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Histoire des salons de Paris. Tome 3. Abrantès Laure Junot duchesse d'
Читать онлайн.Название Histoire des salons de Paris. Tome 3
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isbn http://www.gutenberg.org/ebooks/42663
Автор произведения Abrantès Laure Junot duchesse d'
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Tels étaient les hommes qui formaient la société de Robespierre, et Fouquier-Tinville cependant avait un esprit remarquable hors de cette mer de sang où il se baignait tous les jours… Mais tous en étaient venus à cette extrémité qu'il fallait qu'eux-mêmes fussent toujours montés à ce diapason d'une extrême terreur, pour être compris de ceux à qui ils parlaient, et le délire de cette époque produisit le Père Duchesne!.. Le tutoiement acheva de corrompre le beau langage, dont la tradition se conservait néanmoins encore… Le changement total des noms de chaque chose, même des noms propres, acheva l'ouvrage commencé… Insensiblement la société s'effaça en France… on en perdit jusqu'au souvenir… on ne reçut plus, et lorsque madame de Fontenay, après le 9 thermidor, voulut avoir une maison à Chaillot, à ce qu'on nommait la Chaumière, elle eut une peine extrême à la former.
Une des singularités frappantes de l'époque de la Terreur était ce contraste journalier qu'on allait voir au Tribunal révolutionnaire… Ce langage pur et même presque toujours élégant des victimes, avec les paroles grossièrement meurtrières des bourreaux, frappait vivement ceux qui allaient assister à ces horribles scènes pour surprendre quelquefois un mot ou un regard d'adieu!.. Mais ce que je suis fière d'écrire, c'est que l'honneur de cette époque est tout entier aux femmes: leur courage, et leur bravoure même, je puis dire ce mot, est sans aucune comparaison au-dessus de celui des femmes de l'antiquité, même dans leurs actions les plus vantées. Je vais encore en citer un exemple.
Madame Le Callier, jeune, belle et charmante, est arrêtée et jetée dans une des prisons de Paris les plus renommées pour fournir au charnier populaire… Elle y était avec M. Boyer, qu'elle aimait et devait épouser aussitôt, disait-elle avec crainte, que nous serons hors de cet horrible lieu… Mais M. Boyer est mandé au Tribunal révolutionnaire; c'était aller à la mort: en effet, elle ne le revit plus!
Elle ne dit rien, ne pleura même pas… Mais le même jour elle écrivit à Fouquier-Tinville.
– Vous êtes tous des monstres! vous m'avez fait arrêter parce que j'aimais nos rois, disiez-vous. Eh bien! oui, je les aime, je les pleure, les appelle, et vous maudis.
Un des amis de madame Le Callier intercepta la lettre, qu'il soupçonnait être ce qu'elle était en effet, un titre de mort. Deux jours après, ne recevant pas de réponse, madame Le Callier se douta qu'on voulait la servir comme elle ne voulait pas l'être; et elle écrivit une seconde lettre semblable à la première, en prenant toutefois des mesures pour qu'elle parvînt. Le même jour, elle rassemble toutes les lettres de M. Boyer, les relit encore, y joint tout ce qu'elle tenait de lui, se fait une ceinture de toutes ses reliques, et passe le reste de la nuit en prières. Dès que le jour est venu, elle s'habille avec le plus d'élégance qu'il lui est possible de le faire, et se met à table pour déjeuner avec ses compagnons d'infortune. Au milieu du repas, on entend la cloche sinistre… Tout le monde pâlit… madame Le Callier est seule joyeuse et rassurée; elle se lève, dit adieu à ses amis, leur distribue quelques souvenirs.
– C'est moi qu'on vient chercher, dit-elle avec joie; adieu! je suis heureuse de mourir… Je ne verrai plus mon pays livré à une sanglante anarchie, et je vais rejoindre l'ami qui m'attend.
Elle coupe elle-même ses beaux cheveux, et les distribue autour d'elle à ceux qui peut-être feront le jour suivant le même legs… C'était bien elle, en effet, qu'on venait chercher. Conduite au tribunal, on lui demande si elle est l'auteur de la lettre qu'on lui montre.
– Oui, répondit-elle avec fermeté, cette lettre est de moi… Je regrette peu la vie, car vous avez fait de mon pays un vaste charnier, et vous venez de donner la mort au seul être qui pouvait m'y retenir encore!.. Vive le Roi! s'écria-t-elle avec une sorte d'enthousiasme… vive le Roi! et mort à vous tous!..
Elle mourut le même jour, heureuse, comme elle le disait, de quitter cette France qui n'était plus qu'un vaste cimetière…
J'ai dit en commençant cet ouvrage, et en parlant des salons de Paris, que les femmes en France étaient l'âme de la société, et que sans elles on ne pouvait avoir ce qu'on appelle une maison. Le triste événement que je viens de rapporter me fait dire aussi qu'on devrait reconnaître que pendant cette époque de malheurs elles furent la gloire et l'honneur de cette France que des hommes sans âme déshonoraient avec impudeur… Que d'exemples peu de lignes peuvent fournir!.. À Lyon, mademoiselle Delglace voit emmener son père, des cachots de cette ville, à Paris, pour y être mis à la Conciergerie, c'est-à-dire pour aller à la mort. Mademoiselle Delglace demande à monter sur la même charrette pour soigner son père; on la refuse. Faible et délicate, elle suivit la charrette à pied, ne s'en éloignant un moment que pour aller en avant lui préparer son dîner, et le soir mendier une couverture pour envelopper le vieillard dans le cachot humide où il était enfermé pendant la nuit. Arrivée à Paris, elle espéra vaincre les bourreaux, puisqu'elle avait fléchi des geôliers; en effet, ses sollicitations eurent un succès entier. Elle obtint la grâce de son père, et le reconduisait à Lyon, fière de l'avoir ainsi disputé à la mort, lorsque les fatigues qu'elle avait éprouvées réclamèrent à leur tour leur action désastreuse, et elle mourut dans les bras de celui qu'elle venait de sauver de la mort.
Mademoiselle de Sombreuil est connue et le sera toujours; son nom est celui de la plus digne et de la plus courageuse des femmes.
Voyez mademoiselle de Bérenger, qui ne veut pas demeurer sur une terre que quittent tous les siens; elle veut les suivre. Elle sait qu'il est un mot capable de faire condamner même l'enfance innocente!
– Vive le Roi! s'écrie-t-elle; et la malheureuse enfant suit toute sa famille sur l'échafaud. Elle n'avait que quatorze ans!..
Charlotte Corday, cette noble héroïne qui riva peut-être nos fers en croyant nous sauver, mais dont l'intention était grande et courageuse!.. Et tant d'autres dont les noms mériteraient un panthéon digne d'elles!
Sans doute, sous le régime de la Terreur il n'y avait plus ce que nous appelons société en France; mais les éléments n'en étaient pas perdus, et certainement l'esprit est toujours actif dans un être dont l'âme est aussi noblement grande que ceux que je viens de citer. Aussi est-il une chose digne de remarque; c'est qu'à cette époque, où les hôtels étaient déserts, où les maisons étaient fermées à huit heures du soir, le seul lieu où l'on causait, où l'on riait, c'était dans les prisons du Luxembourg, des Carmes, de Saint-Lazare, là, enfin, où se trouvaient ceux qui, seuls, pouvaient et savaient causer.
SALON DE Mme DE SAINTE-AMARANTHE
Après avoir parlé de madame de Sainte-Amaranthe et de sa fille, il faut donner quelques détails sur ces deux femmes d'autant plus intéressantes à bien connaître qu'on peut regarder leur maison comme le dernier refuge de ce qui s'appelait encore société en France.
Au moment de la Révolution, madame de Sainte-Amaranthe n'était plus une jeune femme, et depuis longtemps Paris connaissait et son nom et ses aventures. En voici un aperçu:
Madame de Sainte-Amaranthe était d'une bonne famille de Franche-Comté16. Élevée par une mère très-sévère qui ne s'occupait cependant pas d'elle, la jeune fille écouta un capitaine de cavalerie, jeune, beau et riche, fut enlevée ou quelque chose de semblable, et Paris vit arriver bientôt M. et madame de Sainte-Amaranthe, dans tout le premier bonheur d'une lune de miel qui ne devait même pas fournir tous ses quartiers… M. de Sainte-Amaranthe était joueur, passablement mauvais sujet, et il s'ennuya bientôt d'une femme, artiste par l'âme, et qui sentait vivement tout ce qui s'offrait à elle avec une apparence de supériorité. La pauvre enfant avait cru voir de cette manière, dans l'atmosphère qui entourait le bel officier de cavalerie; mais l'illusion fut courte et le réveil prompt. Avec la même sincérité qu'elle avait révélé le secret de son amour, elle laissa voir son désenchantement. Le mari trouva mauvais de n'être plus aimé; il s'éloigna. Il était riche17; mais comme il le savait
16
Madame de Sainte-Amaranthe était en son nom Saint-Simon d'Arpajon. Elle est née à Besançon; sa famille n'était pas riche, mais noble.
17
Son père était receveur-général des finances, et fort riche.