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Le Montonéro. Aimard Gustave
Читать онлайн.Название Le Montonéro
Год выпуска 0
isbn http://www.gutenberg.org/ebooks/51144
Автор произведения Aimard Gustave
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
La tourière s'effaça pour lui livrer passage, et il entra dans la cellule où elle le suivit en refermant la porte derrière elle.
Cette cellule, fort confortablement meublée en vieux chêne noir sculpté, et dont les murs étaient tendus à la mode espagnole en cuir de Cordoue gaufré, se composait de deux pièces, ainsi que l'indiquait une porte placée dans un angle.
Trois personnes étaient réunies en ce moment dans la cellule, assises sur des chaises à haut dossier sculpté.
Ces trois personnes étaient des femmes.
La première, jeune encore et fort belle, portait un costume complet de religieuse; la croix en diamant, suspendue par un large ruban de soie moirée à son cou et retombant sur sa poitrine, la faisait tout de suite reconnaître pour la supérieure de cette maison qui, malgré l'apparence simple et sombre de son extérieur, était, en réalité, gouvernée par des religieuses carmélites.
Les deux autres dames assises assez près de l'abbesse, portaient un costume laïque.
La première était la marquise de Castelmelhor et la seconde doña Eva, sa fille.
A l'entrée du vieillard, qui s'inclina respectueusement devant elles, l'abbesse fit un léger signe de bienvenue avec la tête, tandis que les deux autres dames, tout en le saluant cérémonieusement, jetaient à la dérobée des regards curieux sur le visiteur.
– Ma chère sœur, dit l'abbesse en s'adressant à la tourière avec cette voix harmonieuse qui déjà avait agréablement chatouillé l'oreille du vieillard, approchez, je vous prie, un siège à ce señor.
La tourière obéit et l'étranger s'assit après s'être excusé.
– Ainsi, continua l'abbesse en s'adressant cette fois au vieillard, vous êtes professeur de musique, señor?
– Oui, señora, répondit-il en s'inclinant.
– Êtes-vous de ce pays?
– Non, señora, je suis étranger.
– Ah! fit-elle, vous n'êtes pas un hérétique, un Anglais?
– Non, señora, je suis un professeur italien.
– Fort bien. Habitez-vous depuis longtemps notre cher pays?
– Depuis deux ans, señora.
– Et auparavant, vous étiez en Europe?
– Pardonnez-moi, señora, j'habitais le Chili, où j'ai résidé assez longtemps à Valparaíso, à Santiago, et, en dernier lieu, à Aconchagua.
– Avez-vous l'intention de vous fixer parmi nous?
– Je le désire du moins, señora; malheureusement les temps ne sont pas favorables pour un pauvre artiste comme moi.
– C'est vrai, reprit-elle avec intérêt. Eh bien! Nous tâcherons de vous procurer quelques élèves.
– Mille grâces pour tant de bonté, señora, répondit-il humblement.
– Vous m'intéressez réellement, et pour vous prouver combien j'ai à cœur de vous venir en aide, cette jeune dame voudra bien, à ma considération, prendre aujourd'hui même leçon avec vous, fit-elle en étendant le bras vers doña Eva.
– Je suis aux ordres de la señorita comme aux vôtres, señora, répondit le vieillard avec un salut respectueux.
– Eh bien! C'est convenu, dit l'abbesse, et, se tournant vers la tourière toujours immobile au milieu de la cellule, ma chère sœur, ajouta-t-elle avec un gracieux sourire, veuillez, je vous prie, faire apporter quelques rafraîchissements et quelques dulces. Vous reviendrez dans une heure pour accompagner ce señor jusqu'à la porte du couvent. Allez.
La tourière s'inclina d'un air rogue, se retourna tout d'une pièce, et sortit de la cellule après avoir jeté un regard sournois autour d'elle.
Il y eut un silence de deux ou trois minutes, au bout desquelles l'abbesse se leva doucement, s'avança vers la porte sur la pointe du pied, et l'ouvrit si brusquement que la tourière, dont l'œil était collé au trou de la serrure, demeura confuse et rougissante d'être ainsi surprise en flagrant délit d'espionnage.
– Ah! Vous êtes encore là, ma chère sœur! dit l'abbesse sans paraître remarquer le désarroi de la vieille femme; j'en suis heureuse: j'avais oublié de vous prier de m'apporter, lorsque vous reviendrez pour reconduire ce señor, mon livre d'heures que j'ai, ce matin, laissé par mégarde au chœur, dans ma stalle.
La tourière s'inclina en grommelant entre ses dents des excuses incompréhensibles, et elle s'éloigna presque en courant.
L'abbesse la suivit un instant des yeux, puis elle rentra, referma la porte sur laquelle elle fit retomber une lourde portière en tapisserie, et se tournant vers le vieux professeur, qui ne savait guère quelle contenance tenir:
– Respectable vieillard, lui dit-elle en riant, rentrez donc les mèches de vos cheveux blonds, qui s'échappent indiscrètement sous votre perruque grise.
– Diable! s'écria le professeur tout déferré, en portant vivement ses deux mains à sa tête et laissant du même coup tomber sa canne et son chapeau, qui allèrent rouler à quelques pas de lui.
A cette exclamation peu orthodoxe, poussée en bon français; les trois dames rirent de plus belle, tandis que le malencontreux professeur les regardait avec des yeux effarés, ne comprenant rien à ce qui se passait et n'augurant rien de bon pour lui de cette gaieté railleuse et insolite.
– Chut! fit l'abbesse en posant un doigt mignon sur ses lèvres roses, on vient.
On se tut.
Elle releva la portière. Presque aussitôt la porte s'ouvrit après que, par un léger grattement, on eût demandé la permission d'entrer.
C'étaient deux sœurs converses qui apportaient les dulces, les confites et les rafraîchissements demandés par l'abbesse.
Elles disposèrent le tout sur une table, puis elles se retirèrent, après avoir salué respectueusement.
Derrière elles, la portière fut immédiatement baissée.
– Croyez-vous maintenant, chère marquise, dit la supérieure, que j'avais raison de me méfier de la sœur tourière?
– Oh! Oui, madame, mais cette femme vendue à nos ennemis est méchante, je redoute pour vous les conséquences de la leçon un peu rude, mais méritée, que vous lui avez donnée.
Un éclair fulgurant brilla dans l'œil noir de la jeune femme.
– C'est à elle de trembler, madame, dit-elle, maintenant que j'ai en main les preuves de sa trahison; mais ne songeons plus à cela, fit-elle en reprenant sa physionomie riante; le temps nous presse; prenez place à cette table, et vous, señor, goûtez de nos conserves; je doute que dans les couvents de votre pays les religieuses en fassent d'aussi bonnes.
La marquise, remarquant la pose embarrassée et l'air piteux de l'étranger, s'approcha vivement de lui avec un gracieux sourire.
– Il est inutile de feindre davantage, lui dit-elle, c'est moi, señor, qui vous ai écrit; parlez donc sans crainte devant madame, elle est ma meilleure amie et ma seule protectrice.
Le peintre respira avec force.
– Madame, répondit-il, vous m'enlevez un poids immense de dessus la poitrine; je vous avoue humblement que je ne savais plus quelle contenance tenir en me voyant reconnu si à l'improviste. Dieu soit béni, qui permet que cela finisse mieux que je ne l'ai un instant redouté.
– Vous jouez admirablement la comédie, señor, reprit l'abbesse; vos cheveux ne passent pas du tout sous votre perruque; j'ai voulu seulement vous taquiner un peu, voilà tout. Maintenant, buvez, mangez, et ne vous inquiétez de rien.
La collation fut alors attaquée par les quatre personnes entre lesquelles la glace était rompue et qui causaient gaiement entre elles; l'abbesse