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La chartreuse de Parme. Stendhal
Читать онлайн.Название La chartreuse de Parme
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Stendhal
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Le comte se donnait d’excellentes raisons pour être fou, tant qu’il ne songeait qu’à conquérir le bonheur qu’il voyait sous ses yeux. Il n’en trouvait plus d’aussi bonnes quand il venait à considérer son âge et les soucis quelquefois fort tristes qui remplissaient sa vie. «Un homme habile à qui la peur ôte l’esprit me donne une grande existence et beaucoup d’argent pour être son ministre; c’est-à-dire tout ce qu’il y a au monde de plus méprisé voilà un aimable personnage à offrir à là comtesse!» Ces pensées étaient trop noires, il revint à Mme Pietranera; il ne pouvait se lasser de la regarder, et pour mieux penser à elle il ne descendait pas dans sa loge. «Elle n’avait pris Nani, vient-on de me dire, que pour faire pièce à cet imbécile de Limercati qui ne voulut pas entendre à donner un coup d’épée ou à faire donner un coup de poignard à l’assassin du mari. Je me battrais vingt fois pour elle», s’écria le comte avec transport. A chaque instant il consultait l’horloge du théâtre qui par des chiffres éclatants de lumière et se détachant sur un fond noir avertit les spectateurs, toutes les cinq minutes, de l’heure où il leur est permis d’arriver dans une loge amie. Le comte se disait: «Je ne saurais passer qu’une demi-heure tout au plus dans sa loge, moi, connaissance de si fraîche date; si j’y reste davantage, je m’affiche, et grâce à mon âge et plus encore à ces maudits cheveux poudrés, j’aurai l’air attrayant d’un Cassandre. «Mais une réflexion le décida tout à coup: «Si elle allait quitter cette loge pour faire une visite, je serais bien récompensé de l’avarice avec laquelle je m’économise ce plaisir. «Il se levait pour descendre dans la loge où il voyait la comtesse; tout à coup, il ne se sentit presque plus d’envie de s’y présenter. «Ah! voici qui est charmant, s’écria-t-il en riant de soi-même et s’arrêtant sur l’escalier; c’est un mouvement dé timidité véritable! voilà bien vingt-cinq ans que pareille aventure ne m’est arrivée».
Il entra dans la loge en faisant presque effort sur lui-même; et, profitant en homme d’esprit de l’accident qui lui arrivait, il ne chercha point du tout à montrer de l’aisance ou à faire de l’esprit en se jetant dans quelque récit plaisant, il eut le courage d’être timide, il employa son esprit à laisser entrevoir son trouble sans être ridicule. «Si elle prend la chose de travers, se disait-il, je me perds à jamais. Quoi! timide avec des cheveux couverts de poudre, et qui sans le secours de la poudre paraîtraient gris! Mais enfin la chose est vraie, donc elle ne peut être ridicule que si je l’exagère ou si j’en fais trophée». La comtesse s’était si souvent ennuyée au château de Grianta vis-à-vis des figures poudrées de son frère, de son neveu et de quelques ennuyeux bien pensants du voisinage qu’elle ne songea pas à s’occuper de la coiffure dé son nouvel adorateur.
L’esprit de la comtesse ayant un bouclier contre l’éclat de rire de l’entrée, elle ne fut attentive qu’aux nouvelles de France que Mosca avait toujours à lui donner en particulier, en arrivant dans la loge sans doute il inventait. En les discutant avec lui, elle remarqua ce soir-là son regard, qui était beau et bienveillant.
– Je m’imagine, lui dit-elle, qu’à Parme, au milieu de vos esclaves, vous n’allez pas avoir ce regard aimable, cela gâterait tout et leur donnerait quelque espoir de n’être pas pendus.
L’absence totale d’importance chez un homme qui passait pour le premier diplomate de l’Italie parut singulière à la comtesse, elle trouva même qu’il avait de la grâce. Enfin, comme il parlait bien et avec feu, elle ne fut point choquée qu’il eût Juge a propos de prendre pour une soirée, et sans conséquence, le rôle d’attentif.
Ce fut un grand pas de fait, et bien dangereux par bonheur pour le ministre, qui, à Parme, ne trouvait pas de cruelles, c’était seulement depuis peu de jours que la comtesse arrivait de Grianta; son esprit était encore tout raidi par l’ennui de la vie champêtre. Elle avait comme oublié la plaisanterie; et toutes ces choses qui appartiennent à une façon de vivre élégante et légère avaient pris à ses yeux comme une teinte de nouveauté qui les rendait sacrées; elle n’était disposée à se moquer de rien, pas même d’un amoureux de quarante-cinq ans et timide. Huit jours plus tard, la témérité du comte eût pu recevoir un tout autre accueil.
A la Scala, il est d’usage de ne faire durer qu’une vingtaine de minutes ces petites visites que l’on fait dans les loges; le comte passa toute la soirée dans celle où il avait le bonheur de rencontrer Mme Pietranera. «C’est une femme, se disait-il, qui me rend toutes les folies de la jeunesse!» Mais il sentait bien le danger. «Ma qualité de pacha tout-puissant à quarante lieues d’ici me fera-t-elle pardonner cette sottise? je m’ennuie tant à Parme!» Toutefois, de quart d’heure en quart d’heure il se promettait de partir.
– Il faut avouer, madame, dit-il en riant à la comtesse qu’à Parme je meurs d’ennui, et il doit m’être permis de m’enivrer de plaisir quand j’en trouve sur ma route. Ainsi, sans conséquence et pour une soirée, permettez-moi de jouer auprès de vous le rôle d’amoureux. Hélas! dans peu de jours je serai bien loin de cette loge qui me fait oublier tous les chagrins et même, direz-vous, toutes les convenances.
Huit jours après cette visite monstre dans la loge à la Scala et à la suite de plusieurs petits incidents dont lé récit semblerait long peut-être, le comte Mosca était absolument fou d’amour, et la comtesse pensait déjà que l’âge ne devait pas faire objection, si d’ailleurs on le trouvait aimable. On en était à ces pensées quand Mosca fut rappelé par un courrier de Parme. On eût dit que son prince avait peur tout seul. La comtesse retourna à Grianta; son imagination ne parant plus ce beau lieu, il lui parut désert. «Est-ce que je me serais attachée à cet homme?» se dit-elle. Mosca écrivit et n’eut rien à jouer, l’absence lui avait enlevé la source de toutes ses pensées; ses lettres étaient amusantes, et, par une petite singularité qui ne fut pas mal prise, pour éviter les commentaires du marquis del Dongo qui n’aimait pas à payer des ports de lettres, il envoyait des courriers qui jetaient les siennes à la poste à Côme, à Lecco, à Varèse ou dans quelque autre de ces petites villes charmantes des environs du lac. Ceci tendait à obtenir que le courrier lui rapportât les réponses; il y parvint.
Bientôt les jours de courrier firent événement pour la comtesse; ces courriers apportaient des fleurs, des fruits, de petits cadeaux sans valeur mais qui l’amusaient, ainsi que sa belle-soeur. Le souvenir du comte se mêlait à l’idée de son grand pouvoir, la comtesse était devenue curieuse de tout ce qu’on disait de lui, les libéraux eux-mêmes rendaient hommage à ses talents.
La principale source de mauvaise réputation pour le comte, c’est qu’il passait pour le chef du parti ultra à la cour de Parme, et que le parti libéral avait à sa tête une intrigante capable de tout, et même de réussir, la marquise Raversi, immensément riche. Le prince était fort attentif à ne pas décourager celui des deux partis qui n’était pas au pouvoir; il savait bien qu’il serait toujours le maître, même avec un ministère pris dans le salon de Mme Raversi. On donnait à Grianta mille détails sur ces intrigues; l’absence de Mosca, que tout le monde peignait comme un ministre du premier talent et un homme d’action, permettait de ne plus songer aux cheveux poudrés, symbole de tout ce qui est lent et triste; c’était un détail sans conséquence, une des obligations de la cour, où il jouait d’ailleurs un si beau rôle.
– Une cour, c’est ridicule, disait la comtesse à la marquise, mais c’est amusant; c’est un jeu qui m’intéresse, mais dont il faut accepter les règles. Qui s’est jamais avisé de se récrier contre le ridicule des règles du whist? Et pourtant une fois qu’on s’est accoutumé aux règles, il est agréable de faire l’adversaire repic et capot.
La comtesse pensait souvent à l’auteur de tant de lettres aimables; le jour où elle les recevait était agréable pour elle; elle prenait sa barque et allait les lire dans les beaux sites du lac, à la Pliniana, à Bélan, au bois des Sfondrata. Ces lettres semblaient la consoler un peu de l’absence de Fabrice. Elle ne pouvait du moins refuser au comte