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hésita. Elle n’était pas sûre d’avoir quoi que ce soit à enseigner à qui que ce soit pour l’instant. Elle avait déjà du mal à convaincre son frère et sa sœur d’écouter les conseils qu’elle avait à leur donner. Elle savait que le pasteur Patel ne la laisserait pas refuser. Alors elle accepta. Après une dernière étreinte, il la laissa repartir.

      Éva descendit la rue à vive allure. Il était facile de deviner pourquoi le bus n’allait pas jusqu’à son quartier. Le bitume était jonché de morceaux de verre. Une puanteur émanait de certaines allées. Des hommes traînaient au coin des rues l’après-midi, bien avant la fin de la journée de travail. L’un d’entre eux était d’ailleurs un peu trop petit pour être considéré comme un homme.

      « Carlos ! » appela Éva.

      Le garçon ne réagit pas, mais elle savait qu’il l’avait entendue.

      Éva se dirigea vers son frère d’un pas décidé. Elle se retint de justesse de remonter le pantalon qui lui tombait sur les fesses. Où était la ceinture qu’elle lui avait achetée le mois précédent ? Il se retourna avec un regard méfiant. Les types autour de lui commencèrent à ricaner.

      « Je suis avec des potes, dit-il.

      — Eh bien, c’est l’heure de rentrer faire tes devoirs. »

      Les autres garçons ricanèrent de plus belle.

      « Allez, écoute donc ta jolie sœur, gamin. Et quand tu auras fini de bosser pour l’école, j’aurai du vrai boulot pour toi. »

      Éva interrompit le voyou d’un seul regard. Mais le mauvais œil ne fonctionnait que sur la famille.

      Carlos suivit sa sœur. Elle savait qu’elle lui avait mis la honte. Mais il valait mieux que ces types le voient comme un fils à maman, ou plutôt comme un frère à sa sœur. Elle était prête à ruiner sa réputation si cela le protégeait de la rue.

      « Tu n’iras nulle part en traînant dans la rue, dit-elle après avoir traversé.

      — Parce que l’école m’amènera quelque part ? Regarde où ça t’a menée. »

      Carlos désigna le quartier d’un geste. Tout autour d’elle ne se trouvaient que différentes nuances de brun, des immeubles à la poussière dans les rues, en passant par la crasse sur le visage des enfants.

      « Tout ça changera bientôt, dit Éva. Un diplôme, c’est une porte de sortie. Tu verras. »

      Le problème, c’est qu’il faudrait au moins deux ans pour qu’il voie le résultat de cette logique. Elle espérait simplement qu’il lui laisserait le temps de lui montrer qu’elle avait raison. Et en attendant, elle ne laisserait pas la rue s’emparer de son petit frère.

      CHAPITRE 3

      Fran gara sa camionnette devant le pavillon quatre pièces niché dans un coin du ranch dans lequel il s’était installé à son arrivée. Il avait été le premier à venir vivre au ranch après leur démobilisation un an plus tôt. Il pensait au départ qu’ils s’installeraient tous au pavillon mais, à mesure que les autres hommes étaient arrivés au ranch, leurs douleurs toujours présentes, ils avaient tous recherché leur propre espace.

      Dylan avait choisi le pavillon à deux chambres voisin de celui de Fran. Reed, Sean et Xavier s’étaient installés dans les maisons mitoyennes au bout de la route.

      Fran leva les yeux vers l’endroit qu’il appelait « chez lui » depuis un an. C’était une maison confortable, mais trop grande pour lui. Il supposait qu’un de ses camarades y emménagerait après avoir trouvé une épouse. Qui sait, peut-être même que l’un d’entre eux fonderait une famille qui pourrait remplir toutes les pièces.

      Voilà bien un autre rêve que Fran ne pourrait jamais réaliser. Il ne pouvait pas envisager de mettre un enfant au monde alors qu’il ne pourrait pas être là pour prendre soin de lui, pour la voir grandir. Alors qu’il devrait laisser sa femme seule avec toutes ces responsabilités. Il n’était pas ce genre d’homme.

      Il lui faudrait bientôt commencer à faire ses cartons. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, il lui suffirait de prendre des nouvelles des autres pour s’assurer qu’ils étaient sur la voie du mariage qui leur garantirait une place au ranch.

      La porte de la maison de Dylan s’ouvrit, laissant échapper des aboiements et jappements avant tout humain. Le premier dehors fut Étoile, un carlin au dos couvert de plaques dégarnies. Ce chien avait tendance à marcher de côté, comme s’il ne voulait pas que les autres remarquent ses imperfections.

      Juste derrière lui se trouvait Stevie, un rottweiler à moitié aveugle à la magnifique fourrure bleu-gris. Il gardait le nez collé à Étoile pour mieux se repérer.

      Bonbon, le golden retriever, passa la porte d’un pas lent. Il releva la tête en repérant l’odeur de Fran, dont le moral remonta en voyant le chien. Ils se rejoignirent à mi-chemin. Vu de l’extérieur, Bonbon avait l’air en parfaite santé. Mais il souffrait de diabète, ce qui le ralentissait de temps en temps.

      Fran se pencha pour caresser la tête du chien. Ils s’étaient beaucoup rapprochés depuis son arrivée quelques semaines plus tôt. Le diabète pouvait être compliqué à gérer chez un chien, mais ce n’était pas le bout du monde. Maggie, l’épouse de Dylan, prenait soin de tous ses chiens blessés. En la voyant faire, tous les soldats avaient pu voir que leurs blessures ne les empêchaient pas d’être aimés.

      « Tu es rentré. »

      Fran releva les yeux et vit Dylan descendre les marches du porche, un chien dans les bras. Pirouette, un terrier irlandais, avait perdu ses pattes arrière quelques semaines plus tôt. Dylan le posa par terre et attacha un fauteuil roulant à son arrière-train.

      Quand Dylan se redressa, Fran aperçut sa prothèse. C’était une vision inhabituelle. Dylan portait généralement de longs pantalons qui couvraient ses jambes et cachaient sa blessure. Mais, depuis son mariage, il avait commencé à s’accepter tel qu’il était et à porter des shorts et des bermudas qui laissaient sa prothèse scintiller au soleil.

      « Comment ça s’est passé ? demanda Dylan. Qu’est-ce que le docteur a dit ? »

      Avant que Fran ne puisse répondre, Maggie passa la tête par la porte. Tous les chiens se tournèrent vers elle, queue battante et langue pendante. Dylan suivit le mouvement. Il garda la langue dans sa bouche, mais son sourire s’élargit.

      « Mon cœur, n’oublie pas de récupérer les médicaments de Bonbon quand tu iras en ville. »

      Dylan attira sa femme dans ses bras. Il déposa un baiser dans le creux entre sa joue et son nez. Maggie sourit dans son étreinte. Elle tourna la tête et son regard atterrit sur Fran.

      Fran aurait voulu détourner les yeux, mais son regard s’abreuvait de cette affection qu’il ne recevrait probablement jamais lui-même.

      « Fran, tu es rentré, dit Maggie. Qu’a dit le docteur ? Il y a eu du changement ? »

      C’était aussi pour cela que Fran ne pouvait pas se mettre en couple. Maggie n’était même pas sa partenaire, et pourtant ses yeux brillaient d’espoir. L’espoir qu’il ait miraculeusement guéri. Il était peu probable que cela arrive un jour. Il avait déjà de la chance d’être encore en vie.

      Fran secoua la tête et se prépara à recevoir leur compassion et leur bonne volonté.

      « J’ai entendu parler de quelques spécialistes, dit Dylan. On ira les voir.

      — Et je continuerai à prier pour toi, dit Maggie. On ne va pas laisser tomber. »

      Bonbon se frotta à la jambe de Fran, qui se pencha pour donner son attention au chien tandis que ses amis essayaient en vain de lui sauver la vie.

      « En attendant, continua Dylan, il faut

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