ТОП просматриваемых книг сайта:
La Sarcelle Bleue. Rene Bazin
Читать онлайн.Название La Sarcelle Bleue
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Rene Bazin
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Il avança le bras, et prit un des plus vieux volumes, long comme un doigt, maculé de taches, le dos tailladé en lanières par l'usure, et l'ouvrit à la première page. C'était une histoire sainte. Là, d'une grosse écriture de débutante, il y avait trois lignes bien connues de lui: «A mon bon parrain Robert, fleur de rosier de Bengale, offerte par son élève Thérèse.» Un peu plus bas, l'empreinte d'une fleur qui avait séché, puis disparu.
Il relut plusieurs fois ce texte naïf, sécha, du revers de la main, une larme involontaire qui s'apprêtait à couler, et, saisissant par paquets les livres et les cahiers, il les enfouit rapidement dans un des tiroirs de la commode.
– Allons, dit-il en fermant le meuble, tout cela est mort. Maintenant, puisque mes histoires n'ont plus le pouvoir de l'amuser, il faudrait trouver des lectures de son âge…
Ses yeux se levèrent sur la bibliothèque vitrée, si coquette, avec ses glaces à biseaux et ses colonnettes torses. Depuis qu'il professait, M. de Kérédol n'avait pas eu le temps ni le goût de lire pour lui-même. Il possédait seulement et renfermait là une quarantaine de volumes, éditions de poche artistement reliées, qui l'avaient suivi à travers le monde. Sous le feu de la bougie, les titres, les dos de basane et de maroquin luisaient doucement.
«Quelque chose pour une jeune fille de dix-sept ans, disait Robert, voilà qui est difficile! Voyons!.. Discours sur l'Histoire universelle? trop grave… Voyage du jeune Anacharsis? d'un vieillot!.. Dominique, oh! Dominique, de Fromentin? non, ce n'est pas pour son âge… Guide de l'Apiculteur? non!.. Brizeux, deux volumes? peuh! la poésie? Des extraits, peut-être… Molière, Theâtre complet; Michelet, l'Oiseau; marquis de Foudras, les Gentilshommes chasseurs; Corinne… Décidément, mon pauvre Robert, pas de chance: tes histoires ne conviennent plus, ta bibliothèque ne convient pas encore. Et si peu d'œuvres! Je suis presque au bout… Pensées, de Joubert; Rabelais; Service en campagne 1866; Contes choisis, de Daudet… Voilà! voilà mon affaire! Les Contes choisis! En choisissant encore parmi eux, – une jeune fille tout à fait jeune fille, qui n'a rien lu! – oui, elle aimera cela. Ce Daudet, la Chèvre de M. Seguin, les Étoiles, oh! les Étoiles! Comment n'avais-je pas pensé?.. Elle sera contente, Thérèse…»
Et il souriait en cherchant dans sa poche la clef du petit meuble. Quand il l'eut saisie, il fit jouer le ressort, qui rendit un son de neuf, et le parfum du vieux cuir se répandit dans la chambre.
– Voilà bien l'affaire, ajouta-t-il en faisant basculer le volume qu'il posa à plat près du bougeoir: Daudet, un moderne, celui-là! Avec lui, je suis sûr de ne pas l'endormir. Ah! elle sera étonnée, demain, quand je lui annoncerai: «Mademoiselle Thérèse, désormais les contes choisis de Daudet remplacent les contes usés de votre oncle». Je gage, la pauvre petite, qu'elle sera touchée, reconnaissante. Vive comme elle est, par exemple, il faudra tout de suite ouvrir le volume!
En se parlant ainsi, Robert fit quelques pas jusqu'à la fenêtre demeurée ouverte à deux battants, à cause de la grande chaleur, et s'appuya sur l'accoudoir. Vraiment, il était satisfait de sa trouvaille. Il se sentait en possession d'un moyen assuré de réparer l'échec de tout à l'heure. Ses yeux, errant sur le grand jardin noyé d'ombres tièdes, ne virent rien d'abord que l'image présente à sa pensée: Thérèse tout à fait heureuse et bien éveillée, qui le remerciait avec des mots jeunes comme elle, tandis que lui, assis près d'elle, lisait, en y mettant le ton, la Chèvre de M. Seguin. Il voyait cela très nettement. Puis, les rayons de lumière vive dont ses yeux étaient pénétrés se dissipant peu à peu, il commença à distinguer les teintes variées de la nuit: ici le sable pâle de la grande allée, là l'ovale d'une corbeille de pétunias, les rayures brunes des plates-bandes du potager, des boules sombres qui étaient des buis taillés, et, des deux côtés du domaine, le vallonnement argenté des cimes d'arbres qui diminuaient, prenaient des mouvements de nuages, et s'allaient réunir tout au fond, dans la brume. La vision de ces choses réelles et familières effaça l'image où s'était complu Robert, et ramena dans son esprit la question un moment écartée.
«Dix-sept ans! pensait-il. Déjà! Un âge effrayant. C'est si délicieux! Tous les rêves qui éclosent à la fois, et trouvent le nid trop petit pour eux, et s'en vont. Oh! si elle s'en allait! Dire que nous sommes trois ici, qui ne vivons que d'elle et pour elle, et que, cependant, au premier appel du dehors, elle nous quitterait peut-être, elle nous laisserait! Maldonne n'a pas compris!.. Je sais bien qu'elle est merveilleusement pure, ignorante de la vie. Cela peut nous la garder quelque temps. Nous voyons si peu de monde! Les Pépinières sont loin de la ville. Et puis, elle nous aime. Comment n'aimerait-elle pas ceux qui ont enveloppé sa jeunesse d'une tendresse pareille? C'est égal, je ne conçois plus la paix profonde où j'étais hier, ce matin encore. Il me semble que je ne pourrai plus la regarder sans avoir peur de la perdre… Voyons, voyons, il faut découvrir des moyens nouveaux pour l'intéresser, lui rendre le séjour au milieu de nous si agréable, si pleinement doux, que cela lui suffise, trois amis à aimer. Daudet m'aidera un peu, un tout petit peu. Et le reste? Mon Dieu! que c'est dur de prévoir!..»
Il avait étendu le bras, sans trop songer à ce qu'il faisait, vers une tige de bignonia grimpante, qui jaillissait, au-dessous de la fenêtre, du bourrelet enchevêtré des clématites et des vignes vierges. Au bout de la tige, droite et ferme, une fleur s'ouvrait, son calice brun tendu au souffle errant de la nuit. Robert la saisit, et l'attira. Mais la liane était si bien mêlée aux autres que toute une masse de feuilles en fut remuée; deux ou trois passereaux, gîtés sous ce couvert, s'envolèrent effarés, et une voix venue d'en haut, une voix fraîche et nette éclata, comme un chant de merle fuyard:
– Ah! mon oncle, c'est vous!
Il lâcha la branche, et se renversa légèrement, un seul coude appuyé à la barre de la fenêtre, pour regarder en l'air. Juste au-dessus de lui, à l'étage supérieur, Thérèse, penchée en avant, les deux bras étendus, les doigts engagés entre les lames des contrevents, riait de la peur qu'elle avait eue, et de la surprise de son oncle, et de se sentir jeune, et d'avoir la liberté d'être elle-même devant cette campagne voilée d'ombre, où son rire se perdait.
– Dieu! que vous m'avez fait peur! dit-elle. Je ne sais pas ce que je me suis figuré. Rien du tout, je n'ai pas eu le temps. Mais j'ai eu une peur! Vous avez agité toute cette muraille verte. A qui en vouliez-vous?
– Moi? je cueillais une fleur de bignonia. J'ai peut-être tiré un peu fort?
– Je le crois!
Ses lèvres se détendirent, les fossettes de ses joues disparurent, et un sourire qui se faisait humble, très innocent, où toute une âme d'enfant parlait, descendit d'une fenêtre à l'autre.
– J'espère que vous m'avez pardonné? dit-elle… Vous vous souvenez: tout à l'heure…
– Complètement pardonné, Thérèse!
– Oh! je vous remercie. Je ne sais pas ce que j'avais, car, vous voyez, je suis tout à fait éveillée maintenant, gaie comme un pinson, et je n'ai pas plus envie de dormir!.. Bonsoir, parrain!
– Bonsoir, mignonne!
Robert la regardait, et, sur sa figure fatiguée, une expression de contentement se peignait. Il vit le visage de Thérèse s'effacer, les deux bras ramener les contrevents, la grande baie à demi éclairée devenir subitement sombre, et il demeura cependant plusieurs minutes immobile. Puis il se retourna, et se remit à songer.
Il était plus rassuré. Ces mots, ce sourire si jeune avaient chassé les pensées troublantes.