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Consuelo. George Sand
Читать онлайн.Название Consuelo
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения George Sand
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
En exprimant son amour avec abandon, simplicité, et en y mêlant, comme toujours, cette dévotion espagnole pleine de tendresse humaine et de compromis ingénus, Consuelo était si belle; la fatigue et les émotions de la journée avaient répandu sur elle une langueur si suave, qu’Anzoleto, exalté d’ailleurs par cette espèce d’apothéose dont elle sortait et qui la lui montrait sous une face nouvelle, ressentit enfin tous les délires d’une passion violente pour cette petite sœur jusque-là si paisiblement aimée. Il était de ces hommes qui ne s’enthousiasment que pour ce qui est applaudi, convoité et disputé par les autres. La joie de sentir en sa possession l’objet de tant de désirs qu’il avait vus s’allumer et bouillonner autour d’elle, éveilla en lui des désirs irréfrénables; et, pour la première fois, Consuelo fut réellement en péril entre ses bras.
Sois mon amante, sois ma femme, s’écria-t-il enfin d’une voix étouffée. Sois à moi tout entière et pour toujours.
– Quand tu voudras, lui répondit Consuelo avec un sourire angélique. Demain si tu veux.
– Demain! Et pourquoi demain?
– Tu as raison, il est plus de minuit, c’est aujourd’hui que nous pouvons nous marier. Dès que le jour sera levé, nous pouvons aller trouver le prêtre. Nous n’avons de parents ni l’un ni l’autre, la cérémonie ne demandera pas de longs préparatifs. J’ai ma robe d’indienne que je n’ai pas encore mise. Tiens, mon ami, en la faisant, je me disais: Je n’aurai plus d’argent pour acheter ma robe de noces; et si mon ami se décidait à m’épouser un de ces jours, je serais forcée de porter à l’église la même qui aurait déjà été étrennée. Cela porte malheur, à ce qu’on dit. Aussi, quand ma mère est venue en rêve me la retirer pour la remettre dans l’armoire, elle savait bien ce qu’elle faisait, la pauvre âme! Ainsi donc tout est prêt; demain, au lever du soleil, nous nous jurerons fidélité. Tu attendais pour cela, méchant, d’être sûr que je n’étais pas laide?
– Oh! Consuelo, s’écria Anzoleto avec angoisse, tu es un enfant, un véritable enfant! Nous ne pouvons nous marier ainsi du jour au lendemain sans qu’on le sache; car le comte et le Porpora, dont la protection nous est encore si nécessaire, seraient fort irrités contre nous, si nous prenions cette détermination sans les consulter, sans même les avertir. Ton vieux maître ne m’aime pas trop, et le comte, je le sais de bonne part, n’aime pas les cantatrices mariées. Il faudra donc que nous gagnions du temps pour les amener à consentir à notre mariage; ou bien il faut au moins quelques jours, si nous nous marions en secret, pour préparer mystérieusement cette affaire délicate. Nous ne pouvons pas courir à San Samuel, où tout le monde nous connaît, et où il ne faudra que la présence d’une vieille bonne femme pour que toute la paroisse en soit avertie au bout d’une heure.
– Je n’avais pas songé à tout cela, dit Consuelo. Eh bien, de quoi me parlais-tu donc tout à l’heure? Pourquoi, méchant, me disais-tu: Sois ma femme, puisque tu savais que cela n’était pas encore possible? Ce n’est pas moi qui t’en ai parlé la première, Anzoleto! Quoique j’aie pensé bien souvent que nous étions en âge de nous marier, et que je n’eusse jamais songé aux obstacles dont tu parles, je m’étais fait un devoir de laisser cette décision à ta prudence, et, faut-il te le dire? à ton inspiration; car je voyais bien, que tu n’étais pas trop pressé de m’appeler ta femme, et je ne t’en voulais pas. Tu m’as souvent dit qu’avant de s’établir, il fallait assurer le sort de sa famille future, en s’assurant soi-même de quelques ressources. Ma mère le disait aussi, et je trouve cela raisonnable. Ainsi, tout bien considéré, ce serait encore trop tôt. Il faut que notre engagement à tous deux avec le théâtre soit signé, n’est-ce pas? Il faut même que la faveur du public nous soit assurée. Nous reparlerons de cela après nos débuts. Pourquoi pâlis-tu? Ô mon Dieu, pourquoi serres-tu ainsi les poings, Anzoleto? Ne sommes-nous pas bien heureux? Avons-nous besoin d’être liés par un serment pour nous aimer, et compter l’un sur l’autre?
– Ô Consuelo, que tu es calme, que tu es pure, et que tu es froide! s’écria Anzoleto avec une sorte de rage.
– Moi! je suis froide! s’écria la jeune Espagnole stupéfaite et vermeille d’indignation.
– Hélas! je t’aime comme on peut aimer une femme, et tu m’écoutes et tu me réponds comme un enfant. Tu ne connais que l’amitié, tu ne comprends pas l’amour. Je souffre, je brûle, je meurs à tes pieds, et tu me parles de prêtre, de robe et de théâtre?»
Consuelo, qui s’était levée avec impétuosité, se rassit confuse et toute tremblante. Elle garda longtemps le silence; et lorsque Anzoleto voulut lui arracher de nouvelles caresses, elle le repoussa doucement.
Écoute, lui dit-elle, il faut s’expliquer et se connaître. Tu me crois trop enfant en vérité, et ce serait une minauderie de ma part, de ne te pas avouer qu’à présent je comprends fort bien. Je n’ai pas traversé les trois quarts de l’Europe avec des gens de toute espèce, je n’ai pas vu de près les mœurs libres et sauvages des artistes vagabonds, je n’ai pas deviné, hélas! les secrets mal cachés de ma pauvre mère, sans savoir ce que toute fille du peuple sait d’ailleurs fort bien à mon âge. Mais je ne pouvais pas me décider à croire, Anzoleto, que tu voulusses m’engager à violer un serment fait à Dieu entre les mains de ma mère mourante. Je ne tiens pas beaucoup à ce que les patriciennes, dont j’entends quelquefois les causeries, appellent leur réputation. Je suis trop peu de chose dans le monde pour attacher mon honneur au plus ou moins de chasteté qu’on voudra bien me supposer; mais je fais consister mon honneur à garder mes promesses, de même que je fais consister le tien à savoir garder les tiennes. Je ne suis peut-être pas aussi bonne catholique que je voudrais l’être. J’ai été si peu instruite dans la religion! Je ne puis pas avoir d’aussi belles règles de conduite et d’aussi belles maximes de vertu que ces jeunes filles de la scuola, élevées dans le cloître et entretenues du matin au soir dans la science divine. Mais je pratique comme je sais et comme je peux. Je ne crois pas notre amour capable de s’entacher d’impureté pour devenir un peu plus vif avec nos années. Je ne compte pas trop les baisers que je te donne, mais je sais que nous n’avons pas désobéi à ma mère, et que je ne veux pas lui désobéir pour satisfaire des impatiences faciles à réprimer.
– Faciles! s’écria Anzoleto en la pressant avec emportement sur sa poitrine; faciles! Je savais bien que tu étais froide.
– Froide, tant que tu voudras, répondit-elle en se dégageant de ses bras. Dieu, qui lit dans mon cœur, sait bien si je t’aime!
– Eh bien! jette-toi donc dans son sein, dit Anzoleto avec dépit; car le mien n’est pas un refuge aussi assuré, et je m’enfuis pour ne pas devenir impie.»
Il courut vers la porte, croyant que Consuelo, qui n’avait jamais pu se séparer de lui au milieu d’une querelle, si légère qu’elle fût, sans chercher à le calmer, s’empresserait de le retenir. Elle fit effectivement un mouvement impétueux pour s’élancer vers lui; puis elle s’arrêta, le vit sortir, courut aussi vers la porte, mit la main sur le loquet pour ouvrir et le rappeler. Mais, ramenée à sa résolution par une force surhumaine, elle tira le verrou sur lui; et, vaincue par une lutte trop violente, elle tomba raide évanouie sur le plancher, où elle resta sans mouvement jusqu’au jour.
XIV. Je t’avoue que j’en suis éperdument amoureux…
Je t’avoue que j’en suis éperdument amoureux, disait cette même nuit le comte Zustiniani à son ami Barberigo, vers deux heures du matin, sur le balcon de son palais, par une nuit obscure et silencieuse.
– C’est me signifier que je dois me garder de le devenir, répondit le jeune et brillant Barberigo; et je me soumets, car tes droits priment les miens. Cependant si la Corilla réussissait à te reprendre dans ses filets, tu aurais la bonté de m’en avertir, et je pourrais alors essayer de me faire écouter?…
– N’y