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Tandis que ses frères dans la foi versaient leur sang pour la religion et la liberté, le landgrave Georges de Darmstadt recevait une solde de l'empereur. Mais, à l'exemple de son ancêtre, qui avait entrepris cent ans auparavant, de défendre la liberté allemande contre le redoutable Charles-Quint, Guillaume de Cassel préféra le parti du danger et de l'honneur. Supérieur à la crainte, qui faisait plier des princes bien plus forts que lui sous la toute-puissance de Ferdinand, le landgrave Guillaume fut le premier qui offrit le secours de son bras héroïque au héros suédois et qui donna aux princes d'Allemagne cet exemple que nul ne voulait risquer avant les autres. Autant sa décision annonçait de courage, autant sa persévérance montra de fermeté et ses exploits de bravoure. Avec une résolution intrépide, il se posta à la frontière de son pays ensanglanté et reçut avec un dédain railleur l'ennemi dont les mains fumaient encore du sac de Magdebourg.

      Le landgrave Guillaume est digne de passer à l'immortalité, à côté de l'héroïque branche ernestine. Il se leva bien tard pour toi le jour de la vengeance, infortuné Jean-Frédéric, noble prince, à jamais glorieux! Mais, s'il a été lent à paraître, quelle en fut la splendeur! On vit ton époque renaître, et ton héroïsme descendit sur tes petits-fils. Une race vaillante de princes sort des forêts de la Thuringe, pour flétrir, par ses exploits immortels, le jugement qui dépouilla ton front de la couronne électorale, et apaiser, en entassant les victimes sanglantes, ton ombre irritée. L'arrêt du vainqueur put leur enlever tes États, mais non la vertu patriotique qui te les fit sacrifier, ni le courage chevaleresque, qui, un siècle plus tard, fera chanceler le trône de son petit-fils. Ta vengeance et celle de l'Allemagne ont aiguisé le fer sacré, fatal à la race de Habsbourg, et de la main d'un héros à celle d'un autre se transmet le glaive invincible. Ce qu'ils ne peuvent faire comme souverains, ils l'accomplissent comme hommes de cœur, et meurent d'une mort glorieuse, comme les plus vaillants soldats de la liberté. Ils ne règnent pas sur d'assez grands domaines pour attaquer leur ennemi avec leurs propres armées, mais ils dirigent contre lui d'autres tonnerres et conduisent à la victoire des drapeaux étrangers.

      La liberté de l'Allemagne, trahie par les membres puissants de l'Empire, qui pourtant en recueillaient tous les fruits, fut défendue par un petit nombre de princes pour qui elle avait à peine quelque valeur. La possession des terres et des dignités étouffa le courage; la pauvreté, à ce double égard, fit des héros. Tandis que la Saxe, le Brandebourg et d'autres encore se tiennent timidement en arrière, on voit les Anhalt, les Mansfeld, les princes de Weimar et leurs pareils, prodiguer leur sang dans des batailles meurtrières. Mais les ducs de Poméranie, de Mecklembourg, de Lunebourg, de Wurtemberg, les villes impériales de la haute Allemagne, pour qui le nom du chef suprême de l'Empire avait été de tout temps redoutable, se dérobent craintivement à la lutte contre l'empereur et se courbent en murmurant sous sa main qui les écrase.

      L'Autriche et l'Allemagne catholique avaient, dans le duc Maximilien de Bavière, un défenseur aussi puissant que politique et brave. Fidèle, dans tout le cours de cette guerre, à un même plan, mûrement calculé: jamais indécis entre son intérêt politique et sa religion; jamais esclave de l'Autriche, qui travaillait pour son propre agrandissement et tremblait devant le bras qui la sauvait. Maximilien eût mérité de recevoir d'une main meilleure que celle du despotisme les dignités et les domaines qui furent sa récompense. Les autres princes catholiques, la plupart membres du clergé, trop peu guerriers pour résister aux essaims des soldats qu'attirait la prospérité de leurs contrées, furent successivement victimes de la guerre et se contentèrent de poursuivre dans le cabinet ou dans la chaire un ennemi devant lequel ils n'osaient se montrer en campagne. Esclaves de l'Autriche ou de la Bavière, tous furent éclipsés par Maximilien, et leurs forces ne prirent quelque importance que réunies dans sa puissante main.

      La redoutable monarchie que Charles-Quint et son fils avaient formée, par un monstrueux assemblage, des Pays-Bas, du Milanais, des Deux-Siciles et des vastes contrées des Indes orientales et occidentales, penchait déjà vers sa ruine sous Philippe III et Philippe IV. Enflée rapidement par un or stérile, on vit cette monarchie dépérir par une lente consomption, parce qu'on la priva du lait nourricier des États, de l'agriculture. Ses conquêtes dans les Indes occidentales avaient plongé l'Espagne dans la pauvreté, pour enrichir tous les marchés de l'Europe, et les changeurs d'Anvers, de Venise et de Gênes spéculaient longtemps d'avance sur l'or qui dormait encore dans les mines du Pérou. Pour les Indes, on avait dépeuplé les provinces espagnoles; et les richesses des Indes, on les avait prodiguées dans la guerre entreprise pour reconquérir la Hollande, dans la tentative chimérique de changer la succession au trône de France, dans une attaque malheureuse contre l'Angleterre. Mais l'orgueil de cette cour avait survécu à l'époque de sa grandeur, la haine de ses ennemis à sa puissance, et la terreur semblait régner encore autour de l'antre vide du lion. La défiance des protestants prêtait au ministère de Philippe III la dangereuse politique de son père, et chez les catholiques allemands vivait toujours la confiance dans les secours de l'Espagne, comme la croyance miraculeuse aux reliques des martyrs. Un faste extérieur cachait les blessures saignantes qui épuisaient cette monarchie, et l'on croyait toujours à sa puissance, parce qu'elle gardait le ton superbe de son âge d'or. Esclaves chez eux, étrangers sur leur propre trône, ces fantômes de rois d'Espagne dictaient des lois en Allemagne aux princes de leur famille, et l'on peut douter que les secours qu'ils leur prêtèrent méritassent la honteuse dépendance par laquelle les empereurs durent les acheter. Derrière les Pyrénées, des moines ignorants, des favoris artificieux, tramaient les destins de l'Europe. Mais on devait redouter encore, dans son plus profond abaissement, une puissance qui ne le cédait pas aux premières en étendue; qui restait, sinon par une ferme politique, du moins par habitude, invariablement fidèle au même système d'États; qui avait à ses ordres des armées aguerries et des généraux excellents; qui, lorsque la guerre ne suffisait pas, recourait au poignard des assassins, et savait employer comme incendiaires ses propres ambassadeurs. Ce qu'elle perdait dans trois autres régions, elle s'efforçait de le regagner vers l'Orient, et les États européens se trouvaient pris dans son filet, si elle réussissait dans son entreprise, dès longtemps méditée, de porter, entre les Alpes et l'Adriatique, ses frontières jusqu'aux domaines héréditaires de l'Autriche.

      Les princes italiens avaient vu avec une grande inquiétude cette puissance importune pénétrer dans leur pays, où ses efforts continuels pour s'agrandir faisaient trembler pour leurs possessions tous les souverains du voisinage. Pressé entre Naples et Milan par les vice-rois espagnols, le pape se trouvait dans la plus dangereuse situation. La république de Venise était resserrée entre le Tyrol autrichien et le Milanais espagnol; la Savoie entre cette dernière contrée et la France. De là cette politique changeante et ambiguë que les États italiens avaient suivie depuis Charles-Quint. Le double caractère du pontife romain le maintenait flottant entre deux politiques contradictoires. Si le successeur de saint Pierre honorait dans les princes espagnols ses fils les plus dociles, les plus fermes défenseurs de son siége, le souverain des États de l'Église avait à redouter en leur personne ses plus fâcheux voisins et ses adversaires les plus menaçants. Rien n'importait plus au pontife que de voir les protestants anéantis et les armes de l'Autriche victorieuses; mais le souverain avait lieu de bénir les armes des protestants, qui mettaient son voisin hors d'état de devenir dangereux pour lui. L'une ou l'autre politique avait le dessus, selon que les papes avaient plus de souci de leur puissance temporelle ou de leur souveraineté spirituelle; mais en général, la politique de Rome se déterminait par le besoin le plus pressant; et l'on sait combien la crainte de perdre un avantage présent entraîne plus puissamment les esprits que le désir de recouvrer un bien depuis longtemps perdu. C'est ainsi qu'on s'explique comment le vicaire de Jésus-Christ pouvait se conjurer avec la maison d'Autriche pour la perte des hérétiques, et avec ces mêmes hérétiques pour la ruine de la maison d'Autriche. Ainsi s'entrelace merveilleusement le fil de l'histoire! Que serait devenue la réformation, que serait devenue la liberté des princes allemands, si l'évêque de Rome et le prince de Rome avaient eu constamment le même intérêt?

      La France avait perdu, avec son excellent roi Henri, toute sa grandeur, et tout son poids dans la balance politique de l'Europe. Une minorité orageuse anéantit tous les bienfaits de l'administration vigoureuse qui l'avait précédée. Des ministres incapables, créatures de la faveur

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