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Le crime de l'Opéra 2. Fortuné du Boisgobey
Читать онлайн.Название Le crime de l'Opéra 2
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Fortuné du Boisgobey
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Et ce salon n’était pas vide, tant s’en fallait. Seulement, il n’y avait que des femmes. Saint-Galmier cultivait la spécialité des névroses, et le sexe fort est beaucoup moins nerveux que l’autre. La névrose prend des formes variées et sert à une foule d’usages. La névrose est commode. On peut en user partout, même en voyage. Elle n’enlaidit pas. Et puis, le nom est joli. C’est une maladie qu’on avoue dans le monde et qui n’empêche pas d’y aller. Mais, pour bien établir qu’on la possède, il faut avoir l’air de la soigner, et rien n’est plus facile. Saint-Galmier se chargeait de la traiter au goût des personnes. Il prescrivait le régime qui plaisait le mieux à la consultante, et, par ce procédé extramédical, il obtenait des résultats très satisfaisants. C’était ce qu’il appelait sa méthode diététique, et ses clientes s’en trouvaient à merveille. Nointel vit là des grasses, des maigres, des blondes, des brunes, des jeunes, des vieilles qui paraissaient être en voie de guérison, car elles causaient modes et nouvelles du jour: toutes fort élégantes d’ailleurs; le célèbre docteur ne donnait de conseils qu’aux riches et se faisait payer fort cher.
– Il ne manque à cette réunion de folles que la marquise de Barancos, se dit le capitaine en s’asseyant modestement dans le coin le plus obscur du salon. Du diable si je me doutais que cet aide de camp civil d’un général péruvien exerçait pour tout de bon la médecine. Je découvre un Saint-Galmier que je ne soupçonnais pas. À moins que ces dames ne soient de simples figurantes, louées à l’heure. Parbleu! ce serait drôle… mais ce n’est pas probable. Il y a toujours à Paris une clientèle féminine pour les marchands d’orviétan qui viennent de l’étranger. Saint-Galmier a compris qu’il lui fallait une enseigne pour qu’on ne pût pas l’accuser de vivre uniquement de malfaisances, et il a choisi une profession qui lui laisse beaucoup de liberté et qui lui rapporte beaucoup d’argent. Le drôle est aussi fort que Simancas, et le voilà médecin en titre de la marquise. Mais je vais déranger un peu ses combinaisons. Il ne s’attend guère à me voir dans son cabinet, et il s’attend moins encore à la botte que je vais lui pousser pour commencer.
L’entrée de Nointel avait produit une certaine sensation parmi les nerveuses. Sans doute elles n’étaient point accoutumées à rencontrer chez leur docteur préféré des cavaliers si bien tournés. Les conversations cessèrent, les mains qui feuilletaient les albums s’arrêtèrent, et les yeux se tournèrent tous vers le beau capitaine. Mais il fit mine de ne pas s’apercevoir qu’on le regardait. Il ne venait pas là pour chercher des bonnes fortunes, et d’ailleurs les clientes de Saint-Galmier ne le tentaient pas du tout.
Il eut bientôt le plaisir de constater que les consultations n’étaient pas longues. Il ne se passait pas dix minutes sans que la porte du cabinet s’ouvrît discrètement, et sans que le docteur se montrât sur le seuil; mais Nointel était si bien établi au fond d’une encoignure que Saint-Galmier ne pouvait pas l’apercevoir, car le salon était assez faiblement éclairé par des lampes recouvertes d’abat-jour. À chaque apparition de l’illustre praticien, une de ces dames se levait, appelée par un geste gracieux, et pénétrait dans le sanctuaire qui avait deux issues. On ne la revoyait plus, et, après un peu de temps, une autre lui succédait. Chacune passait à son rang, sans contestation et sans bruit, car Saint-Galmier ne recevait que des personnes bien élevées, et son nègre ne distribuait des numéros que pour la forme.
Nointel était arrivé le dernier, mais son tour ne pouvait guère tarder à venir, et il l’attendait en rêvant à une chose qui le préoccupait depuis la veille et à laquelle il n’avait pas encore eu le temps de penser sérieusement. Saint-Galmier et Simancas vivaient dans la plus étroite intimité, ce n’était pas douteux. Ils avaient eu des intérêts communs avec Golymine, ce n’était pas douteux non plus. Quels intérêts, et sur quoi se fondait cette union qui avait survécu au Polonais? À quelle œuvre ténébreuse avaient travaillé ensemble ces trois aventuriers? S’étaient-ils toujours bornés à exploiter des secrets féminins, ou existait-il entre eux des liens créés par des complicités plus graves? La dernière de ces deux suppositions semblait improbable, et pourtant Nointel ne la rejetait pas absolument, car il avait fort mauvaise opinion de toute cette bande étrangère.
Pendant qu’il réfléchissait ainsi, le salon se vidait rapidement. Il n’y restait plus qu’une petite personne, rondelette et fraîche comme une rose, qui n’avait pas du tout la mine d’une femme tourmentée par les nerfs, quoiqu’elle s’agitât beaucoup sur son fauteuil. Le capitaine pensa qu’elle venait demander au docteur une recette pour se faire maigrir, et il s’amusait à l’examiner à la dérobée, lorsqu’il entendit dans l’antichambre des voix d’hommes, celle du nègre probablement, et une autre plus forte et plus rauque. C’était le bruit, facile à reconnaître, d’une altercation, et dans cet appartement, silencieux comme une église, ce tapage faisait un effet singulier. La dame grasse écoutait d’un air scandalisé. Tout à coup, la porte fut ouverte violemment, et un individu se rua dans le salon en criant au valet de couleur:
– Je te dis que j’entrerai, espèce de mal blanchi. J’en ai assez de poser dans la rue, et je veux voir le patron. Je suis malade, je viens le consulter.
Le nègre n’osa pas poursuivre cet étrange client, qui alla se camper à cheval sur une chaise, à l’autre bout du salon, sans regarder personne. C’était un grand gaillard vêtu comme un ouvrier endimanché, coiffé d’un chapeau mou qui paraissait être vissé sur sa tête, et affligé d’une figure patibulaire: nez rouge, bouche avachie par l’usage continuel de la pipe, teint terreux. Un vrai type de rôdeur de barrières.
– Oh! oh! pensa le capitaine, Saint-Galmier a de jolies connaissances. Il ne dira pas que ce chenapan a une névrose. C’est un homme qui a des affaires à régler avec lui. Quelles affaires? Je serais curieux de le savoir… et je le saurai. Il faut que je le sache… dussé-je entrer en conversation avec ce goujat.
La dame s’était prudemment rapprochée de la porte, et aussitôt que cette porte fut entrebâillée par le docteur, elle s’y précipita avec une telle impétuosité que Saint-Galmier n’eut pas le temps d’envisager le nouveau client qui venait de lui arriver. Nointel était invisible dans son coin et s’y tint coi, si bien que le Canadien n’eut aucun soupçon de sa présence.
L’homme n’avait pas fait de tentative pour passer avant la consultante obèse, mais il jurait entre ses dents, il se balançait sur sa chaise comme un ours en cage, et il finit par se lever pour aller s’embusquer à l’entrée du cabinet.
– Bon! se dit Nointel, la scène promet d’être amusante et instructive. Je n’en perdrai pas un mot. Décidément, je suis en veine aujourd’hui. Tout m’arrive à point. Je vais franchir du premier coup le mur de la vie privée de ce cher Saint-Galmier.
Et il se tapit du mieux qu’il put dans son angle. La place était excellente pour voir sans être vu, et le client au nez rouge ne paraissait pas s’être aperçu qu’il y avait là quelqu’un. Il piétinait d’impatience et il poussait de temps en temps des grognements sourds.
– Il a soif, pensa le capitaine qui connaissait ce tic d’ivrogne, il a soif, et il vient sommer Saint-Galmier de lui donner de quoi s’humecter le gosier.
La cliente joufflue n’abusa pas des instants du docteur, car, au bout de quatre minutes, celui-ci vint jeter un coup d’œil dans le salon où il s’attendait sans doute à ne plus trouver personne; mais, au moment où il soulevait la portière de reps brun, sa face réjouie se trouva nez à nez avec celle du visiteur à la trogne rubiconde, et le dialogue suivant s’engagea aussitôt, sur le mode majeur:
– Comment! c’est encore vous! Qu’est-ce que vous venez faire ici? Je vous ai défendu de vous y présenter aux heures où je reçois.
– Possible, mais je ne peux pas vous mettre la main dessus depuis deux jours, et je n’ai plus le sou. Pour lors, comme je ne vis pas de l’air du temps, je me suis dit: En avant les grands moyens! Je vais chercher ma paie.
– Et moi, je suis chargé de vous dire qu’on n’a plus besoin