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Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название Les esclaves de Paris
Год выпуска 0
isbn 4064066074777
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
—Allons, se dit Paul, rester ici ne m'avance à rien, il faut voir.
Il traversa donc résolument la cour, monta un escalier en face, et arrivé au premier étage, voyant sur une porte le mot: Bureaux, il frappa.
—Entrez?... cria une grosse voix.
La porte n'était pas fermée, mais seulement maintenue par un poids glissant au bout d'une corde. Paul n'eut qu'à pousser.
La pièce où il pénétra ressemblait à tous les bureaux de placement de Paris.
Tout autour, régnait un large banc de chêne noirci et poli par l'usage. Au fond, se trouvait une manière de loge grillée, entourée d'un rideau de serge verte, que dans la clientèle on appelait le confessionnal.
Entre les deux fenêtres, sur une plaque de zinc, on lisait:
AVIS
L'INSCRIPTION EST PAYABLE D'AVANCE
Dans un des angles de la pièce, un monsieur était assis devant une grande table, et, tout en écrivant sur un énorme registre, il donnait audience à une femme debout.
—Monsieur Mascarot? demanda Paul timidement.
—Que lui voulez-vous? fit le monsieur sans saluer; s'agit-il d'une affaire? je le remplace; désirez-vous vous faire inscrire? nous avons en ce moment trois tenues de livres, une caisse, une correspondance, six emplois de ville. Vous avez de bonnes références?...
On eût juré que le monsieur récitait le tableau des offres accroché à la porte.
—Pardon, interrompit Paul, je voudrais parler à M. Mascarot lui-même; je lui suis envoyé par un de ses amis.
Cette simple déclaration parut impressionner le monsieur. Il quitta son air rogue, et c'est presque poliment qu'il dit à Paul:
—Mon associé est en conférence, monsieur, mais il sera libre bientôt; prenez la peine de vous asseoir.
Paul prit place sur le banc et, faute de mieux, se mit à examiner l'associé.
Grand, robuste, éclatant de santé, cet associé porte les cheveux courts et, sous un nez odieusement busqué, il étale une paire de moustaches farouches, longues, lustrées, cirées, terminées en pointe.
Ton, tenue, cheveux, moustaches, décèlent l'homme qui tient à ce que chacun sache bien qu'il a été militaire.
Il a servi, en effet, assure-t-il dans la cavalerie. C'est même au régiment qu'il a gagné le nom sous lequel il est connu: Beaumarchef, abréviation soldatesque de beau maréchal-des-logis-chef. Son vrai nom est Durand.
Il était jeune, en ce temps, il a plus de quarante-cinq ans, maintenant, ce qui ne l'empêche pas de jouir encore d'une réputation incontestable d'homme superbe.
Sa besogne, qui consistait à écrire des noms à la suite les uns des autres, ne l'empêchait nullement de répondre juste à la femme placée devant lui.
Cette cliente, qui, par sa mise, tenait le milieu entre la cuisinière et la marchande des Halles, était ce qu'à Paris on appelle une forte commère.
Elle ponctuait ses phrases de larges prises de tabac. Elle s'exprimait avec un accent alsacien des plus prononcés.
—Finissons-en, disait le sieur Beaumarchef; voulez-vous réellement vous replacer?
—Oui, là, vraiment.
—Vous en disiez autant, la dernière fois que vous êtes venue, il y a plus de six mois. On vous trouve une bonne condition, vous y entrez et paf!... le troisième jour vous rendez votre tablier, sans raison.
—Alors, je n'étais pas dans le besoin.
—Et à cette heure?
—C'est différent, je commence à voir la fin de mes économies.
M. Beaumarchef posa sa plume, et regardant finement la grosse femme comme s'il eût cherché la confirmation de quelque soupçon, il dit lentement:
—Vous aurez fait quelque folie!
Elle détourna la tête, et, sans répondre directement, se mil à se répandre en plaintes sur la dureté des temps, sur la ladrerie des maîtres, sur la rapacité des jeunes dames qui ne permettent plus à leurs cuisinières de faire danser l'anse du panier, se chargeant très bien elles-mêmes de ce soin.
Beaumarchef approuvait de la tête, exactement comme un quart d'heure plus tôt il donnait raison à une bourgeoise qui se plaignait amèrement des serviteurs. Son état d'intermédiaire exige cette diplomatie.
Cependant, la grosse femme avait fini. Elle sortit d'un porte-monnaie bien garni le prix de l'inscription, le posa sur la table, et dit:
—Allons, mon bon monsieur Beaumar, prenez mon nom. Caroline Schimel, et tâchez de me trouver une bonne maison. Mais rien que pour la cuisine, vous m'entendez. Je fais le marché moi-même, et je n'aime pas à avoir la patronne sur le dos.
—C'est bien; on cherchera.
—Ah! si vous me trouviez un homme veuf! cela m'irait assez, ou bien encore une toute jeune femme avec un mari très vieux... Enfin, faites comme pour vous; je repasserai après-demain.
Et, humant une prise de tabac plus forte que les autres, elle se retira.
Paul, qui avait écouté, était confondu et aussi humilié que possible. C'est grâce au père Tantaine, pourtant, qu'il se trouvait attendre en ce lieu en pareille compagnie. Et attendre quoi?...
Déjà il cherchait un prétexte honnête pour s'éloigner, résolu à ne plus revenir, quand la porte du fond s'ouvrit, donnant passage à deux hommes qui, sur le point de se séparer, achevaient une conversation.
L'un, jeune, élégamment vêtu, avec cette mine suffisante et cette désinvolture facile que d'aucuns prennent pour le suprême bon ton. Plusieurs ordres étrangers illustraient sa boutonnière.
L'aspect de l'autre était celui d'un bon vieil avoué de petite ville. Il portait une chaude douillette de mérinos brun, avait aux pieds des chaussures fourrées, et gardait sur la tête une calotte de velours, brodée sûrement par une main bien chère. Sa barbe rude, soigneusement taillée, s'appuyait sur une épaisse cravate blanche, et la délicatesse de sa vue lui imposait des lunettes bleues.
—Ainsi, cher maître, disait le jeune homme, je puis espérer, n'est-ce pas? Mon intérêt vous répond de moi. N'oubliez pas combien la situation est tendue!...
—Je vous l'ai dit, monsieur le marquis, répondait l'homme à cravate blanche, si j'étais le maître, ce serait: oui; mais je dois consulter mes associés.
—Enfin, cher monsieur, conclut l'élégant, je compte sur vous.
Paul s'était levé, réconcilié avec la maison, à la vue de ce jeune homme si décoré.—L'autre, pensait-il, qui a une si bonne figure et les dehors d'un homme de loi, doit être M. B. Mascarot.
Le marquis sortit, Paul allait se présenter, quand Beaumarchef, le devançant, vint se placer devant l'homme à la cravate blanche:
—Devinez, patron, lui dit-il respectueusement, qui je viens de voir?
—Qui cela? Parle.
—Caroline Schimel, vous savez...
—L'ancienne domestique de la duchesse de Champdoce?
—Précisément.
M. Mascarot eut une exclamation de joie.
—Voilà un vrai bonheur! s'écria-t-il; où demeure-t-elle?
Cette question, si naturelle, consterna Beaumarchef. Lui qui toujours,—oui, toujours, puisque c'était la consigne, demande l'adresse de ses clientes, il n'avait