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Germinal. Emile Zola
Читать онлайн.Название Germinal
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Oui, ça suffira, on verra demain.
Et il retourna prendre sa place à la taille. Levaque et Chaval, eux aussi, lâchaient la rivelaine. Il y eut un repos. Tous s’essuyaient le visage sur leurs bras nus, en regardant la roche du toit, dont les masses schisteuses se fendillaient. Ils ne causaient guère que de leur travail.
– Encore une chance, murmura Chaval, d’être tombé sur des terres qui déboulent!… Ils n’ont pas tenu compte de ça, dans le marchandage.
– Des filous! grogna Levaque. Ils ne cherchent qu’à nous foutre dedans.
Zacharie se mit à rire. Il se fichait du travail et du reste, mais ça l’amusait d’entendre empoigner la Compagnie. De son air placide, Maheu expliqua que la nature des terrains changeait tous les vingt mètres. Il fallait être juste, on ne pouvait rien prévoir. Puis, les deux autres continuant à déblatérer contre les chefs, il devint inquiet, il regarda autour de lui.
– Chut! en voilà assez!
– Tu as raison, dit Levaque, qui baissa également la voix. C’est malsain.
Une obsession des mouchards les hantait, même à cette profondeur, comme si la houille des actionnaires, encore dans la veine, avait eu des oreilles.
– N’empêche, ajouta très haut Chaval d’un air de défi, que si ce cochon de Dansaert me parle sur le ton de l’autre jour, je lui colle une brique dans le ventre… Je ne l’empêche pas, moi, de se payer les blondes qui ont la peau fine.
Cette fois, Zacharie éclata. Les amours du maître porion et de la Pierronne étaient la continuelle plaisanterie de la fosse. Catherine elle-même, appuyée sur sa pelle, en bas de la taille, se tint les côtes et mit d’une phrase Étienne au courant; tandis que Maheu se fâchait, pris d’une peur qu’il ne cachait plus.
– Hein? tu vas te taire!… Attends d’être tout seul, si tu veux qu’il t’arrive du mal.
Il parlait encore, lorsqu’un bruit de pas vint de la galerie supérieure. Presque aussitôt, l’ingénieur de la fosse, le petit Négrel, comme les ouvriers le nommaient entre eux, parut en haut de la taille, accompagné de Dansaert, le maître porion.
– Quand je le disais! murmura Maheu. Il y en a toujours là, qui sortent de la terre.
Paul Négrel, neveu de M. Hennebeau, était un garçon de vingt-six ans, mince et joli, avec des cheveux frisés et des moustaches brunes. Son nez pointu, ses yeux vifs, lui donnaient un air de furet aimable, d’une intelligence sceptique, qui se changeait en une autorité cassante, dans ses rapports avec les ouvriers. Il était vêtu comme eux, barbouillé comme eux de charbon; et, pour les réduire au respect, il montrait un courage à se casser les os, passant par les endroits les plus difficiles, toujours le premier sous les éboulements et dans les coups de grisou.
– Nous y sommes, n’est-ce pas? Dansaert, demanda-t-il.
Le maître porion, un Belge à face épaisse, au gros nez sensuel, répondit avec une politesse exagérée:
– Oui, monsieur Négrel… Voici l’homme qu’on a embauché ce matin.
Tous deux s’étaient laissés glisser au milieu de la taille. On fit monter Étienne. L’ingénieur leva sa lampe, le regarda, sans le questionner.
– C’est bon, dit-il enfin. Je n’aime guère qu’on ramasse des inconnus sur les routes… Surtout, ne recommencez pas.
Et il n’écouta point les explications qu’on lui donnait, les nécessités du travail, le désir de remplacer les femmes par des garçons, pour le roulage. Il s’était mis à étudier le toit, pendant que les haveurs reprenaient leurs rivelaines. Tout d’un coup, il s’écria:
– Dites donc, Maheu, est-ce que vous vous fichez du monde!… Vous allez tous y rester, nom d’un chien!
– Oh! c’est solide, répondit tranquillement l’ouvrier.
– Comment! solide!… Mais la roche tasse déjà, et vous plantez des bois à plus de deux mètres, d’un air de regret! Ah! vous êtes bien tous les mêmes, vous vous laisseriez aplatir le crâne, plutôt que de lâcher la veine, pour mettre au boisage le temps voulu!… Je vous prie de m’étayer ça sur-le-champ. Doublez les bois, entendez-vous!
Et, devant le mauvais vouloir des mineurs qui discutaient, en disant qu’ils étaient bons juges de leur sécurité, il s’emporta.
– Allons donc! quand vous aurez la tête broyée, est-ce que c’est vous qui en supporterez les conséquences? Pas du tout! ce sera la Compagnie, qui devra vous faire des pensions, à vous ou à vos femmes… Je vous répète qu’on vous connaît: pour avoir deux berlines de plus le soir, vous donneriez vos peaux.
Maheu, malgré la colère dont il était peu à peu gagné, dit encore posément:
– Si l’on nous payait assez, nous boiserions mieux.
L’ingénieur haussa les épaules, sans répondre. Il avait achevé de descendre le long de la taille, il conclut seulement d’en bas:
– Il vous reste une heure, mettez-vous tous à la besogne; et je vous avertis que le chantier a trois francs d’amende.
Un sourd grognement des haveurs accueillit ces paroles. La force de la hiérarchie les retenait seule, cette hiérarchie militaire qui, du galibot au maître porion, les courbait les uns sous les autres. Chaval et Levaque pourtant eurent un geste furieux, tandis que Maheu les modérait du regard et que Zacharie haussait gouailleusement les épaules. Mais Étienne était peut-être le plus frémissant. Depuis qu’il se trouvait au fond de cet enfer, une révolte lente le soulevait. Il regarda Catherine résignée, l’échine basse. Était-ce possible qu’on se tuât à une si dure besogne dans ces ténèbres mortelles, et qu’on n’y gagnât même pas les quelques sous du pain quotidien?
Cependant Négrel s’en allait avec Dansaert, qui s’était contenté d’approuver d’un mouvement continu de la tête. Et leurs voix, de nouveau, s’élevèrent: ils venaient de s’arrêter encore, ils examinaient le boisage de la galerie, dont les haveurs avaient l’entretien sur une longueur de dix mètres, en arrière de la taille.
– Quand je vous dis qu’ils se fichent du monde! criait l’ingénieur. Et vous, nom d’un chien! vous ne surveillez donc pas?
– Mais si, mais si, balbutiait le maître porion. On est las de leur répéter les choses.
Négrel appela violemment:
– Maheu! Maheu!
Tous descendirent. Il continuait:
– Voyez ça, est-ce que ça tient?… C’est bâti comme quatre sous. Voilà un chapeau que les moutons ne portent déjà plus, tellement on l’a posé à la hâte… Pardi! je comprends que le raccommodage nous coûte si cher. N’est-ce pas? pourvu que ça dure tant que vous en avez la responsabilité! Et puis tout casse, et la Compagnie est forcée d’avoir une armée de raccommodeurs… Regardez un peu là-bas, c’est un vrai massacre.
Chaval voulut parler, mais il le fit taire.
– Non, je sais ce que vous allez dire encore. Qu’on vous paie davantage, hein? Eh bien! je vous préviens que vous forcerez la Direction à faire une chose: oui, on vous paiera le boisage à part, et l’on réduira proportionnellement le prix de la berline. Nous verrons si vous y gagnerez… En attendant, reboisez-moi ça tout de suite. Je passerai demain.
Et, dans le saisissement causé par sa menace, il s’éloigna. Dansaert, si humble devant lui, resta en arrière quelques secondes, pour dire brutalement aux ouvriers:
– Vous me faites empoigner, vous autres… Ce n’est pas trois francs d’amende que je vous flanquerai, moi! Prenez garde!
Alors, quand il fut parti, Maheu éclata à son tour.
– Nom de Dieu! ce qui n’est pas juste n’est pas juste. Moi, j’aime qu’on soit calme, parce que c’est la seule façon de