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Madame Bovary. Gustave Flaubert
Читать онлайн.Название Madame Bovary
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Gustave Flaubert
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Par lassitude, Charles cessa de retourner aux Bertaux. Héloïse lui avait fait jurer qu’il n’irait plus, la main sur son livre de messe, après beaucoup de sanglots et de baisers, dans une grande explosion d’amour. Il obéit donc; mais la hardiesse de son désir protesta contre la servilité de sa conduite, et, par une sorte d’hypocrisie naïve, il estima que cette défense de la voir était pour lui comme un droit de l’aimer. Et puis la veuve était maigre; elle avait les dents longues; elle portait en toute saison un petit châle noir dont la pointe lui descendait entre les omoplates; sa taille dure était engainée dans des robes en façon de fourreau, trop courtes, qui découvraient ses chevilles, avec les rubans de ses souliers larges s’entrecroisant sur des bas gris.
La mère de Charles venait les voir de temps à autre; mais, au bout de quelques jours, la bru semblait l’aiguiser à son fil; et alors, comme deux couteaux, elles étaient à le scarifier par leurs réflexions et leurs observations. Il avait tort de tant manger! Pourquoi toujours offrir la goutte au premier venu? Quel entêtement que de ne pas vouloir porter de flanelle!
Il arriva qu’au commencement du printemps, un notaire d’Ingouville, détenteur de fonds de la veuve Dubuc, s’embarqua, par une belle marée, emportant avec lui tout l’argent de son étude. Héloïse, il est vrai, possédait encore, outre une part de bateau évaluée six mille francs, sa maison de la rue Saint-François; et cependant, de toute cette fortune que l’on avait fait sonner si haut, rien, si ce n’est un peu de mobilier et quelques nippes, n’avait paru dans le ménage. Il fallut tirer la chose au clair. La maison de Dieppe se trouva vermoulue d’hypothèques jusque dans ses pilotis; ce qu’elle avait mis chez le notaire, Dieu seul le savait, et la part de barque n’excéda point mille écus. Elle avait donc menti, la bonne dame! Dans son exaspération, M. Bovary père, brisant une chaise contre les pavés, accusa sa femme d’avoir fait le malheur de leur fils en l’attelant à une haridelle semblable, dont les harnais ne valaient pas la peau. Ils vinrent à Tostes. On s’expliqua. Il y eut des scènes. Héloïse, en pleurs, se jetant dans les bras de son mari, le conjura de la défendre de ses parents. Charles voulut parler pour elle. Ceux-ci se fâchèrent, et ils partirent.
Mais le coup était porté. Huit jours après, comme elle étendait du linge dans sa cour, elle fut prise d’un crachement de sang, et le lendemain, tandis que Charles avait le dos tourné pour fermer le rideau de la fenêtre, elle dit: « Ah! mon Dieu! » poussa un soupir et s’évanouit. Elle était morte! Quel étonnement!
Quand tout fut fini au cimetière, Charles rentra chez lui. Il ne trouva personne en bas; il monta au premier, dans la chambre, vit sa robe encore accrochée au pied de l’alcôve; alors, s’appuyant contre le secrétaire, il resta jusqu’au soir perdu dans une rêverie douloureuse. Elle l’avait aimé, après tout.
III. Un matin, le père Rouault vint apporter à Charles le payement de sa jambe remise…
Un matin, le père Rouault vint apporter à Charles le payement de sa jambe remise: soixante et quinze francs en pièces de quarante sous, et une dinde. Il avait appris son malheur, et l’en consola tant qu’il put.
– Je sais ce que c’est! disait-il en lui frappant sur l’épaule; j’ai été comme vous, moi aussi! Quand j’ai eu perdu ma pauvre défunte, j’allais dans les champs pour être tout seul; je tombais au pied d’un arbre, je pleurais, j’appelais le bon Dieu, je lui disais des sottises; j’aurais voulu être comme les taupes, que je voyais aux branches, qui avaient des vers leur grouillant dans le ventre, crevé, enfin. Et quand je pensais que d’autres, à ce moment-là, étaient avec leurs bonnes petites femmes à les tenir embrassées contre eux, je tapais de grands coups par terre avec mon bâton; j’étais quasiment fou, que je ne mangeais plus; l’idée d’aller seulement au café me dégoûtait, vous ne croiriez pas. Eh bien, tout doucement, un jour chassant l’autre, un printemps sur un hiver et un automne par-dessus un été, ça a coulé brin à brin, miette à miette; ça s’en est allé, c’est parti, c’est descendu, je veux dire, car il vous reste toujours quelque chose au fond, comme qui dirait… un poids, là, sur la poitrine! Mais, puisque c’est notre sort à tous, on ne doit pas non plus se laisser dépérir, et, parce que d’autres sont morts, vouloir mourir… Il faut vous secouer, monsieur Bovary; ça se passera! Venez nous voir; ma fille pense à vous de temps à autre, savez-vous bien, et elle dit comme ça que vous l’oubliez. Voilà le printemps bientôt; nous vous ferons tirer un lapin dans la garenne, pour vous dissiper un peu.
Charles suivit son conseil. Il retourna aux Bertaux; il retrouva tout comme la veille, comme il y avait cinq mois, c’est-à-dire. Les poiriers déjà étaient en fleur, et le bonhomme Rouault, debout maintenant, allait et venait, ce qui rendait la ferme plus animée.
Croyant qu’il était de son devoir de prodiguer au médecin le plus de politesses possible, à cause de sa position douloureuse, il le pria de ne point se découvrir la tête, lui parla à voix basse, comme s’il eût été malade, et même fit semblant de se mettre en colère de ce que l’on n’avait pas apprêté à son intention quelque chose d’un peu plus léger que tout le reste, tels que des petits pots de crème ou des poires cuites. Il conta des histoires. Charles se surprit à rire; mais le souvenir de sa femme, lui revenant tout à coup, l’assombrit.
On apporta le café; il n’y pensa plus.
Il y pensa moins, à mesure qu’il s’habituait à vivre seul. L’agrément nouveau de l’indépendance lui rendit bientôt la solitude plus supportable. Il pouvait changer maintenant les heures de ses repas, rentrer ou sortir sans donner de raisons, et, lorsqu’il était bien fatigué, s’étendre de ses quatre membres, tout en large, dans son lit. Donc, il se choya, se dorlota et accepta les consolations qu’on lui donnait. D’autre part, la mort de sa femme ne l’avait pas mal servi dans son métier, car on avait répété durant un mois: « Ce pauvre jeune homme! quel malheur! » Son nom s’était répandu, sa clientèle s’était accrue; et puis il allait aux Bertaux tout à son aise. Il avait un espoir sans but, un bonheur vague; il se trouvait la figure plus agréable en brossant ses favoris devant son miroir.
Il arriva un jour vers trois heures; tout le monde était aux champs; il entra dans la cuisine, mais n’aperçut point d’abord Emma; les auvents étaient fermés. Par les fentes du bois, le soleil allongeait sur les pavés de grandes raies minces, qui se brisaient à l’angle des meubles et tremblaient au plafond. Des mouches, sur la table, montaient le long des verres qui avaient servi, et bourdonnaient en se noyant au fond, dans le cidre resté. Le jour qui descendait par la cheminée, veloutant la suie de la plaque, bleuissait un peu les cendres froides. Entre la fenêtre et le foyer, Emma cousait; elle n’avait point de fichu, on voyait sur ses épaules nues de petites gouttes de sueur.
Selon la mode de la campagne, elle lui proposa de boire quelque chose. Il refusa, elle insista, et enfin lui offrit, en riant, de prendre un verre de liqueur avec elle. Elle alla donc chercher dans l’armoire une bouteille de curaçao, atteignit deux petits verres, emplit l’un jusqu’au bord, versa à peine dans l’autre, et, après avoir trinqué, le porta à sa bouche. Comme il était presque vide, elle se renversait pour boire; et, la tête en arrière, les lèvres avancées, le cou tendu, elle riait de ne rien sentir, tandis que le bout de sa langue, passant entre ses dents fines, léchait à petits coups le fond du verre.
Elle se rassit et elle reprit son ouvrage, qui était un bas de coton blanc où elle faisait des reprises; elle travaillait le front baissé; elle ne parlait pas, Charles non plus. L’air, passant par le dessous de la porte, poussait un peu de poussière sur les dalles; il la regardait se traîner, et il entendait seulement le battement intérieur de sa tête, avec le cri d’une poule, au loin, qui pondait dans les cours. Emma, de temps à autre, se rafraîchissait les joues en y appliquant la paume de ses mains; qu’elle refroidissait après cela sur la pomme de fer des grands chenets.
Elle se plaignit d’éprouver, depuis le commencement de la saison, des étourdissements; elle demanda si les bains de mer lui seraient utiles; elle se mit à causer du couvent, Charles de son collège, les phrases leur vinrent. Ils montèrent