ТОП просматриваемых книг сайта:
Madame Bovary. Gustave Flaubert
Читать онлайн.Название Madame Bovary
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Gustave Flaubert
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Le mal ne serait pas grand, répondit M. Homais vous en achèteriez un autre.
– Un autre billard! exclama la veuve.
– Puisque celui-là ne tient plus, madame Lefrançois; je vous le répète, vous vous faites tort! vous vous faites grand tort! Et puis les amateurs, à présent, veulent des blouses étroites et des queues lourdes. On ne joue plus la bille; tout est changé! Il faut marcher avec son siècle! Regardez Tellier, plutôt…
L’hôtesse devint rouge de dépit. Le pharmacien ajouta:
– Son billard, vous avez beau dire, est plus mignon que le vôtre; et qu’on ait l’idée, par exemple de monter une poule patriotique pour la Pologne ou les inondés de Lyon…
– Ce ne sont pas des gueux comme lui qui nous font peur! interrompit l’hôtesse, en haussant ses grosses épaules. Allez! allez! monsieur Homais, tant que le Lion d’or vivra, on y viendra. Nous avons du foin dans nos bottes, nous autres! Au lieu qu’un de ces marins vous verrez le Café français fermé, et avec une belle affiche sur les auvents!… Changer mon billard, continuait-elle en se parlant à elle-même, lui qui m’est si commode pour ranger ma lessive, et sur lequel, dans le temps de la chasse, j’ai mis coucher jusqu’à six voyageurs!… Mais ce lambin d’Hivert qui n’arrive pas!
– L’attendez-vous pour le dîner de vos messieurs? demanda le pharmacien.
– L’attendre? Et M. Binet donc! À six heures battant vous allez le voir entrer, car son pareil n’existe pas sur la terre pour l’exactitude. Il lui faut toujours sa place dans la petite salle! On le tuerait plutôt que de le faire dîner ailleurs! et dégoûté qu’il est! et si difficile pour le cidre! Ce n’est pas comme M. Léon; lui, il arrive quelquefois à sept heures, sept heures et demie même; il ne regarde seulement pas à ce qu’il mange. Quel bon jeune homme! jamais un mot plus haut que l’autre.
– C’est qu’il y a bien de la différence, voyez-vous, entre quelqu’un qui a reçu de l’éducation et un ancien carabinier qui est percepteur.
Six heures sonnèrent. Binet entra.
Il était vêtu d’une redingote bleue, tombant droit d’elle-même tout autour de son corps maigre, et sa casquette de cuir, à pattes nouées par des cordons sur le sommet de sa tête, laissait voir, sous la visière relevée, un front chauve, qu’avait déprimé l’habitude du casque. Il portait un gilet de drap noir, un col de crin, un pantalon gris, et, en toute saison, des bottes bien cirées qui avaient deux renflements parallèles, à cause de la saillie de ses orteils. Pas un poil ne dépassait la ligne de son collier blond, qui, contournant la mâchoire, encadrait comme la bordure d’une plate-bande sa longue figure terne, dont les yeux étaient petits et le nez busqué. Fort à tous les jeux de cartes, bon chasseur et possédant une belle écriture, il avait chez lui un tour, où il s’amusait à tourner des ronds de serviette dont il encombrait sa maison, avec la jalousie d’un artiste et l’égoïsme d’un bourgeois.
Il se dirigea vers la petite salle; mais il fallut d’abord en faire sortir les trois meuniers; et, pendant tout le temps que l’on fut à mettre son couvert, Binet resta silencieux à sa place, auprès du poêle; puis il ferma la porte et retira sa casquette, comme d’usage.
– Ce ne sont pas les civilités qui lui useront la langue! dit le pharmacien, dès qu’il fut seul avec l’hôtesse.
– Jamais il ne cause davantage, répondit-elle; il est venu ici, la semaine dernière, deux voyageurs en draps, des garçons pleins d’esprit qui contaient, le soir, un tas de farces que j’en pleurais de rire; eh bien, il restait là, comme une alose, sans dire un mot.
– Oui, fit le pharmacien, pas d’imagination, pas de saillies, rien de ce qui constitue l’homme de société!
– On dit pourtant qu’il a des moyens, objecta l’hôtesse.
– Des moyens? répliqua M. Homais; lui! des moyens? Dans sa partie, c’est possible, ajouta-t-il d’un ton plus calme.
Et il reprit:
– Ah! qu’un négociant qui a des relations considérables, qu’un jurisconsulte, un médecin, un pharmacien soient tellement absorbés qu’ils en deviennent fantasques et bourrus même, je le comprends; on en cite des traits dans les histoires! Mais, au moins, c’est qu’ils pensent à quelque chose. Moi, par exemple, combien de fois m’est-il arrivé de chercher ma plume sur mon bureau pour écrire une étiquette, et de trouver, en définitive, que je l’avais placée à mon oreille!
Cependant, madame Lefrançois alla sur le seuil regarder si l’Hirondelle n’arrivait pas. Elle tressaillit. Un homme vêtu de noir entra tout à coup dans la cuisine. On distinguait, aux dernières lueurs du crépuscule, qu’il avait la figure rubiconde et le corps athlétique.
– Qu’y a-t-il pour votre service, monsieur le curé? demanda la maîtresse d’auberge, tout en atteignant sur la cheminée un des flambeaux de cuivre qui s’y trouvaient rangés en colonnade avec leurs chandelles; voulez-vous prendre quelque chose? un doigt de cassis, un verre de vin?
L’ecclésiastique refusa fort civilement. Il venait chercher son parapluie, qu’il avait oublié l’autre jour au couvent d’Ernemont, et, après avoir prié madame Lefrançois de le lui faire remettre au presbytère dans la soirée, il sortit pour se rendre à l’église, où l’on sonnait l’Angelus.
Quand le pharmacien n’entendit plus sur la place le bruit de ses souliers, il trouva fort inconvenante sa conduite de tout à l’heure. Ce refus d’accepter un rafraîchissement lui semblait une hypocrisie des plus odieuses; les prêtres godaillaient tous sans qu’on les vît, et cherchaient à ramener le temps de la dîme.
L’hôtesse prit la défense de son curé:
– D’ailleurs, il en plierait quatre comme vous sur son genou. Il a, l’année dernière, aidé nos gens à rentrer la paille; il en portait jusqu’à six bottes à la fois, tant il est fort!
– Bravo! dit le pharmacien. Envoyez donc vos filles en confesse à des gaillards d’un tempérament pareil! Moi, si j’étais le gouvernement, je voudrais qu’on saignât les prêtres une fois par mois. Oui, madame Lefrançois, tous les mois, une large phlébotomie, dans l’intérêt de la police et des moeurs!
– Taisez-vous donc, monsieur Homais! vous êtes un impie! vous n’avez pas de religion!
Le pharmacien répondit:
– J’ai une religion, ma religion, et même j’en ai plus qu’eux tous, avec leurs momeries et leurs jongleries! J’adore Dieu, au contraire! je crois en l’Être suprême, à un Créateur, quel qu’il soit, peu m’importe, qui nous a placés ici-bas pour y remplir nos devoirs de citoyen et de père de famille; mais je n’ai pas besoin d’aller, dans une église, baiser des plats d’argent, et engraisser de ma poche un tas de farceurs qui se nourrissent mieux que nous! Car on peut l’honorer aussi bien dans un bois, dans un champ, ou même en contemplant la voûte éthérée, comme les anciens. Mon Dieu, à moi, c’est le Dieu de Socrate, de Franklin, de Voltaire et de Béranger! Je suis pour la Profession de foi du vicaire savoyard et les immortels principes de 89! Aussi, je n’admets pas un bonhomme de bon Dieu qui se promène dans son parterre la canne à la main, loge ses amis dans le ventre des baleines, meurt en poussant un cri et ressuscite au bout de trois jours: choses absurdes en elles-mêmes et complètement opposées, d’ailleurs, à toutes les lois de la physique; ce qui nous démontre, en passant,