ТОП просматриваемых книг сайта:
Double-Blanc. Fortuné du Boisgobey
Читать онлайн.Название Double-Blanc
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Fortuné du Boisgobey
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Dites-la moi, je vous en prie.
– Non, mademoiselle. Je veux vous laisser le plaisir de la lui demander quand vous le verrez… et puis, Dieu sait comment elle finira… attendez le dénouement.
En dépit des mines de la gouvernante un peu scandalisée de la tournure que prenait cette causerie entre fiancés, Solange aurait volontiers insisté, mais, à ce moment, entra le valet de pied, apportant sur un plat d’argent une carte de visite. Elle la prit et après y avoir jeté les yeux, elle la passa à Mme de Cornuel, en lui demandant:
– Connaissez-vous ce nom-là?
– «Marquesa de Mazatlan», lut la gouvernante; non… pas du tout.
– Au-dessus du nom, il y a des armes. M. de Scaër les connaît peut-être.
– Des armes timbrées d’une couronne de marquise, répondit Hervé, après avoir regardé. Non, je ne les connais pas.
– Enfin, demanda la gouvernante au valet de pied, que veut cette dame?…
– Elle vient quêter au profit d’une œuvre de charité.
– Quelque intrigante, sans doute.
– Je ne crois pas, madame. Elle attend à la grille dans un coupé très bien attelé et je sais qu’elle a son hôtel avenue de Villiers. Je la vois passer très souvent et je connais son cocher.
– C’est différent, dit Mme de Cornuel qui avait beaucoup de considération pour les gens riches. Il me semble, ma chère Solange, que vous pouvez la recevoir.
– Je ne demande pas mieux, s’écria la jeune fille. Une marquise espagnole, ici…, c’est inattendu et j’adore l’inattendu.
Sur un signe de Mme de Cornuel, le valet de pied sortit à reculons et, dès qu’il eut disparu, Hervé se mit à dire en riant:
– J’ai le pressentiment que cette Espagnole est une affreuse duègne.
– Je l’espère bien, répliqua gaiement Mlle de Bernage. Si elle était jeune et jolie, je ne la recevrais pas volontiers pendant que vous êtes là. Sachez, monsieur, que je suis très jalouse.
– Je ne vous donnerai jamais sujet de l’être, mademoiselle. Je viens de faire mes preuves à l’Opéra… en refusant d’aller souper en mauvaise compagnie avec des amis qui ne se piquent pas de vertu… et je vous jure que je n’ai eu aucun mérite à me priver de ce divertissement, car depuis que j’ai le bonheur de vous connaître, toutes les femmes me semblent laides.
– Prenez garde, dit malicieusement Solange; la marquise est peut-être charmante et, avant que le coq ait chanté trois fois, il pourrait bien vous arriver de changer de sentiment… Mais je vous avertis que, si elle vous plaît, je m’en apercevrais tout de suite.
Ce marivaudage n’était pas du goût de Mme de Cornuel et elle y coupa court, en disant:
– Je ne sais si M. de Bernage nous approuvera d’avoir reçu cette étrangère… je regrette vivement qu’il ne soit pas encore rentré.
– Je puis vous assurer qu’il ne tardera guère, dit Hervé qui n’était pas fâché de se dérober aux taquineries de sa fiancée; quand je suis arrivé, il venait de me quitter sur la place de la Madeleine en me priant de vous annoncer qu’il me rejoindrait ici avant une demi-heure.
– Elle est passée la demi-heure, murmura la dame de compagnie.
– Raison de plus pour que nous le voyions bientôt.
– Je le souhaite, car sa présence me délivrerait d’une responsabilité qui…
– Il me semble qu’on vient, interrompit Solange en prêtant l’oreille. Monsieur de Scaër, je vous prie, voyez donc si c’est mon père.
Le grand salon étincelait de mille feux. C’était une des fantaisies quotidiennes de Mlle de Bernage de faire allumer, dès que la nuit approchait, tous les lustres et toutes les torchères, à seule fin de ne pas ressembler aux provinciaux qui ne s’habillent que le dimanche et aux bourgeois de Paris qui ne s’éclairent a giorno que les jours où ils ont du monde à dîner.
Cette illumination ne s’étendait pas jusqu’au petit salon où brûlaient seulement deux lampes discrètes, et de cette inégale distribution des lumières, il résultait que du fond du boudoir on voyait beaucoup mieux qu’on n’était vu.
Pour être agréable à sa fiancée, Scaër s’était avancé jusqu’à la portière de soie qui marquait la séparation des deux pièces, et il put tout à son aise examiner la tournure, la démarche et même les traits de la dame qu’amenait le valet de pied, – car c’était la visiteuse qui arrivait et non pas M. de Bernage, comme l’avait cru Solange et comme le désirait Mme de Cornuel.
Hervé resta ébloui de la beauté de cette marquise de Mazatlan que, tout à l’heure, avant qu’elle se fût montrée, il soupçonnait d’être une duègne.
Elle était charmante et elle brillait de jeunesse.
Seulement, elle n’avait pas du tout l’air espagnol.
Elle était blonde comme les blés. À la blancheur de sa peau et à la fraîcheur de son teint, on aurait pu la prendre pour une Anglaise. Mais le regard était vif, la physionomie expressive et mobile. Habillée, d’ailleurs, avec goût, comme une Parisienne qui sait porter la toilette et qui suit la mode sans l’exagérer.
Le règne de l’absurde crinoline venait de finir et une robe bien coupée mettait en relief tous les avantages naturels de la dame: sa taille souple, sa tournure gracieuse et même son petit pied, aristocratiquement cambré.
Elle avait ce que l’auteur du Demi-Monde a appelé la ligne, c’est-à-dire la grâce et l’harmonie du mouvement. Elle avait aussi de la race, comme disent les connaisseurs en chevaux et en femmes.
Elle en avait tant que Scaër, extasié, oubliait de renseigner Mlle de Bernage qui l’avait envoyé en reconnaissance et qui s’étonnait de son silence prolongé.
Ce fut l’affaire d’un instant, car il se rejeta vivement dans le petit salon pour laisser passer la visiteuse que le valet de pied annonçait.
Il se retira si vite qu’elle entra sans le remarquer et il recula jusqu’au fond du boudoir, pendant que Solange, avertie, se levait pour recevoir poliment cette quêteuse titrée.
Et ce fut le tour de Solange d’être éblouie.
Quoi qu’elle en eût dit à son fiancé, elle ne s’attendait pas à voir une duègne, mais elle s’attendait encore moins à voir une merveille de beauté, et peu s’en fallut qu’elle ne perdît contenance.
– Mademoiselle, lui dit doucement l’étrangère, pardonnez-moi de me présenter ici sans être connue de vous. Je sais que vous aimez les pauvres et je vais m’adresser à votre cœur; je puis donc espérer que vous excuserez l’indiscrétion de ma visite, et, afin de vous l’expliquer, je me hâte de vous apprendre que votre réputation de charité s’étend jusqu’à l’avenue de Villiers où je demeure.
– J’avoue que je ne m’en doutais pas, murmura Solange.
– Je vous assure, mademoiselle, que tous les malheureux de ce quartier vous bénissent; aussi n’ai-je pas hésité à venir vous demander à vous associer à une bonne œuvre.
Maintenant, permettez-moi de vous dire qui je suis, et pourquoi je viens, car vous ne savez de moi que mon nom, et mon mari n’a jamais habité la France qu’en passant. Il est mort à la Havane, où il possédait de grandes propriétés, et j’ai pris la résolution de me fixer à Paris. Il m’a laissé une fortune indépendante et je voudrais en consacrer une partie à ceux qui souffrent de la maladie à laquelle il a succombé… une maladie très rare à la Havane et très commune en Europe… la plus terrible de toutes, car on n’en guérit jamais… la phtisie enfin… qui fait tant de ravages que la place manque