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La main froide. Fortuné du Boisgobey
Читать онлайн.Название La main froide
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Fortuné du Boisgobey
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Il ne nous reste plus qu’à trouver un terrain propice, reprit ce gentilhomme entêté.
– Et à attendre qu’il soit jour, dit ironiquement Mirande.
– Pourquoi?… Il fait un clair de lune superbe.
– Le duel pourrait avoir lieu dans ma chambre, proposa le jeune étudiant, altéré du sang… des autres.
– Je ne dis pas non, répliqua l’offensé irréconciliable.
– Voyons! voyons, messieurs! s’écria Paul Cormier, tout cela, je pense, n’est pas sérieux; vous n’allez pas, de gaîté de cœur, vous exposer à passer en cour d’assises, si cette rencontre absurde se terminait par la mort d’un des deux adversaires. Battez-vous, si vous y tenez, mais battez-vous régulièrement. Je vous déclare, pour ma part, que je refuse d’être témoin dans un duel entre quatre murs et même dans un combat de nuit.
– Eh bien! nous nous contenterons de trois témoins. Deux suffiraient à la rigueur.
– Ah! ça, vous êtes donc enragé, vous, dit Paul.
Pour toute réponse, le giflé mit son doigt sur sa joue.
Et Paul comprit qu’il ne ferait pas entendre raison à ce diable d’homme.
Marquis ou non, ce pochard, complètement et subitement dégrisé, savait très bien ce qu’il disait et surtout ce qu’il voulait.
Et Mirande, toujours surexcité, n’était pas disposé à faire cause commune avec son ami pour empêcher la rencontre. Elle lui plaisait par son étrangeté même; il pensait à la première scène du roman de Dumas où les trois mousquetaires vont ferrailler derrière le Luxembourg et il se faisait une fête de mettre flamberge au vent, comme eux, pour vider au pied levé, une querelle ramassée par hasard.
Paul, qui ne renonçait pas encore à l’espoir de faire avorter le duel, chercha un biais et crut l’avoir trouvé.
Il pensait que s’il pouvait seulement gagner du temps, les têtes finiraient peut-être par se calmer et il dit au marquis:
– Vous ne voulez absolument pas attendre jusqu’à demain la réparation que monsieur vous doit et qu’il ne refuse pas de vous accorder?
– Non… et s’il persistait à demander un délai, je le tiendrais pour un lâche.
– Pas d’injures, monsieur!… et faites-moi la grâce de m’écouter, ou bien je croirai qu’en nous imposant des conditions inacceptables, vous cherchez à éviter ce duel.
L’offensé protesta d’un geste, mais il écouta. Et Paul reprit:
– Nous y sommes, à demain… attendu qu’il est minuit. Et nous sommes à la fin de mai. A trois heures, il fera jour ou du moins on y verra assez clair pour échanger des bottes sans s’éborgner. Vous pouvez bien attendre trois heures.
– Tiens! c’est une idée! s’écria Mirande qui se laissait toujours séduire par l’imprévu.
– Trois heures, c’est long, grommela le marquis. Et puis, je prétends ne pas quitter monsieur, jusqu’à ce qu’il m’ait rendu raison.
– Et qui vous parle de le quitter? Je compte bien que nous ne nous séparerons pas jusqu’au lever de l’aurore, dit Paul Cormier.
– Originale, ton idée, dit Mirande; mais nous ne pouvons pas battre le pavé de Paris, pendant trois heures.
– Nous monterons chez moi et nous ferons du punch au kirsch, s’écria l’étudiant de première année.
– Pourquoi ne proposes-tu pas, pendant que tu y es, d’aller souper tous ensemble? demanda Paul en haussant les épaules. Il ne s’agit pas d’un de ces duels qui ne sont que des prétextes à godaille. Tu vas monter chez toi, tout seul, tu y prendras tes épées de combat… elles ne t’ont jamais servi, je suppose.
– Elles sont toutes neuves. C’est un cadeau que m’a fait mon cousin qui est sous-lieutenant de dragons.
– Très bien! C’est ce qu’il nous faut. Tu les apporteras dans leur enveloppe et nous nous acheminerons tout doucement vers les fortifications. Je connais un endroit où nous ne serons pas dérangés… sur le boulevard Jourdan, à gauche de la porte d’Orléans.
– Mais nous y serons dans trois quarts d’heure, à la porte d’Orléans, grommela Mirande, et s’il faut battre la semelle sur le chemin de ronde, en attendant le jour, je n’en suis pas.
– Je sais dans ces parages un cabaret qui reste ouvert toute la nuit. Ou y vend la goutte aux maraîchers en route pour les halles.
– Et on nous la vendra aussi, n’est-ce pas? Merci! On nous prendrait pour ce que nous sommes… des gens qui viennent se rafraîchir d’un coup de pointe… et le cabaretier irait prévenir les sergents de ville. Je n’ai pas envie de me déranger pour rien.
– Ni moi non plus, dit le souffleté.
– J’aime encore mieux fumer des pipes sur un bastion, reprit Mirande. Il ne fait pas froid et je n’ai pas envie de dormir.
– Je me range à l’avis de mon adversaire, appuya le marquis.
Les trois autres témoins opinèrent dans le même sens et l’un d’eux qui étudiait la médecine eut soin d’ajouter, assez mal à propos, qu’il avait dans sa poche sa trousse de chirurgie.
Toute cette jeunesse était prête à aller là comme à une partie de plaisir. Le marquis restait résolu à en finir le plus tôt possible et Mirande, maintenant, se montrait aussi impatient que lui. Paul Cormier se trouvait être le seul homme raisonnable de la bande, lui qui d’ordinaire ne brillait pas par la prudence.
Le sort en était jeté. On allait se battre dans des conditions extravagantes et il n’y avait guère que Paul qui se préoccupât des conséquences de ce duel insensé.
On s’achemina vers le faubourg Saint-Jacques, deux à deux, le souffleté en tête avec l’étudiant aux épées.
Mirande s’arrangea pour rester en serre-file avec son ami Paul qu’il n’avait pu interroger en tête à tête depuis le commencement de la querelle et qui ne lui en laissa pas le temps, car il lui dit aussitôt:
– Mon cher, je ne te comprends pas. Quelle lubie t’a pris de frapper cet homme qui ne s’adressait pas à toi? Nous voilà tous embarqués dans une sotte affaire…
– Ah! parbleu! s’écria Jean, tu me la bailles belle! C’est toi qui t’es pris de bec avec ce pochard et tu viens me reprocher de t’avoir évité le soufflet qu’il te destinait!
– Je ne te reproche pas cela. Je te reproche de lui en avoir donné un qui a rendu le duel inévitable.
– Et puis, qu’est-ce que c’est que cette histoire?… Ce marquis de Ganges qui prétend que tu lui as volé son nom?… Est-ce vrai?
– Pas du tout. Il a entendu de travers.
– Et tu ne le connais pas?…
– Je ne l’ai jamais vu, quand il s’est levé pour m’interpeller grossièrement. Je l’ai pris d’abord pour un fou.
– Moi aussi, mais je me suis aperçu qu’il ne l’est pas. Je commence même à croire qu’il est bien marquis, quoi qu’il n’en ait pas l’air. Il y a là dessous quelque chose que je ne comprends pas. Ma foi! Tant pis pour lui, si je l’embroche. Il n’avait qu’à se tenir en repos.
– Je te conseille de le ménager, sur le terrain. Si tu le tuais, nous nous trouverions tous dans un très mauvais cas.
– Oh! je ne tiens qu’à lui donner une leçon. Il est brave, après tout. Un autre aurait reculé devant une rencontre où il n’a personne pour l’assister et c’est lui qui l’a exigée. Ce marquis doit avoir beaucoup roulé. Il n’y a que les déclassés pour se