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le chien le suivit jusqu'à la porte seulement, et, quand Jacques Mérey en eut dépassé le seuil, le chien secoua la tête en signe de dénégation, et revint vers l'enfant, plus fidèle à son ancienne amitié qu'à sa nouvelle reconnaissance.

      Le docteur s'arrêta tout pensif. Il y avait plus d'un renseignement pour lui dans cette persistance du chien à rester près de la petite idiote.

      Et, en effet, il réfléchit que, s'il voulait sérieusement traiter cette enfant, c'étaient des soins de tous les jours, de toutes les heures, de toutes les minutes; c'étaient des inventions et des imaginations toujours nouvelles qu'il lui fallait. D'ailleurs, il se sentait déjà par la pitié attaché à ce petit être isolé, qui ne correspondait à rien dans la nature, et qui représentait le néant de l'intelligence et de la matière au milieu des êtres animés qui se mouvaient et qui pensaient, deux choses qu'il était incapable de faire.

      Les anciens cabalistes, voulant donner à Dieu un motif d'impulsion pour le faire sortir de son repos, disent que Dieu créa le monde par amour.

      Jacques Mérey, malgré toutes ses tentatives, n'avait encore rien créé; mais, nous l'avons dit, il aspirait à faire un être semblable à lui. La vue de cette jeune fille idiote, chez laquelle, de l'existence humaine, il n'existait que la matière, renouvela l'ardeur de son rêve. Comme Pygmalion, il devint amoureux d'une statue, non pas de marbre, mais de chair, et, comme le statuaire antique, il conçut l'espérance de l'animer.

      Les circonstances au milieu desquelles le docteur s'était trouvé lui avaient permis d'étudier non seulement les mœurs des hommes, mais encore les instincts et les inclinations des animaux.

      Il avait abandonné volontairement la société des villes pour se rapprocher de la nature et des êtres inférieurs qui la peuplent, persuadé que les animaux, dans une enveloppe plus ou moins grossière, ont une étincelle du fluide divin, mais que cette âme est seulement relative à des fonctions différentes des nôtres. Il considérait la Création comme une grande famille, dont l'homme était non pas le roi, mais le père: famille dans laquelle il y avait des aînés et des cadets, ceux-ci tenus en tutelle par ceux-là.

      Il avait souvent observé, avec cet intérêt qui naît dans les esprits profonds, tout incident, si léger qu'il soit, qui dénote un fait en réserve pour l'avenir. Il avait souvent regardé un jeune chien et un jeune enfant jouant ensemble.

      En écoutant les sons inarticulés qu'ils échangeaient au milieu de leurs jeux et de leurs caresses, il avait souvent tenté de croire que l'animal essayait de parler la langue de l'enfant et l'enfant celle du chien.

      À coup sûr, quelle que fût la langue qu'ils parlaient, ils s'entendaient, se comprenaient, et peut-être échangeaient-ils ces idées primitives qui disent plus de vérités sur Dieu que n'en ont jamais dit Platon et Bossuet.

      En regardant les animaux, c'est-à-dire les humbles de la Création, en voyant l'air intelligent des uns, l'air doux et rêveur des autres, le docteur avait compris qu'il y avait un profond mystère entre eux et le grand tout. N'est-ce point pour établir ce mystère et pour les envelopper dans la bénédiction universelle qui descend sur nous et sur eux pendant cette sainte nuit de Noël, que le Seigneur, type de toute humilité, voulut naître dans une crèche, entre un âne et un bœuf? L'Orient, que Jésus touchait de la main, n'a-t-il pas adopté cette croyance, que l'animal n'est qu'une âme endormie qui plus tard se réveillera homme, pour plus tard peut-être se réveiller dieu?

      En un instant, ce monde de pensées, résumé de l'histoire et des travaux de toute sa vie, se présentèrent à l'esprit de Jacques Mérey; il comprit que, puisque le chien ne voulait pas quitter l'enfant, c'est que l'enfant et le chien ne devaient pas être séparés; que d'ailleurs, quelque régularité qu'il mît dans ses visites, il ne pouvait les faire que de deux jours en deux jours tout au plus; or, à son avis, un traitement continu, une surveillance de toutes les heures, étaient nécessaires pour tirer cette âme des ténèbres dans lesquelles un oubli du Seigneur l'avait plongée.

      Il rentra donc dans la cabane, et, s'adressant au braconnier et à la femme qui paraissait être sa mère:

      —Braves gens, leur dit-il, encore une fois, je ne vous demande pas votre secret sur cette enfant; vous avez évidemment fait pour elle tout ce que vous pouviez faire, et, de quelque main que vous l'ayez reçue, vous n'avez point trompé la main qui vous l'a confiée. C'est à moi de faire le reste. Donnez-moi, ou plutôt prêtez-moi cette petite fille, qui vous est un fardeau inutile; j'essayerai de la guérir et de vous rendre à la place de cette matière inerte et muette une créature intelligente qui vous aidera dans vos travaux et qui, en prenant place dans la famille, y apportera sa part de forces et de capacités.

      La mère et le fils se regardèrent alors, puis tous deux se retirèrent dans le fond de la cabane, discutèrent quelques instants, parurent se ranger au même avis, et le fils, revenant vers le docteur, lui dit:

      —Il est évident, monsieur, que vous êtes ici par l'intervention visible du Seigneur, puisque c'est ce chien que nous avions cru perdu et dont nous avions déjà fait notre deuil qui vous y a conduit. Prenez l'enfant et emportez-le. Si le chien veut vous suivre, qu'il vous suive et s'en aille avec l'enfant; la main de Dieu est dans tout cela, et ce serait une impiété de notre part de nous opposer à Sa volonté sainte.

      Le docteur déposa sur une table sa bourse et tout ce qu'elle contenait; il enveloppa l'enfant dans son manteau, et sortit accompagné du chien, qui, cette fois, ne fit aucune difficulté pour le suivre, et qui, plus joyeux qu'il ne l'avait jamais été, allait et revenait devant lui, flairant de son nez et donnant de petits coups de tête à l'enfant, qu'il ne pouvait voir, mais qu'il devinait dans son enveloppe; puis il repartait, aboyant avec la même fierté qu'un héraut d'armes qui proclame la victoire de son général.

       Entre chien et chat

       Table des matières

      En voyant le chien si joyeux, le regardant avec des yeux si intelligents, lui parlant avec des accents si nuancés, le docteur s'affermissait plus que jamais dans l'idée de faire de ce chien qu'il avait sauvé l'intermédiaire intelligent, le lien actif entre sa volonté d'homme et le néant de la pauvre idiote qu'ils s'agissait de faire vivre.

      C'était un moyen de s'introduire en quelque sorte par surprise dans la place. Tout plein des mythes cabalistiques de l'antiquité, le docteur se demandait si les poètes n'avaient point entrevu cette initiation quand ils nous représentent Orphée passant à travers le triple aboiement du chien Cerbère avant d'arriver à Eurydice. Son entreprise offrait, suivant lui, plus d'un point de ressemblance avec la tentative du grand poète primitif. Il s'agissait de plonger au plus profond de cet enfer qu'on appelle l'imbécillité et de venir chercher une intelligence accroupie dans les ténèbres de la mort, et, comme Orphée avait fait pour Eurydice, la ramener malgré les dieux à la lumière du jour.

      Orphée avait échoué, il est vrai, mais parce qu'il avait manqué de foi. Pourquoi avait-il douté de la parole du dieu des enfers? Pourquoi s'était-il retourné pour voir si Eurydice le suivait?

      Ce fut dans cette disposition d'esprit que le docteur rentra chez lui et monta à son laboratoire.

      La vieille Marthe, qui avait eu déjà beaucoup de peine à s'habituer à Scipion, qui avait par sa présence inattendue effarouché son chat, voyant que son maître apportait quelque chose dans son manteau, et croyant que c'étaient quelques paquets d'herbes médicinales qu'il avait récoltées dans la montagne, le suivit, car c'était son office à elle de classer ces herbes avec des étiquettes.

      Le chat suivit la vieille.

      Ce chat, que Marthe la bossue avait d'abord appelé le Président à cause de sa belle fourrure, qui lui avait rappelé la robe d'hermine du président du tribunal de Bourges, qu'elle avait vu une fois en sa vie, avait été en effet fort effarouché de

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