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Nord-Sud: Amérique; Angleterre; Corse; Spitzberg. Rene Bazin
Читать онлайн.Название Nord-Sud: Amérique; Angleterre; Corse; Spitzberg
Год выпуска 0
isbn http://www.gutenberg.org/ebooks/34708
Автор произведения Rene Bazin
Жанр Книги о Путешествиях
Издательство Public Domain
Nous descendons dans des canots automobiles qui nous mènent à terre. Les groupes s'engagent dans les allées d'un parc en pente rapide, les unes décrivant des lacets à travers les bouquets d'arbres, et la plus grande, carrossable, montant presque droit, avec sa large banquette de briques posées sur champ. J'imagine les attelages et les lourdes berlines du seigneur qui habitait là-haut. A présent, cette avenue ne connaît plus le poids des roues, à moins que ce ne soit d'une charrette de feuilles mortes ou de foin; le tombeau du maître est à mi-colline, chapelle rouge dans la verdure; il ne vient plus que des visiteurs, par la voie du fleuve, et la maison est à jamais inhabitée. La maison, longue, plate et blanche, posée à la crête du plateau, regarde, par-dessus les pelouses, tout un pays, les eaux coudées du Potomac, et les forêts qu'en s'écartant elles enveloppent et limitent de leur lumière. En arrière, elle a son accompagnement obligé de dépendances et de communs, son village, ainsi qu'on peut le voir, aujourd'hui encore, dans les domaines seigneuriaux d'Angleterre, cuisines, maisons du jardinier, boulangerie, et dix autres pavillons, y compris celui qui servait à fumer les jambons. Devant la demeure du jardinier, – quel poste enviable! – des bordures de buis d'une authenticité certaine, des buis taillés en murets, en corbeilles, en pétales de lis, des buis dont on aperçoit la membrure tordue et dégarnie à moitié, vestiges encore somptueux, abritent des fleurs dont un curé de village ne voudrait plus, primevères, oreilles d'ours et pensées. Je n'ai pas vu le jardinier. Il n'est pas fonctionnaire. Il dépend de la «Mount-Vernon ladies association», qui conserve à l'admiration de l'Amérique le domaine du grand homme; et je le crois assuré de ne point déplaire, s'il remplit bien son rôle de retardeur de la mort et de défenseur des bosquets. Quels beaux moments il doit connaître! Lorsque la nuit d'été va commencer, – tous les visiteurs partis, et le petit pavillon d'accostage n'étant visé par aucune proue, – quelle splendeur pour lui! La ville, au loin, mijote dans la chaleur humide de l'été. Les habitants riches ont tous quitté la capitale politique; les mouches à feu traversent les avenues. Le jardinier de Mount-Vernon, debout au-dessus d'une contrée assoupie, regarde d'en haut les bateaux qui passent, et le premier souffle de vent est pour lui, que la brise se lève du fleuve, ou de l'océan invisible, ou des forêts qui l'ont gardée fraîche tout le jour, parmi les mousses, et capable seulement d'un vol court.
Washington, après une soirée.– Parmi les gloires américaines, il faut célébrer l'œillet rose et la rose qui a nom, équitablement, «american beauty». Ce sont des fleurs de grande santé, d'une richesse de ton qui ne heurte pas et ne fatigue pas; elles ont le parfum non pas subtil, mais d'une fraîcheur vive et durable; elles coûtent cher; elles meurent à profusion sur les tables et dans les salons; on m'a dit qu'elles vivaient en serre, – du moins les premières de la saison, – et si j'en préfère d'autres, je ne veux pas le savoir, mais elles ont le droit d'être aimées.
A la fin d'un de ces dîners d'apparat qui ont groupé, chaque soir, les membres de la délégation Champlain, j'ai posé cette question à mes voisins américains:
– Ne pensez-vous pas que l'Amérique, qui a eu un bel éveil littéraire, avec Longfellow, Edgar Poe, Thoreau, Hawthorn, aura un jour sa grande période de littérature et d'art?
Un citoyen considérable des États-Unis a répondu fermement:
– Non.
– Parce que?
– Nous ne faisons rien pour cela. Nous ne le désirons pas.
– Les Barbares ont dû dire comme vous.
– Pas tout à fait. Ils brisaient les œuvres d'art: nous les achetons.
– Comment pouvez-vous admettre que votre patrie pourra manquer, toujours, de génies créateurs? Vous acceptez qu'elle n'ait qu'une civilisation moindre? Toute matérielle?
– Oui, surtout matérielle, nos profits nous permettant de jouir, comme d'un luxe, des arts qui n'auront pas fleuri chez nous. Nous buvons votre champagne: c'est la même chose. J'accepte très bien l'idée d'une Amérique tributaire de quelques nations anciennes, pour les jeux de l'esprit.
– Ce que vous appelez jeu, c'est la vie même. Je vais vous dire le rêve que j'ai fait. Je suis, pour vous, plus ambitieux que vous.
Ma voisine, Américaine, écoutait de ses deux yeux où il y avait une mine d'or et une forêt mêlées, tandis que mon interlocuteur, comme un taureau qui va charger, baissant un peu sa face carrée, coiffée d'une lamelle de cheveux noirs, fixait sur moi des prunelles non habituées aux nuances, et qui ne cessaient de dire: «Non, non, non.»
– Pourquoi pas? Vous dites que l'éducation, l'exemple, la lecture des journaux, le besoin