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Bel-Ami / Милый друг. Ги де Мопассан
Читать онлайн.Название Bel-Ami / Милый друг
Год выпуска 1885
isbn 978-5-17-158401-6
Автор произведения Ги де Мопассан
Серия Bilingua подарочная: иллюстрированная книга на языке оригинала с переводом
Издательство Издательство АСТ
Quoique habillé d'un complet de soixante francs, il gardait une certaine élégance tapageuse, un peu commune, réelle cependant. Grand, bien fait, blond, d'un blond châtain vaguement roussi, avec une moustache retroussée, qui semblait mousser sur sa lèvre, des yeux bleus, clairs, troués d'une pupille toute petite, des cheveux frisés naturellement, séparés par une raie au milieu du crâne, il ressemblait bien au mauvais sujet des romans populaires.
C'était une de ces soirées d'été où l'air manque dans Paris. La ville, chaude comme une étuve, paraissait suer dans la nuit étouffante. Les égouts soufflaient par leurs bouches de granit leurs haleines empestées, et les cuisines souterraines jetaient à la rue, par leurs fenêtres basses, les miasmes infâmes des eaux de vaisselle et des vieilles sauces.
Les concierges, en manches de chemise, à cheval sur des chaises en paille, fumaient la pipe sous des portes cochères, et les passants allaient d'un pas accablé, le front nu, le chapeau à la main.
Quand Georges Duroy parvint au boulevard, il s'arrêta encore, indécis sur ce qu'il allait faire. Il avait envie maintenant de gagner les Champs-Élysées et l'avenue du bois de Boulogne pour trouver un peu d'air frais sous les arbres; mais un désir aussi le travaillait, celui d'une rencontre amoureuse.
Comment se présenterait-elle? Il n'en savait rien, mais il l'attendait depuis trois mois, tous les jours, tous les soirs. Quelquefois cependant, grâce à sa belle mine et à sa tournure galante, il volait, par-ci, par-là, un peu d'amour, mais il espérait toujours plus et mieux.
La poche vide et le sang bouillant, il s'allumait au contact des rôdeuses qui murmurent à l'angle des rues: «Venez-vous chez moi, joli garçon?» mais il n'osait les suivre ne les pouvant payer; et il attendait aussi autre chose, d'autres baisers moins vulgaires.
Il aimait cependant les lieux où grouillent les filles publiques, leurs bals, leurs cafés, leurs rues; il aimait les coudoyer, leur parler, les tutoyer, flairer leurs parfums violents, se sentir près d'elles. C'étaient des femmes enfin, des femmes d'amour. Il ne les méprisait point du mépris inné des hommes de famille.
Il tourna vers la Madeleine et suivit le flot de foule qui coulait accablée par la chaleur. Les grands cafés, pleins de monde, débordaient sur le trottoir, étalant leur public de buveurs sous la lumière éclatante et crue de leur devanture illuminée. Devant eux, sur de petites tables carrées ou rondes, les verres contenaient des liquides rouges, jaunes, verts, bruns, de toutes les nuances; et dans l'intérieur des carafes on voyait briller les gros cylindres transparents de glace qui refroidissaient la belle eau claire.
Duroy avait ralenti sa marche, et l'envie de boire lui séchait la gorge.
Une soif chaude, une soif de soir d'été le tenait, et il pensait à la sensation délicieuse des boissons froides coulant dans la bouche. Mais s'il buvait seulement deux bocks dans la soirée, adieu le maigre souper du lendemain, et il les connaissait trop, les heures affamées de la fin du mois.
Il se dit: «Il faut que je gagne dix heures et je prendrai mon bock à l'Américain. Nom d'un chien! que j'ai soif tout de même!» Et il regardait tous ces hommes attablés et buvant, tous ces hommes qui pouvaient se désaltérer tant qu'il leur plaisait. Il allait, passant devant les cafés d'un air crâne et gaillard, et il jugeait d'un coup d'œil, à la mine, à l'habit, ce que chaque consommateur devait porter d'argent sur lui. Et une colère l'envahissait contre ces gens assis et tranquilles. En fouillant leurs poches, on trouverait de l'or, de la monnaie blanche et des sous. En moyenne chacun devait avoir au moins deux louis; ils étaient bien une centaine par café; cent fois deux louis font quatre mille francs! Il murmurait: «Les cochons!» tout en se dandinant avec grâce. S'il avait pu en tenir un au coin d'une rue, dans l'ombre bien noire, il lui aurait tordu le cou, ma foi, sans scrupule, comme il faisait aux volailles des paysans, aux jours de grandes manœuvres.
Et il se rappelait ses deux années d'Afrique, la façon dont il rançonnait les Arabes dans les petits postes du Sud. Et un sourire cruel et gai passa sur ses lèvres au souvenir d'une escapade qui avait coûté la vie à trois hommes de la tribu des Ouled-Alane et qui leur avait valu, à ses camarades et à lui, vingt poules, deux moutons et de l'or, et de quoi rire pendant six mois.
On n'avait jamais trouvé les coupables, qu'on n'avait guère cherchés d'ailleurs, l'Arabe étant un peu considéré comme la proie naturelle du soldat.
À Paris, c'était autre chose. On ne pouvait pas marauder gentiment, sabre au côté et revolver au poing, loin de la justice civile, en liberté. Il se sentait au cœur tous les instincts du sous-off lâché en pays conquis. Certes il les regrettait, ses deux années de désert. Quel dommage de n'être pas resté là-bas! Mais voilà, il avait espéré mieux en revenant. Et maintenant!.. Ah oui, c'était du propre, maintenant!
Il faisait aller sa langue dans sa bouche, avec un petit claquement, comme pour constater la sécheresse de son palais.
La foule glissait autour de lui, exténuée et lente, et il pensait toujours: «Tas de brutes! tous ces imbéciles-là ont des sous dans le gilet». Il bousculait les gens de l'épaule, et sifflotait des airs joyeux. Des messieurs heurtés se retournaient en grognant; des femmes prononçaient: «En voilà un animal!»
Il passa devant le Vaudeville, et s'arrêta en face du Café Américain, se demandant s'il n'allait pas prendre son bock, tant la soif le torturait. Avant de se décider il regarda l'heure aux horloges lumineuses, au milieu de la chaussée. Il était neuf heures un quart. Il se connaissait: dès que le verre plein de bière serait devant lui, il l'avalerait. Que ferait-il ensuite jusqu'à onze heures?
Il passa: «J'irai jusqu'à la Madeleine, se dit-il, et je reviendrai tout doucement.»
Comme il arrivait au coin de la place de l'Opéra, il croisa un gros jeune homme, dont il se rappela vaguement avoir vu la tête quelque part.
Il se mit à le suivre en cherchant dans ses souvenirs, et répétant à mi-voix: «Où diable ai-je connu ce particulier-là?»
Il fouillait dans sa pensée, sans parvenir à se le rappeler; puis, tout d'un coup, par un singulier phénomène de mémoire, le même homme lui apparut moins gros, plus jeune, vêtu d'un uniforme de hussard. Il s'écria tout haut: «Tiens, Forestier!» et, allongeant le pas, il alla frapper sur l'épaule du marcheur. L'autre se retourna, le regarda, puis dit:
– Qu'est-ce que vous me voulez, monsieur?
Duroy se mit à rire:
– Tu ne me reconnais pas?
– Non.
– Georges Duroy du 6e hussards.
Forestier tendit les deux mains:
– Ah! mon vieux! comment vas-tu?
– Très bien, et toi?
– Oh! moi, pas trop; figure-toi que j'ai une poitrine de papier mâché maintenant; je tousse six mois sur douze, à la suite d'une bronchite que j'ai attrapée à Bougival, l'année de mon retour à Paris, voici quatre ans maintenant.
– Tiens! tu as l'air solide, pourtant.
Et Forestier, prenant le bras de son ancien camarade, lui parla de sa maladie, lui raconta les consultations, les opinions et les conseils des médecins, la difficulté de suivre leurs avis dans sa position. On lui ordonnait de passer l'hiver dans le Midi; mais le pouvait-il? Il était marié et journaliste, dans une belle situation.
– Je dirige la politique à la Vie Française. Je fais le Sénat au Salut, et, de temps en temps, des chroniques littéraires pour la Planète. Voilà, j'ai fait mon chemin.
Duroy, surpris, le regardait. Il était bien changé, bien mûri. Il avait maintenant une allure, une tenue, un costume d'homme posé, sûr de lui, et un ventre d'homme qui dîne bien. Autrefois il était maigre, mince et souple, étourdi, casseur d'assiettes, tapageur et toujours en train. En trois ans Paris en avait fait quelqu'un de tout autre, de gros et sérieux, avec quelques cheveux blancs sur les tempes, bien qu'il n'eût pas plus de vingt-sept ans.
Forestier demanda:
– Où