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chevaux et de faire fusiller mes militaires. Maintenant je veux le casse-noisette.

      —O bon père! à mon secours! dit Marie enveloppant le petit bonhomme dans son mouchoir de poche, à mon secours! Fritz veut me prendre le casse-noisette.

      Aux cris de Marie, non-seulement le président se rapprocha du groupe des enfants dont il s'était éloigné, mais encore la présidente et le parrain Drosselmayer accoururent. Les deux enfants expliquèrent chacun leurs raisons: Marie, pour garder le casse-noisette, et Fritz, pour le reprendre; et, au grand étonnement de Marie, le parrain Drosselmayer, avec un sourire qui parut féroce à la petite fille, donna raison à Fritz. Heureusement pour le pauvre casse-noisette que le président et la présidente se rangèrent à l'avis de Marie.

      —Mon cher Fritz, dit le président, j'ai mis le casse-noisette sous la protection de votre soeur, et, autant que mon peu de connaissance en médecine me permet d'en juger en ce moment, je vois que le pauvre malheureux est fort endommagé et a grand besoin de soins; j'accorde donc, jusqu'à sa parfaite convalescence, plein pouvoir à Marie, et cela, sans que personne ait rien à y redire. D'ailleurs, toi qui es fort sur la discipline militaire, où as-tu jamais vu qu'un général fasse retourner au feu un soldat blessé à son service? Les blessés vont à l'hôpital jusqu'à ce qu'ils soient guéris, et, s'ils restent estropiés de leurs blessures, ils ont droit aux Invalides.

      Fritz voulut insister; mais le président leva son index à la hauteur de l'oeil droit, et laissa échapper ces deux mots:

      —Monsieur Fritz!

      Nous avons déjà dit quelle influence ces deux mots avaient sur le petit garçon; aussi, tout honteux de s'être attiré cette mercuriale, se glissa-t-il, doucement et sans souffler le mot; du côté de ta table où étaient les hussards, qui, après avoir pos leurs sentinelles perdues et établi leurs avant-postes, se retirèrent silencieusement dans leurs quartiers de nuit.

      Pendant ce temps, Marie ramassait les petites dents du casse-noisette, qu'elle continuait de tenir enveloppe dans son mouchoir, et dont elle avait soutenu le menton avec un joli ruban blanc détaché de sa robe de soie. De son côté, le petit bonhomme, très-pâle et très-effrayé d'abord, paraissait confiant dans la bonté de sa protectrice, et se rassurait peu à peu, en se sentant tout doucement bercé par elle. Alors Marie s'aperçut que le parrain Drosselmayer regardait d'un air moqueur les soins maternels qu'elle donnait au manteau de bois, et il lui sembla même que l'oeil unique du conseiller de médecine avait pris une expression de malice et de méchanceté qu'elle n'avait pas l'habitude de lui voir. Cela fit qu'elle voulut s'éloigner de lui.

      Alors le parrain Drosselmayer se mit à rire aux éclats en disant:

      —Pardieu! ma chère filleule, je ne comprends pas comment une jolie petite fille comme toi peut être aussi aimable pour cet affreux petit bonhomme.

      Alors Marie se retourna; et, comme, dans son amour du prochain, le compliment que lui faisait son parrain n'établissait pas une compensation suffisante avec l'injuste attaque adressée à son casse-noisette, elle se sentit, contre son naturel; prisé d'une grande colère, et cette vague comparaison qu'elle avait déj faite de son parrain avec le petit homme au manteau de bois lui revenant à l'esprit:

      —Parrain Drosselmayer, dit-elle, vous êtes injuste envers mon pauvre petit casse-noisette, que vous appelez un affreux petit bonhomme; qui sait même si vous aviez sa jolie petite polonaise, sa jolie petite culotte et ses jolies petites bottes, qui sait si vous auriez aussi bon air que lui?

      A ces mots, les parents de Marie se mirent à rire, et le nez du conseiller de médecine s'allongea prodigieusement.

      Pourquoi le nez du conseiller de médecine s'était-il allong ainsi, et pourquoi le président et la présidente avaient-ils éclaté de rire? C'est ce dont Marie, étonnée de l'effet que sa réponse avait produit, essaya vainement de se rendre compte.

      Or, comme il n'y a pas d'effet sans cause, cet effet se rattachait sans doute à quelque cause mystérieuse et inconnue qui nous sera expliquée par la suite.

      Choses merveilleuses.

      Je ne sais, mes chers petits amis, si vous vous rappelez que je vous ai dit un mot de certaine grande armoire vitrée dans laquelle les enfants enfermaient leurs joujoux. Cette armoire se trouvait à droite en entrant dans le salon du président. Marie était encore au berceau, et Fritz marchait à peine seul quand le président avait fait faire cette armoire par un ébéniste fort habile, qui l'orna de carreaux si brillants, que les joujoux paraissaient dix fois plus beaux, rangés sur les tablettes, que lorsqu'on les tenait dans les mains. Sur le rayon d'en haut, que ni Marie ni même Fritz ne pouvaient atteindre, on mettait les chefs-d'oeuvre du parrain Drosselmayer. Immédiatement au-dessous était le rayon des livres d'images; enfin, les deux derniers rayons étaient abandonnés à Fritz et à Marie, qui les remplissaient comme ils l'entendaient. Cependant il arrivait presque toujours, par une convention tacite, que Fritz s'emparait du rayon supérieur pour en faire le cantonnement de ses troupes, et que Marie se réservait le rayon d'en bas pour ses poupées, leurs ménages et leurs lits. C'est ce qui était encore arrivé le jour de la Noël; Fritz rangea ses nouveaux venus sur la tablette supérieure, et Marie, après avoir relégué mademoiselle Rose dans un coin, avait donné sa chambre à coucher et son lit mademoiselle Claire, c'était le nom de la nouvelle poupée, et s'était invitée à passer chez elle une soirée de sucreries. Au reste, Mademoiselle Claire, en jetant les yeux autour d'elle, en voyant son ménage bien rangé sûr les tablettes, sa table chargée de bonbons et de pralines, et surtout son petit lit blanc avec son couvre-pieds de satin rose si frais et si joli, avait paru fort satisfaite de son nouvel appartement.

      Pendant tous ces arrangements, la soirée s'était fort avancée; il allait être minuit, et le parrain Drosselmayer était déjà parti depuis longtemps; qu'on n'avait pas encore pu arracher les enfants devant leur armoire.

      Contre l'habitude, ce fut Fritz qui rendit le premier aux raisonnements de ses parents, qui lui faisaient observer qu'il était temps de se coucher.

      —Au fait, dit-il, après l'exercice qu'ils ont fait toute l soirée, mes pauvres diables de hussards doivent être fatigués; or, je lès connais, ce sont de braves soldats qui connaissent leur devoir envers moi; et comme, tant que je serai là; il n'y en aurait pas un qui se permettrait de fermer l'oeil, je vais me retirer.

      Et, à ces mots; après leur avoir donné le mot d'ordre pour qu'ils ne fussent pas surpris par quelque patrouille ennemie, Fritz se retira effectivement.

      Mais il n'en fut pas ainsi de Marie; et comme la présidente, qui avait hâte de rejoindre son mari qui était déjà passé dans sa chambre, l'invitait à se séparer de sa chère armoire:

      —Encore un instant, un tout petit instant; chère maman, dit-elle, laisse-moi finir mes affaires; j'ai encore une foule de choses importantes à terminer; et, dès que j'aurai fini, je te promets que j'irai me coucher.

      Marie demandait cette grâce d'une voix si suppliante, d'ailleurs c'était une enfant à la fois si obéissante et si sage, que sa mère ne vit aucun inconvénient à lui accorder ce qu'elle désirait; cependant, comme mademoiselle Trudchen était déj remontée pour préparer le coucher de la petite fille, de peur que celle-ci, dans la préoccupation que lui inspirait la vue de ses nouveaux joujoux, n'oubliât de souffler les bougies, la présidente s'acquitta elle-même de ce soin, ne laissant brûler que la lampe du plafond, laquelle répandait dans la chambre une douce et pâle lumière, et se retira à son tour en disant:

      —Rentre bientôt, chère petite Marie, car, si tu restais trop tard, tu serais fatiguée, et peut-être ne pourrais-tu plus te lever demain.

      Et, à ces mots, la présidente sortit du salon et ferma la porte derrière elle.

      Dès que Marie se trouva seule, elle en revint à la pensée qui la préoccupait avant toutes les autres, c'est-à-dire à son pauvre petit casse-noisette, qu'elle avait toujours continué de porter sur son bras, enveloppé dans son mouchoir de poche. Elle le déposa doucement sur la table, le démaillotta et visita ses blessures. Le casse-noisette avait l'air de beaucoup

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