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Consuelo. George Sand
Читать онлайн.Название Consuelo
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения George Sand
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Mais la laideur de Consuelo, cet obstacle inattendu, étrange, invincible, si le comte ne se trompait pas, était venu jeter l’effroi et la consternation dans son âme. Aussi reprit-il le chemin de la corte Minelli, en s’arrêtant à chaque pas pour se représenter sous un nouveau jour l’image de son amie, et pour répéter avec un point d’interrogation à chaque parole: Pas jolie? bien laide? affreuse?
VIII. Qu’as-tu donc à me regarder ainsi?…
Qu’as-tu donc à me regarder ainsi? lui dit Consuelo en le voyant entrer chez elle et la contempler d’un air étrange sans lui dire un mot. On dirait que tu ne m’as jamais vue.
– C’est la vérité, Consuelo, répondit-il. Je ne t’ai jamais vue.
– As-tu l’esprit égaré? reprit-elle. Je ne sais pas ce que tu veux dire.
– Mon Dieu! mon Dieu! je le crois bien, s’écria Anzoleto. J’ai une grande tache noire dans le cerveau à travers laquelle je ne te vois pas.
– Miséricorde! tu es malade, mon ami?
– Non, chère fille, calme-toi, et tâchons de voir clair. Dis-moi, Consuelita, est-ce que tu me trouves beau?
– Mais certainement, puisque je t’aime.
– Et si tu ne m’aimais pas, comment me trouverais-tu?
– Est-ce que je sais?
– Quand tu regardes d’autres hommes que moi, sais-tu s’ils sont beaux ou laids?
– Oui; mais je te trouve plus beau que les plus beaux.
– Est-ce parce que je le suis, ou parce que tu m’aimes?
– Je crois bien que c’est l’un et l’autre. D’ailleurs tout le monde dit que tu es beau, et tu le sais bien. Mais qu’est-ce que cela te fait?
– Je veux savoir si tu m’aimerais quand même je serais affreux.
– Je ne m’en apercevrais peut-être pas.
– Tu crois donc qu’on peut aimer une personne laide?
– Pourquoi pas, puisque tu m’aimes?
– Tu es donc laide, Consuelo? Vraiment, dis-moi, réponds-moi, tu es donc laide?
– On me l’a toujours dit. Est-ce que tu ne le vois pas?
– Non, non, en vérité, je ne le vois pas!
– En ce cas, je me trouve assez belle, et je suis bien contente.
– Tiens, dans ce moment-ci, Consuelo, quand tu me regardes d’un air si bon, si naturel, si aimant, il me semble que tu es plus belle que la Corilla. Mais je voudrais savoir si c’est l’effet de mon illusion ou la vérité. Je connais ta physionomie, je sais qu’elle est honnête et qu’elle me plaît, et que quand je suis en colère elle me calme; que quand je suis triste, elle m’égaie; que quand je suis abattu, elle me ranime. Mais je ne connais pas ta figure. Ta figure, Consuelo, je ne peux pas savoir si elle est laide.
– Mais qu’est-ce que cela te fait, encore une fois?
– Il faut que je le sache. Dis-moi si un homme beau pourrait aimer une femme laide.
– Tu aimais bien ma pauvre mère, qui n’était plus qu’un spectre! Et moi, je l’aimais tant!
– Et la trouvais-tu laide?
– Non. Et toi?
– Je n’y songeais pas. Mais aimer d’amour, Consuelo… car enfin je t’aime d’amour, n’est-ce pas? Je ne peux pas me passer de toi, je ne peux pas te quitter. C’est de l’amour: que t’en semble?
– Est-ce que cela pourrait être autre chose?
– Cela pourrait être de l’amitié.
– Oui, cela pourrait être de l’amitié.»
Ici Consuelo surprise s’arrêta, et regarda attentivement Anzoleto; et lui, tombant dans une rêverie mélancolique, se demanda positivement pour la première fois, s’il avait de l’amour ou de l’amitié pour Consuelo; si le calme de ses sens, si la chasteté qu’il observait facilement auprès d’elle, étaient le résultat du respect ou de l’indifférence. Pour la première fois, il regarda cette jeune fille avec les yeux d’un jeune homme, interrogeant, avec un esprit d’analyse qui n’était pas sans trouble, ce front, ces yeux, cette taille, et tous ces détails dont il n’avait jamais saisi qu’une sorte d’ensemble idéal et comme voilé dans sa pensée. Pour la première fois, Consuelo interdite se sentit troublée par le regard de son ami; elle rougit, son cœur battit avec violence, et ses yeux se détournèrent, ne pouvant supporter ceux d’Anzoleto. Enfin, comme il gardait toujours le silence, et qu’elle n’osait plus le rompre, une angoisse inexprimable s’empara d’elle, de grosses larmes roulèrent sur ses joues; et cachant sa tête dans ses mains:
Oh! je vois bien, dit-elle, tu viens me dire que tu ne veux plus de moi pour ton amie.
– Non, non! je n’ai pas dit cela! je ne le dis pas!» s’écria Anzoleto effrayé de ces larmes qu’il faisait couler pour la première fois; et vivement ramené à son sentiment fraternel, il entoura Consuelo de ses bras. Mais, comme elle détournait son visage, au lieu de sa joue fraîche et calme il baisa une épaule brûlante que cachait mal un fichu de grosse dentelle noire.
Quand le premier éclair de la passion s’allume instantanément dans une organisation forte, restée chaste comme l’enfance au milieu du développement complet de la jeunesse, elle y porte un choc violent et presque douloureux.
Je ne sais ce que j’ai, dit Consuelo en s’arrachant des bras de son ami avec une sorte de crainte qu’elle n’avait jamais éprouvée; mais je me sens bien mal: il me semble que je vais mourir.
– Ne meurs pas, lui dit Anzoleto en la suivant et en la soutenant dans ses bras; tu es belle, Consuelo, je suis sûr que tu es belle.»
En effet, Consuelo était belle en cet instant; et quoique Anzoleto n’en fût pas certain au point de vue de l’art, il ne pouvait s’empêcher de le dire, parce que son cœur le sentait vivement.
Mais enfin, lui dit Consuelo toute pâlie et tout abattue en un instant, pourquoi donc tiens-tu aujourd’hui à me trouver belle?
– Ne voudrais-tu pas l’être, chère Consuelo?
– Oui, pour toi.
– Et pour les autres?
– Peu m’importe.
– Et si c’était une condition pour notre avenir?»
Ici Anzoleto, voyant l’inquiétude qu’il causait à son amie, lui rapporta naïvement ce qui s’était passé entre le comte et lui; et quand il en vint à répéter les expressions peu flatteuses dont Zustiniani s’était servi en parlant d’elle, la bonne Consuelo qui peu à peu s’était tranquillisée en croyant voir tout ce dont il s’agissait, partit d’un grand éclat de rire en achevant d’essuyer ses yeux humides.
Eh bien! lui dit Anzoleto tout surpris de cette absence totale de vanité, tu n’es pas plus émue, pas plus inquiète que cela? Ah! je vois, Consuelina, vous êtes une petite coquette; vous savez que vous n’êtes pas laide.
– Écoute, lui répondit-elle en souriant, puisque tu prends de pareilles folies au sérieux, il faut que je te tranquillise un peu. Je n’ai jamais été coquette: n’étant pas belle, je ne veux pas être ridicule.