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hurlait: «Bravo!» Les grenadiers vociféraient, le peuple applaudit.

      À son tour Mme Husson s’essuya les yeux.

      Puis on prit place autour de la table où le banquet était servi.

      Il fut interminable et magnifique. Les plats suivaient les plats; le cidre jaune et le vin rouge fraternisaient dans les verres voisins et se mêlaient dans les estomacs. Les chocs d’assiettes, les voix et la musique qui jouait en sourdine faisaient une rumeur continue, profonde, s’éparpillant dans le ciel clair où volaient les hirondelles. Mme Husson rajustait par moments sa perruque de soie noire chavirée sur une oreille et causait avec l’abbé Malou. Le maire, excité, parlait politique avec le commandant Desbarres, et Isidore mangeait, Isidore buvait, comme il n’avait jamais bu et mangé! Il prenait et reprenait de tout, s’apercevant pour la première fois qu’il est doux de sentir son ventre s’emplir de bonnes choses qui font plaisir d’abord en passant dans la bouche. Il avait desserré adroitement la boucle de son pantalon qui le serrait sous la pression croissante de son bedon, et silencieux, un peu inquiété cependant par une tache de vin tombée sur son veston de coutil, il cessait de mâcher pour porter son verre à sa bouche, et l’y garder le plus possible, car il goûtait avec lenteur.

      L’heure des toasts sonna. Ils furent nombreux et très applaudis. Le soir venait; on était à table depuis midi. Déjà flottaient dans la vallée les vapeurs fines et laiteuses, léger vêtement de nuit des ruisseaux et des prairies; le soleil touchait à l’horizon; les vaches beuglaient au loin dans les brumes des pâturages. C’était fini: on redescendait vers Gisors. Le cortège, rompu maintenant, marchait en débandade. Mme Husson avait pris le bras d’Isidore et lui faisait des recommandations nombreuses, pressantes, excellentes.

      Ils s’arrêtèrent devant la porte de la fruitière, et le Rosier fut laissé chez sa mère.

      Elle n’était point rentrée. Invitée par sa famille à célébrer aussi le triomphe de son fils, elle avait déjeuné chez sa soeur, après avoir suivi le cortège jusqu’à la tente du banquet.

      Donc Isidore resta seul dans la boutique où pénétrait la nuit.

      Il s’assit sur une chaise, agité par le vin et par l’orgueil, et regarda autour de lui. Les carottes, les choux, les oignons répandaient dans la pièce fermée leur forte senteur de légumes, leur aromes jardiniers et rudes, auxquels se mêlaient une douce et pénétrante odeur de fraises et le parfum léger, le parfum fuyant d’une corbeille de pêches.

      Le Rosier en prit une et la mangea à pleines dents, bien qu’il eût le ventre rond comme une citrouille. Puis tout à coup, affolé de joie, il se mit à danser; et quelque chose sonna dans sa veste.

      Il fut surpris, enfonça ses mains en ses poches et ramena la bourse aux cinq cents francs qu’il avait oubliée dans son ivresse! Cinq cents francs! quelle fortune! Il versa les louis sur le comptoir et les étala d’une lente caresse de sa main grande ouverte pour les voir tous en même temps. Il y en avait vingt-cinq, vingt-cinq pièces rondes, en or! toutes en or! Elles brillaient sur le bois dans l’ombre épaissie, et il les comptait et les recomptait, posant le doigt sur chacune et murmurant: «Une, deux, trois, quatre, cinq, – cent; – six, sept, huit, neuf, dix, – deux cents»; puis il les remit dans sa bourse qu’il cacha de nouveau dans sa poche.

      Qui saura et qui pourrait dire le combat terrible livré dans l’âme du Rosier entre le mal et le bien, l’attaque tumultueuse de Satan, ses ruses, les tentations qu’il jeta en ce coeur timide et vierge? Quelles suggestions, quelles images, quelles convoitises inventa le Malin pour émouvoir et perdre cet élu? Il saisit son chapeau, l’élu de Mme Husson, son chapeau qui portait encore le petit bouquet de fleurs d’oranger, et, sortant par la ruelle derrière la maison, il disparut dans la nuit.

      …………………

      La fruitière Virginie, prévenue que son fils était rentré, revint presque aussitôt et trouva la maison vide. Elle attendit, sans s’étonner d’abord; puis, au bout d’un quart d’heure, elle s’informa. Les voisins de la rue Dauphine avaient vu entrer Isidore et ne l’avaient point vu ressortir. Donc on le chercha: on ne le découvrit point. La fruitière, inquiète, courut à la mairie: le maire ne savait rien, sinon qu’il avait laissé le Rosier devant sa porte. Mme Husson venait de se coucher quand on l’avertit que son protégé avait disparu. Elle remit aussitôt sa perruque, se leva et vint elle-même chez Virginie. Virginie, dont l’âme populaire avait l’émotion rapide, pleurait toutes ses larmes au milieu de ses choux, de ses carottes et de ses oignons.

      On craignait un accident. Lequel? Le commandant Desbarres prévint la gendarmerie qui fit une ronde autour de la ville; et on trouva, sur la route de Pontoise, le petit bouquet de fleurs d’oranger. Il fut placé sur une table autour de laquelle délibéraient les autorités. Le Rosier avait dû être victime d’une ruse, d’une machination, d’une jalousie; mais comment? Quel moyen avait-on employé pour enlever cet innocent, et dans quel but?

      Las de chercher sans trouver, les autorités se couchèrent. Virginie seule veilla dans les larmes.

      Or, le lendemain soir, quand passa, à son retour, la diligence de Paris, Gisors apprit avec stupeur que son Rosier avait arrêté la voiture à deux cents mètres du pays, était monté, avait payé sa place en donnant un louis dont on lui remit la monnaie, et qu’il était descendu tranquillement dans le coeur de la grande ville.

      L’émotion devint considérable dans le pays. Des lettres furent échangées entre le maire et le chef de la police parisienne, mais n’amenèrent aucune découverte.

      Les jours suivaient les jours, la semaine s’écoula.

      Or, un matin, le Dr Barbesol, sorti de bonne heure, aperçut, assis sur le seuil d’une porte, un homme vêtu de toile grise, et qui dormait la tête contre le mur. Il s’approcha et reconnut Isidore. Voulant le réveiller, il n’y put parvenir. L’ex-Rosier dormait d’un sommeil profond, invincible, inquiétant, et le médecin, surpris, alla requérir de l’aide afin de porter le jeune homme à la pharmacie Boncheval. Lorsqu’on le souleva, une bouteille vide apparut, cachée sous lui, et, l’ayant flairée, le docteur déclara qu’elle avait contenu de l’eau-de-vie. C’était un indice qui servit pour les soins à donner. Ils réussirent. Isidore était ivre, ivre et abruti par huit jours de soûlerie, ivre et dégoûtant à n’être pas touché par un chiffonnier. Son beau costume de coutil blanc était devenu une loque grise, jaune, graisseuse, fangeuse, déchiquetée, ignoble; et sa personne sentait toutes sortes d’odeurs d’égout, de ruisseau et de vice.

      Il fut lavé, sermonné, enfermé, et pendant quatre jours ne sortit point. Il semblait honteux et repentant. On n’avait retrouvé sur lui ni la bourse aux cinq cents francs, ni le livret de caisse d’épargne, ni même sa montre d’argent, héritage sacré laissé par son père le fruitier.

      Le cinquième jour, il se risqua dans la rue Dauphine. Les regards curieux le suivaient et il allait le long des maisons la tête basse, les yeux fuyants. On le perdit de vue à la sortie du pays vers la vallée; mais deux heures plus tard il reparut, ricanant et se heurtant aux murs. Il était ivre, complètement ivre.

      Rien ne le corrigea.

      Chassé par sa mère, il devint charretier et conduisit les voitures de charbon de la maison Pougrisel, qui existe encore aujourd’hui.

      Sa réputation d’ivrogne devint si grande, s’étendit si loin, qu’à Évreux même on parlait du Rosier de Mme Husson, et les pochards du pays ont conservé ce surnom.

      Un bienfait n’est jamais perdu.

      …………………

      Le Dr Marambot se frottait les mains en terminant son histoire. Je lui demandai:

      – As-tu connu le Rosier, toi?

      – Oui, j’ai eu l’honneur de lui fermer les yeux.

      – De quoi est-il mort?

      – Dans une crise de delirium tremens, naturellement.

      Nous étions arrivés près de la vieille forteresse, amas de murailles ruinées

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