondit-il; mais il en est fort question. Il a une si excellente mère! Madame Ferrars avec une libéralité que l'on voit rarement chez une femme aussi riche, lui donne mille livres sterling par année en faveur de ce mariage. Aussi est-ce un parti qu'il ne faut pas laisser échapper: c'est mademoiselle Morton, la fille unique de feu lord Morton, qui aura le jour de son mariage trente mille pièces. Edward, comme vous le savez, est très-aimable; il a un bon caractère, tout ce qu'il faut pour rendre une femme très-heureuse. Ainsi c'est un mariage très-sortable des deux côtés, et qui se fera sûrement. Edward doit à sa mère de n'y mettre aucun obstacle. Une mère qui se prive pour son fils d'un revenu de mille pièces; c'est superbe! Il lui en reste encore deux mille; mais elle a deux autres enfans, Fanny et Robert. Elle ne les oublie pas non plus; elle est si généreuse, si noble! L'autre jour quand nous arrivâmes à la ville, pensant qu'un peu d'argent nous ferait plaisir, elle glissa dans la main de Fanny un billet de banque de deux cents pièces. Jugez comme cela venait à propos!
– Est-ce que vous auriez fait quelque perte d'argent, dit Elinor, essuyé quelque banqueroute?
– Non, non rassurez-vous; je ne place mon argent qu'en lieu sûr: il n'y a rien à craindre. Mais mon Dieu! dans ces temps-ci on a tant de dépenses à faire, et qui s'augmentent quand on vient à Londres. Voyez il faut un collier neuf à Fanny. Elle donnera bien le vieux en paiement; mais il y a toujours la façon. Je veux aussi vous donner, mes chères sœurs, à chacune une petite paire de boucles d'oreilles. Quand nous retournerons chez Grays vous choisirez. Vous n'en achetiez pas ce matin, j'espère? Il serait piquant que vous m'eussiez prévenu.
– Non, non, mon frère, rassurez-vous; nous n'en avons pas besoin du tout. Notre bonne maman a voulu absolument nous donner quelques-uns de ses bijoux, plus que nous n'en voulions, et je les faisais remonter. – Bien, fort bien, j'en suis charmé; c'est très-bien fait. Quel besoin en a-t-elle à la campagne? Enfin vous avez vu ma bonne volonté. J'ai promis à mon père, à ses derniers momens, d'avoir soin de vous. On ne manque pas à une parole de cette espèce; et vous auriez eu déja quelques petits présens de ma part, si je n'avais pas eu de grandes dépenses à faire à Norland.
– A Norland! avez-vous fait des changemens?
– Oui, quelques uns; d'abord des emplètes considérables de linge, de porcelaines, de meubles, pour remplacer ceux que notre respectable père a légués à votre mère. Je ne m'en plains pas; il avait bien le droit de les donner à qui il voulait. Mais enfin il a fallu beaucoup d'argent pour ces emplètes; et pour y suppléer j'ai coupé l'avenue des grand ormes et beaucoup éclairci le bois de chêne; j'ai fait ôter tous ces vieux arbres que Maria trouvait si beaux. Vous ne sauriez croire comme c'est plus joli à présent que tout est découvert. J'ai vendu tous ces bois; n'ai-je pas bien fait, Elinor, qu'en dites-vous?
Elinor ne répondait pas; elle était en idée sous ces beaux ombrages qui n'existaient plus. Pauvre Maria, pensait-elle, tu perds à-la-fois tout ce que ton cœur aimait! Il trouvera encore des soupirs, ce pauvre cœur, pour les vieux arbres de Norland.
– Vous avez aussi agi très-prudemment, continua John Dashwood, en vous liant avec cette madame Jennings. Sa maison est très-bien meublée; son équipage, annonce qu'elle est très-bien dans ses affaires; et c'est une connaissance qui peut vous être très-utile pour le présent et pour l'avenir. Son invitation prouve combien elle vous aime: car enfin deux personnes de plus dans un ménage sont quelque chose. Mais, à la manière dont elle parle de vous, je parie qu'elle ne s'en tiendra pas là, et qu'à sa mort vous ne serez pas oubliées. Elle laissera sûrement quelque bonne somme; et j'en suis charmé pour vous.
– Je crois, dit Elinor, qu'elle ne laissera que ce qui doit revenir à ses enfans.
– Bon! bon! moi je suis sûr qu'elle fait des épargnes et qu'elles seront pour vous. Ne m'a-t-elle pas dit: vos sœurs remplacent mes filles; n'était-ce pas clair? Qu'avez-vous à dire à cela?
– Nous les remplaçons dans leurs chambres, et rien de plus. Elle aime beaucoup ses filles et ses petits-enfans, et ne leur préférera pas des étrangères; cela ne serait ni juste ni naturel.
– Ses filles sont très-bien mariées; et je ne vois pas la nécessité de leur donner plus qu'il ne leur revient de droit. Ses bontés inouïes pour vous vous donnent lieu de prétendre à un bon legs après elle; ce serait vous tromper que d'en agir autrement.
– Nous ne demandons que son amitié, dit Elinor; et pardonnez, mon frère, si je vous avoue que votre intérêt pour notre prospérité va beaucoup trop loin.
– Non, non, pas du tout. J'ai promis à notre bon père de m'intéresser à vous dans toutes les occasions, et rien n'est plus juste. Mais, ma chère Elinor, parlons d'autre chose. Qu'est-ce qu'il y a avec Maria? Elle n'est plus la même; elle a perdu ses belles couleurs; elle a maigri; ses yeux sont battus; elle n'a plus de gaîté, de vivacité; est-elle malade?
– Elle n'est pas bien; elle a depuis quelques semaines des maux de nerfs et de tête.
– J'en suis fâché, très fâché! Dans la jeunesse il suffit d'une maladie pour détruire la fleur de la beauté; et voyez en combien peu de temps! En septembre passé quand elle quitta Norland, c'était la plus belle fille qu'on pût voir. Elle avait précisément ce genre de beauté qui plaît aux hommes et les attire. Je pensais aussi qu'elle trouverait bientôt un bon parti. Je me rappelle que Fanny disait souvent que quoiqu'elle fût votre cadette, elle se marierait plutôt et mieux que vous. Elle s'est trompée cependant: c'est tout au plus à présent, si Maria trouve un parti de cinq ou six cents pièces de rente; et vous, Elinor, vous allez en avoir un de deux mille… en Dorsetshire… dites-vous… Je connais peu le Dorsetshire, mais je me réjouis beaucoup de voir votre belle terre. Dès que vous y serez établie, vous pouvez compter sur la visite de nous deux Fanny et moi. Nous serons charmés de passer là quelque temps avec vous et le bon colonel.
Elinor s'efforça très-sérieusement de lui ôter l'idée que le colonel songeât à l'épouser; mais ce fut en vain. Ce projet lui plaisait trop pour qu'il y renonçât. Il persista à dire qu'il