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Double-Blanc. Fortuné du Boisgobey
Читать онлайн.Название Double-Blanc
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Fortuné du Boisgobey
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Et tu t’es passé de monsieur le maire et de monsieur le curé, toi, un gars du pays de Cornouailles!
– Oh! je sais bien que j’ai mal fait, et si j’avais pu rentrer à Trégunc, j’aurais été trouver monsieur le recteur pour nous marier à l’église.
– Bon! mais je suppose qu’elle t’a planté là, ta Bohémienne.
– Mais non, monsieur Hervé; elle est toujours avec moi.
– Alors, vous demeurez ensemble?
– Depuis six mois. Elle est tombée malade pendant la foire de Saint-Cloud et le patron l’a renvoyée de la troupe… Je ne pouvais pas l’abandonner… elle n’a plus que moi pour la soigner… et je ne la guérirai pas… elle s’en va de la poitrine… mais je resterai avec elle jusqu’à la fin…
Alain s’arrêta. L’émotion lui coupait la parole. Il pleurait.
Hervé fut touché, et au lieu de sourire de la mine ridicule du troubadour larmoyant sous sa toque dont le plumet lui retombait sur les yeux, il lui dit doucement:
– Je te plains, mon pauvre gars… et je suis tout prêt à t’aider.
– Merci, monsieur Hervé! Vous venez de m’empêcher de me détruire, car s’il m’avait fallu rentrer sans argent, je serais peut-être allé me jeter à l’eau. Vous m’avez donné vingt francs et je pourrai acheter ce que le médecin a ordonné pour Zina.
– Tu feras bien, mais, avec un louis, on ne va pas loin. De quoi vivez-vous, toi et ta malade?
– Elle travaille pour une maison de broderie… pas beaucoup, parce qu’elle n’en a plus la force.
– Comment! elle travaille!… une fille de bohémiens!
– Elle n’est pas de leur race. Ils l’ont volée, toute petite.
– Bien! un roman!… quel âge a-t-elle?
– Un an de moins que moi… et si j’étais à Trégunc, je tirerais au sort l’année prochaine.
– Alors, elle va mourir à dix-neuf ans!… c’est bien triste… Ah! çà, j’espère bien que tu n’es pas aux crochets de cette malheureuse?
– Oh! monsieur Hervé, vous ne croyez pas ça. J’aimerais mieux crever de faim… et si j’avais un bon état, je vous jure qu’elle ne manquerait de rien. Mais voilà!… avant de la connaître, je n’avais jamais rien fait que de garder mes chèvres dans les landes… C’est encore heureux que monsieur le recteur de Trégunc m’a appris à lire et à écrire… quand je pense que moi qui aimais tant à servir la messe, je suis figurant au Châtelet!…
– Et pourquoi, diable! t’es-tu fait figurant?
– Pour gagner trente sous par soirée. Nous n’avons plus que ça pour vivre, Zina et moi, car, depuis un mois, elle n’a pas d’ouvrage.
Hervé n’avait pu écouter sans être ému cet exposé de la situation présente du gars aux biques, mais il doutait encore de l’exactitude du récit de ce Cornouaillais qui, à l’en croire, était venu échouer sur un théâtre de Paris, après avoir suivi une troupe de saltimbanques.
Ces aventures-là n’arrivent guère aux pâtres de la basse Bretagne, et Hervé se promettait de vérifier les faits, avant d’assister sérieusement ce compatriote dévoyé.
Il commença par lui poser une question.
– Il n’y a pas de sots métiers, dit-il, et autant celui-là qu’un autre, puisqu’il te nourrit… mais je m’étonne de te voir au bal de l’Opéra, pendant que ta femme est si malade. Tu ne devrais pas avoir le cœur à la joie.
– Oh! non, s’écria Kernoul, et je vous prie de croire que je ne suis pas venu ici pour m’amuser. J’avais entendu dire au théâtre que les clodoches rapportaient de l’argent plein leurs poches… j’ai pensé que j’en ferais bien autant qu’eux… Au pardon de Trégunc, je sautais plus haut que tous les autres gars et, quand j’étais paillasse, j’ai appris à grimacer et à me disloquer… il me manquait un costume… Zina m’en a arrangé un avec des vieilles défroques, du temps où nous jouions des pièces à spectacle.
– Il est assez réussi, ton costume, dit Hervé en souriant.
– Oui, mais je ne pouvais pas danser tout seul et les clodoches n’ont pas voulu me laisser danser avec eux. Ça fait que, si vous n’aviez pas eu pitié de moi, j’aurais perdu ma nuit. Vous m’avez donné vingt francs, mais je suis encore plus content de vous avoir retrouvé. Je savais bien que vous étiez à Paris et j’espérais toujours que j’aurais la chance de vous rencontrer…
– Alors, tu m’as reconnu dans la loge où j’étais?
– Pas tout d’abord, parce que… excusez-moi de vous dire ça… là-bas, en Bretagne, vous aviez meilleure mine… mais à force de vous regarder j’ai bien vu que c’était vous, notre maître… et quand vous êtes sorti…
– Tu es venu m’attendre dans le corridor. Tu as bien fait. Je t’aiderai. Où demeure-tu?
– Rue de la Huchette, 22… dans une vieille maison noire, où vous n’oseriez pas entrer… mais si vous me permettez d’aller chez vous… j’ai encore des habits propres.
– Eh bien! tu peux venir. Je suis logé à l’hôtel du Rhin, sur la place Vendôme, et je ne sors jamais avant midi. Tu m’apporteras des nouvelles de ta malade… et quand tu voudras rentrer au pays… avec ou sans elle… je te reprendrai à Lanriec.
– La ferme n’est donc pas vendue?
– Comment sais-tu qu’elle était à vendre?
– Dame! quand j’en suis parti, on disait qu’un richard de Paris allait tout acheter… les terres, la forêt, le château…
– Il en a été question, interrompit Hervé, mais j’espère les conserver. C’est pourquoi, mon gars, si tu n’as pas menti et si tu te conduis bien, tu pourras finir tes jours à mon service.
Alain allait remercier son maître, lorsqu’une grosse rumeur monta d’en bas jusqu’à la buvette. Des gens se bousculaient dans l’escalier en criant: «Au voleur! arrêtez-le!»
Hervé se leva, s’avança et se heurta contre un homme qui faillit le renverser en s’accrochant à lui.
Le contact fut court, mais il fut complet, car cet homme prit Hervé à bras le corps, par-dessous son habit noir, et le tint un instant serré contre sa poitrine; après quoi, il se remit à courir pour grimper aux quatrièmes loges. Ceux qui le poursuivaient passèrent comme une meute aux trousses d’un cerf. Ils le chassaient à vue et ils ne pouvaient pas manquer de le prendre au dernier étage, à moins qu’il ne trouvât le moyen de fuir par les toits.
Le seigneur de Scaër ne fut point tenté de courir après un filou qui ne lui avait rien volé, et il se retourna pour chercher Alain Kernoul.
Le gars aux biques n’était plus là.
Hervé ne s’inquiéta pas de la disparition de son compatriote. Hervé avait dit à ce Breton fourvoyé tout ce qu’il avait à lui dire. Il s’était intéressé aux singulières aventures et à la triste situation d’Alain Kernoul; il ne demandait pas mieux que de lui venir en aide, mais il en avait assez fait pour cette fois et il ne lui restait plus qu’à attendre la visite que le gars aux biques ne manquerait pas de lui faire à l’hôtel du Rhin.
Il regrettait même d’avoir perdu à l’interroger une demi-heure qu’il aurait pu mieux employer, car il était sorti de la loge pour tâcher de rejoindre la blonde inconnue et elle avait eu tout le temps de quitter le bal de l’Opéra pendant qu’il bavardait