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Le Piccinino. George Sand
Читать онлайн.Название Le Piccinino
Год выпуска 0
isbn 4064066082628
Автор произведения George Sand
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Le marquis s'aperçut fort rien du dépit de Michel, il reprit en souriant:
—C'est apparemment que vous n'avez vu que des échantillons grossiers de l'art de ce peuple; mais il existe des dessins coloriés, qui, malgré la simplicité élémentaire du procédé, sont dignes, pour la pureté des lignes et la naïveté charmante des mouvements, d'être comparés aux étrusques. Je serais heureux de vous montrer ceux que je possède. C'est un petit plaisir que je voudrais vous procurer et qui ne m'acquitterait pas encore envers vous, car j'en ai eu un bien grand à voir vos peintures.
Le marquis parlait d'un air si sincère, et il y avait sur sa noble figure une bienveillance si marquée, que Michel, attaqué par son côté sensible, ne put s'empêcher de lui avouer naïvement ce qu'il éprouvait.
—Je crains, dit-il, que Votre Seigneurie ne veuille m'encourager par plus d'indulgence que je n'en mérite; car je ne suppose pas qu'elle s'abaisse à railler un jeune artiste, au début délicat de sa carrière.
—Dieu m'en préserve, mon jeune maître! répondit M. de la Serra, en lui tendant la main d'un air de franchise irrésistible. Je connais et j'estime trop votre père pour n'être pas bien disposé d'avance en votre faveur; cela, je dois l'avouer; mais, sincèrement, je puis vous affirmer que vos peintures révèlent du génie et promettent du talent. Voyez, je ne vous flatte pas; il y a encore de grandes fautes d'inexpérience, ou peut-être d'emportement d'imagination, dans votre œuvre; mais il y a un cachet de grandeur et une originalité de conception qui ne s'acquièrent ni ne se perdent. Travaillez, travaillez, mon jeune Michel-Ange, et vous justifierez le beau nom que vous portez.
—Votre avis est-il partagé, monsieur le marquis, demanda Michel, violemment lente d'amener le nom de la princesse dans cette conversation.
—Mon avis est, je crois, celui de tout le monde. On critique vos défauts avec indulgence, on loue de grand cœur vos qualités; on ne s'étonne pas de vos dispositions brillantes quand on apprend que vous êtes de Catane, et fils de Pier-Angelo Lavoratori, excellent artisan, plein de cœur et de feu. On est bon compatriote ici, Michel-Ange! On se réjouit du succès qu'obtient un enfant du pays, et chacun en prend généreusement sa part. On estime tant ceux qui sont nés sur le sol bien-aimé, qu'on oublie toutes les distinctions de caste, et que, nobles ou paysans, ouvriers ou artistes, se pardonnent les antiques préjugés respectifs pour confondre leurs vœux dans le sentiment de l'unité de race.
—Oh! pensa Michel, le marquis me parle politique! Je ne connais point ses opinions. Peut-être, s'il a deviné les sentiments de la princesse, va-t-il travailler à me perdre! Je ne me fierai point à lui.—Puis-je savoir de Votre Seigneurie, dit-il, si la princesse de Palmarosa a daigné lever les yeux sur mes peintures, et si elle n'est pas trop mécontente de mes décors?
—La princesse est enchantée, n'en doutez pas, mon cher maître, répondit le marquis avec une merveilleuse cordialité; et, si elle vous savait ici, elle y viendrait pour vous le dire elle-même. Mais elle est trop occupée en ce moment pour que vous puissiez l'approcher. Demain, sans doute, elle vous donnera les éloges que vous méritez, et vous ne perdrez rien pour attendre... A propos, dit le marquis en se retournant, au moment de quitter Michel, voulez vous venir voir mes peintures chinoises et d'autres peintures qui ne sont pas sans mérite? Je serai charmé de vous recevoir souvent. Ma maison de campagne est à deux pas d'ici.
Michel s'inclina comme pour remercier et accepter; mais, quoiqu'il eût dû être flatté de la grâce du marquis à son égard, il demeura triste et comme accablé. Évidemment le marquis n'était pas jaloux de lui. Il n'était pas même inquiet.
XII.
MAGNANI.
Rien n'est si mortifiant que d'avoir cru, ne fût-ce que pendant une heure, à une aventure romanesque, enivrante, et de s'apercevoir tout doucement qu'on a bien pu faire un rêve absurde. Chaque nouvelle réflexion de notre jeune artiste refroidissait sa cervelle et le ramenait à la triste notion de la vraisemblance. Sur quoi avait-il pu bâtir tant de châteaux en Espagne! Sur un regard qu'il avait sans doute mal interprété, et sur une parole qu'il devait avoir mal entendue. Toutes les raisons probantes qui donnaient un démenti formel à son extravagante présomption se dressèrent devant lui comme une montagne, et il se sentit retomber du ciel sur terre.
«Je suis bien fou, se dit-il enfin, de m'occuper des yeux problématiques et des paroles inintelligibles d'une femme que je ne connais pas, et que par conséquent je n'aime point, quand il s'agit pour moi de choses bien autrement sérieuses. Allons donc voir si ce marquis ne m'a pas trompé, et si tout le monde trouve qu'il y a du génie à défaut de science dans ma peinture!
«Et cependant, se disait-il encore en quittant la grotte, il y a toujours au fond de tout ceci quelque chose qui sent le mystère. D'où ce marquis me connaît-il, moi qui ne l'ai jamais vu? D'où vient qu'il m'a abordé sans hésitation, avec une telle familiarité, en m'appelant par mon nom, comme si nous étions de vieux amis?»
Il est vrai que Michel se disait aussi: «Il a bien pu être à une fenêtre, ou dans une église, ou sur la place publique le jour où je me suis promené avec mon père dans la ville; ou encore, lorsque j'ai regardé les jardins suspendus de la Sémiramis qui me fait travailler, il pouvait être dans un de ces boudoirs si bien fermés en apparence, dont les croisées donnent de ce côté, et où il est autorisé, sans doute, à venir soupirer sans espoir pour ses beaux yeux fantasques.»
Michel parcourut la foule, et il n'attira l'attention de personne. On ne connaissait pas ses traits, quoique son nom eût passé dans beaucoup de bouches, et on parlait librement de ses peintures à ses oreilles.
«Cela promet, disaient les uns.
—Il a encore beaucoup à apprendre, disaient les autres.
—Il y a de la fantaisie, du goût; cela plaît aux yeux et amuse la pensée.
—Oui, mais il y a de trop grands bras, de trop petites jambes, des raccourcis d'une ignorance extrême; des mouvements impossibles.
—D'accord, mais toujours gracieux. Je vous dis que ce garçon, car on prétend que c'est presque un enfant, ira loin.
—C'est un enfant de notre ville.
—Eh bien! il en fera le tour et il n'ira pas plus loin, répondait un Napolitain.»
Somme toute, Michel-Ange Lavoratori entendit plus d'éloges bienveillants que de critiques amères; mais il sentit beaucoup d'épines en cueillant beaucoup de roses, et il reconnut que le succès est un mets sucré où il entre pas mal de fiel. Il en fut attristé d'abord; puis, croisant ses bras sur sa poitrine, regardant son œuvre, et cessant d'écouter l'avis des autres, il se rendit compte à lui-même de ses qualités et de ses défauts avec une impartialité qui triompha de l'amour-propre.
«Ils ont tous raison, dit-il. Cela promet, mais ne tient pas d'avance. Je me l'étais déjà dit, je crèverai ces toiles en les rangeant dans les greniers du palais, et je ferai mieux dorénavant. J'ai fait sur moi-même une expérience que je ne regrette pas, quoique je n'en sois pas fort content; mais je saurai en profiter, et favorable ou non à ma fortune, cet essai le sera à mon talent.»
Michel ayant recouvré toute la lucidité de ses pensées, et se disant qu'il n'était point un des patrons qui payaient à leur entrée un droit pour les pauvres, il résolut de s'abstenir du spectacle de la fête et de se promener à l'écart dans quelque partie tranquille du palais, en attendant qu'il se sentit absolument calme et disposé à aller se reposer. Sa raison était revenue, mais la fatigue des jours précédents avait laissé dans son sang et dans ses nerfs un peu d'agitation fébrile. Il essaya de monter jusqu'au Casino, d'où l'on pouvait sortir sur les terrasses naturelles de la montagne.
Toute celle belle maison était éclairée et ornée