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Histoire des salons de Paris. Tome 5. Abrantès Laure Junot duchesse d'
Читать онлайн.Название Histoire des salons de Paris. Tome 5
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isbn http://www.gutenberg.org/ebooks/44664
Автор произведения Abrantès Laure Junot duchesse d'
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Mais, dit madame Bonaparte, elle venait en conciliatrice, et…
– En conciliatrice!.. Elle? madame Hulot?.. Ma pauvre Joséphine, tu es bien crédule et bien bonne, ma chère enfant!..»
Et prenant sa femme dans ses bras, il l'embrassa trois ou quatre fois sur les joues et sur le front, et finit en lui pinçant l'oreille avec une telle force qu'elle jeta un cri… Bonaparte poursuivit:
– «Je te dis que ce sont deux méchantes femmelettes, et que cette dernière impertinence de madame Hulot mérite une correction. Bien loin de là, voilà que tu l'accueilles et lui fais politesse.
– Qu'a-t-elle donc fait? se hasarda à demander Cambacérès qui sommeillait dans un fauteuil, après avoir pris son café.
– Mon Dieu, dit madame Bonaparte, madame Moreau voulait voir Bonaparte: elle est venue trois ou quatre fois aux Tuileries sans y parvenir, et l'humeur s'en est mêlée…
– Et Joséphine, qui ne vous dit pas tout, ne vous dit pas aussi que la dernière fois madame Hulot dit en se retirant: Ce n'est pas la femme du vainqueur d'Hohenlinden qui doit faire antichambre… Les directeurs eussent été plus polis. Ainsi madame Hulot regrette le beau règne du Directoire, parce que le chef de l'État ne peut disposer du temps qu'il donne à des travaux sérieux pour bavarder avec des femmes!.. Et toi, tu es assez simple pour chercher à calmer l'irritation que ces méchantes femmes ont éprouvée, et qui n'est autre chose que de la colère!..»
Joséphine, qui s'était éloignée du premier Consul lorsqu'il lui avait pincé l'oreille, revint auprès de lui et passant un bras autour de son cou, elle posa sa tête gracieusement sur son épaule. Napoléon sourit et l'embrassa. Il avait résolu d'être charmant ce jour-là, et il le fut en effet.
– «Allons! s'écria-t-il… laissons tout cela et prenons une vacance… il faut jouer. À quoi jouerons-nous? aux petits jeux?
– Non, non! s'écria-t-on de toutes parts.
– Eh bien! au vingt et un?.. au reversi?
– Oui, oui! au vingt et un.»
On apporta une grande table ronde et nous nous mîmes tous autour.
– «Qui sera le banquier, demanda Joséphine, pour commencer?
Duroc, prends les cartes et tiens la banque; tu nous montreras comment il faut faire.
Mais je n'ai pas d'argent…
Ni moi.
Ni moi.
Mesdames, arrangez-vous, mais je ne veux pas jouer contre des jetons; je ne veux pas jouer à crédit… Je fais mon jeu avec de l'or, et si vous me gagnez je veux aussi vous gagner; demandez de l'argent à vos maris… Lavalette, donne donc de l'argent à ta femme19… (Il cherche dans ses poches, où jamais il n'avait d'argent.) Donne-moi de l'argent, Duroc!.. (Tout le monde se met à rire.) Riez… Tenez…
Le sérieux du premier Consul nous fit beaucoup rire, nous eûmes bientôt devant nous ce qu'il fallait pour faire nos mises, et le jeu commença; mais ce fut pour éveiller une nouvelle gaieté… Napoléon trichait horriblement; il fit d'abord une mise modeste de cinq francs… Duroc tira et donna les cartes: lorsque tout fut fait, Napoléon avança la main après avoir regardé ses cartes.
Voulez-vous une carte, mon général?
Oui. (Après avoir eu sa carte:) À la bonne heure au moins… voilà qui est bien donné! Tu es un brave banquier, Duroc.
Le général Duroc tirant pour lui sur quinze (car il devait croire que Bonaparte avait eu vingt et un) amène un neuf.
Ah!.. perdu! j'ai vingt-quatre… Mon général, n'avez-vous pas vingt et un?
Sans doute! sans doute!.. paie-moi cinq francs!
Voyons donc ton jeu, Bonaparte.
Non, non!.. Je ne veux pas que vous voyez à quel point je suis téméraire… j'ai tiré sur dix-huit!..
Madame Bonaparte insista et voulut prendre les cartes; Bonaparte résistait, tous deux riaient de leur lutte comme deux enfants.
Non, non! je n'ai pas triché cette fois-ci!.. J'ai gagné loyalement. Duroc, paie-moi ma mise… C'est bien… Je fais paroli… (Il regarde son jeu.) Carte… c'est bien…
Carte… un huit!.. J'ai perdu. (Elle jette ses cartes.)
À nous deux, mon général! (Il tire sur son jeu qui est douze et amène un quatre… Il retire encore et amène un six.) J'ai perdu… Quel point aviez-vous donc, mon général?..
Gagné! encore gagné!.. Je montre mon jeu…
Et fièrement il étala dix-neuf; il avait tiré témérairement, comme il le disait, sur quinze, et avait eu un quatre.
Je refais mon jeu, s'écria-t-il tout enchanté; et il mit de nouveau cinq francs devant lui…
LE GÉNÉRAL DUROC, tirant et donnant les cartes, arrive au premier Consul, qui, après avoir regardé son jeu, demande carte; il le regarde quelque temps et en demande une autre… puis il dit:
C'est bien.
Puis, tirant pour lui.
Vingt et un!.. Et vous, mon général?..
Laisse-moi tranquille! voilà ton argent!..
Il lui jeta tout son argent, mit ses cartes avec toutes les autres; et, en même temps, il se leva en disant:
Allons, c'est très-bien: en voilà assez pour ce soir.
Madame Bonaparte et moi, qui étions près de lui, nous voulûmes voir quel jeu il avait d'abord. Il avait tiré sur seize, avait eu ensuite un deux, et puis un huit, ce qui lui faisait vingt-six. Nous rîmes beaucoup de son silence. Voilà ce qu'il faisait pour tricher. Après avoir fait sa mise, il demandait une carte; si elle le faisait perdre, il ne disait mot au banquier; mais il attendait que le banquier eût tiré la sienne; si elle était bonne, alors Napoléon jetait son jeu sans en parler, et abandonnait sa mise. Si au contraire le banquier perdait, Napoléon se faisait payer en jetant toujours ses cartes. Ces petites tricheries-là l'amusaient comme un enfant… Il était visible qu'il voulait forcer le hasard de suivre sa volonté au jeu comme il forçait pour ainsi dire la fortune de servir ses armes. Après tout, il faut dire qu'avant de se séparer, il rendait tout ce qu'il avait gagné, et on se le partageait. Je me rappelle une soirée passée à la Malmaison, où nous jouâmes au reversis. Le général Bonaparte avait toujours les douze cœurs. Je ne sais comment il s'arrangeait. Je crois qu'il les reprenait dans ses levées. Le fait est que lorsqu'il avait le quinola, il avait une procession de cœurs qui empêchaient de le forcer. Notre ressource alors était de le lui faire gorger. Quand cela arrivait, les rires et les éclats joyeux étaient aussi éclatants que ceux d'une troupe d'écoliers. Le premier Consul lui-même n'était certes pas en reste, et montrait peut-être même plus de contentement
19
Émilie de Beauharnais, fille du marquis de Beauharnais, beau-frère de Joséphine, dont la mère avait épousé un nègre.